À propos de l’exécution de Saddam Hussein

D’où vient qu’un frisson d’écœurement a parcouru la planète à l’occasion de l’exécution d’un ex-chef d’État pourtant honni ? Ce n’est pas seulement que notre monde – du moins européen – a définitivement répudié la peine de mort ; ce n’est pas non plus, seulement, parce que son procès a été un simulacre, et a laissé dans l’ombre les accusations les plus criantes proférées contre lui pendant des années. Ce n’est pas, non plus, que le dictateur (diabolisé à l’extrême) ait bénéficié d’une quelconque sympathie dans le public occidental. Même beaucoup de ceux qui estimaient (à tort ou à raison) qu’il méritait cent fois la mort n’ont pu réprimer un haut-le-cœur devant les conditions de son exécution, aggravées par la diffusion d’images trahissant la véritable nature de l’événement.

Ce dernier est apparu crûment, à tout homme et toute femme de conscience, pour ce qu’il est : un assassinat politique. Or, si l’assassinat politique est, à la rigueur, toléré par la conscience occidentale comme une nécessité cruelle mais parfois inévitable, parmi d’autres « horreurs de la guerre », cette même conscience occidentale est révulsée lorsque l’assassinat se pare du manteau de la justice. Tout le monde a bien senti que la prétendue justice appliquée en la matière est une justice de vainqueur ; la réprobation étant en outre aggravée par le sentiment diffus que ceux qui ont tiré les ficelles de cette mascarade macabre (et quels que soient les efforts médiatiques pour faire croire qu’il s’agit d’une affaire purement interne à l’Irak) ont apporté plus de malheurs encore au peuple irakien que le condamné. Et chacun sent bien qu’ils ne seront, eux, ni jugés ni pendus, malgré tout le cynisme et la barbarie déployés pendant une décennie pour mettre l’Irak à feu et à sang ! Cela les dépouille de toute légitimité morale pour trancher de la vie et de la mort d’un autre chef d’Etat, fût-il un tyran hors catégorie.

Quelle que soit l’étendue des crimes commis par Saddam Hussein (et les historiens en jugeront mieux qu’une parodie de procès), nul ne peut nier qu’il s’agit de crimes commis dans l’exercice du pouvoir, et donc que la politique y tient autant de place que la méchanceté personnelle.

La froide logique inhérente à l’exercice du pouvoir et de la raison d’État se résume souvent (hélas !) par le principe que « la fin justifie les moyens ». L’ancien dictateur irakien en a usé et – selon toutes apparences – abusé démesurément. Mais qui pourrait prétendre que ceux qui l’ont conduit au supplice sont exempts du soupçon d’agir en vertu du même principe ?

En ajoutant le sang au sang, la mise à mort de Saddam Hussein, dans les conditions que l’on sait, ramène l’humanité à des temps antiques où les lois (ou plutôt non-lois) de la guerre exigeaient que le chef des vaincus soit, non seulement dépouillé de son pouvoir, mais humilié et immolé rituellement à la gloire du chef vainqueur. Or, ce qui était peut-être considéré comme normal à l’époque de Jules César et de Vercingétorix heurte profondément la sensibilité contemporaine. La conscience mondiale est d’autant plus choquée que ce retour aux mœurs antiques s’effectue avec la caution active de la pointe avancée de la civilisation occidentale

La mort digne de Saddam Hussein sous les insultes ne le rend pas sympathique et ne le dispense pas du jugement de l’histoire ; mais elle fait de lui une statue du Commandeur, qui un jour ou l’autre, viendra demander des comptes. En faisant mourir discrètement Slobodan Milosevic dans sa prison, avant condamnation, les maîtres du monde ont été plus judicieux, car ils ne se sont attirés pratiquement aucune réprobation ; en pendant Saddam Hussein, à l’issue d’un simulacre de justice, ils ont creusé entre eux et la conscience mondiale un fossé qui pourrait bien s’élargir.



Articles Par : Maurice Pergnier

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