Publico indique que les services de renseignements espagnols ont facilité l’attentat terroriste de Barcelone en 2017

Dans un reportage explosif, le site d’information Publico allègue que le Centre national de renseignement (CNI) espagnol a suivi de près la cellule terroriste du groupe État islamique (EI)

qui a perpétré les attentats du 17 août 2017 à Barcelone, jusqu’au jour même de l’attaque. Loin d’arrêter la cellule avant qu’elle n’effectue les attentats, qui ont fait 21 morts et 130 blessés, le CNI les a laissé procéder. Les responsables du siège du CNI ont ensuite tenté de supprimer le dossier du chef de cellule Abdelbaki Es-Satty au début de l’enquête sur l’attaque.

Le reportage de Publico constitue une preuve d’un comportement criminel au plus haut niveau de l’État espagnol, soutenu par les agences de renseignement d’autres puissances de l’OTAN qui ont lancé la guerre par procuration en Syrie en se servant des islamistes, dont l’EI est issu. Les gouvernements des pays de l’OTAN et les principaux organes de presse américains et européens ont réagi avec un silence assourdissant.

Le reportage de Publico, s’appuyant sur des documents fournis par le CNI aux fonctionnaires de police enquêtant sur l’agression et sur des entretiens avec la police et le CNI, commence par expliquer comment les liens d’Es-Satty avec le CNI ont été connus. L’attentat de Barcelone a été déclenchée de manière inattendue, lorsque Es-Satty s’est accidentellement fait exploser dans une planque à Alcanar où la cellule fabriquait des bombes. Les survivants de la cellule ont rapidement décidé de faire foncer un camion sur les passants de l’avenue La Rambla à Barcelone. Plusieurs sont morts plus tard, lors d’une fusillade avec les forces de l’ordre à Cambrils.

Dans les ruines de la maison d’Alcanar, les enquêteurs ont trouvé une feuille de papier avec un nom d’utilisateur ([email protected]) et un mot de passe (PEREJUAN18). Selon Publico, «Pour les enquêteurs qui ont découvert ce message, il n’y avait aucun doute que le responsable CNI d’Es-Satty avait créé une adresse e-mail pour communiquer avec lui.»

Le compte Gmail, dont Publico fournit des captures d’écran, contenait deux brouillons d’emails «en espagnol parfait». La première, datée du 24 mai 2017, dit: «Je vois que vous avez pu vous connecter, vous n’avez qu’à me laisser un message comme celui-ci comme brouillon et je vais le lire. Vous pouvez déjà commencer à écrire des choses. Merci mon ami.» Le second dit: «N’avez-vous rien à écrire ou est-ce que c’est que vous ne pouvez pas écrire ? Aujourd’hui, c’est lundi 19 juin.»

Es-Satty était connu du CNI, qui a confirmé trois mois après les attentats de Barcelone qu’il était un informateur. Né au Maroc en 1973, il s’était d’abord rendu en 2002 en Espagne, où il avait été arrêté pour traite d’êtres humains. Il a coopéré à l’Opération Chacal, une enquête sur les attentats à la bombe perpétrés par Al-Qaïda en 2004 à Madrid, et a ensuite été emprisonné de 2010 à 2014 pour trafic de haschisch. En prison, il partageait une cellule et aurait noué une «amitié spéciale» avec Rachid Aglif le poseur de bombe dans l’attentat de Madrid de 2004.

Les services de renseignement de l’OTAN savaient qu’Es-Satty était lié aux activités d’Al-Qaïda au plus haut niveau. Les services de renseignement français et le CNI avaient conjointement conclu après l’opération Chacal que les attentats de Madrid de 2004 avaient été perpétrés avec des explosifs payés en haschisch. Selon des documents du CNI fournis aux enquêteurs de la police et cités par Publico, «Satty était considéré par les institutions pénitentiaires (IP) comme un islamiste, se montrant radical dès le début de sa peine à la prison de Castellón».

Néanmoins, selon le reportage de Publico, le CNI a protégé Es-Satty de manière agressive. Lorsqu’il a été traduit devant un juge pour expulsion après sa peine de prison, ses avocats disposaient de documents prouvant que le juge considérait qu’il était «fermement établi» en Espagne – même si une grande partie de son temps en Espagne avait été passée en prison pour trafic de drogue. Publico affirme que ses sources de renseignement «affirment que le CNI avait fourni les recommandations et les autorisations qui ont ouvert la porte à l’admission d’Es Satty en tant qu’imam à Ripoll.»

Tout en protégeant Es-Satty, le CNI et d’autres agences des deux côtés de l’Atlantique ont consacré d’énormes ressources à la surveillance de sa cellule. Les documents les plus remarquables révélés par Publico concernent peut-être la surveillance intensive par le CNI des jeunes membres inexpérimentés de la cellule qui se sont rendus en France juste avant les attentats. Les autorités françaises ont confirmé qu’elles étaient impliquées dans cette surveillance.

Publico dit que ces documents «ont fait surface en raison d’une erreur d’édition des services secrets, révélant qu’à la veille du massacre de Las Ramblas, des espions espagnols surveillaient et transcrivaient toutes les conversations (sur leurs téléphones portables) des personnes qui ont commis les meurtres.»

Omar Hichamy et Younes Abouyaaaquoub, l’homme qui a fait foncer un véhicule sur la foule de Las Ramblas, se sont rendus à Paris les 11-12 août 2017. Le CNI a noté les autoroutes qu’ils ont empruntées et les moments où ils sont arrivés dans différents quartiers de Paris et ont approché différents monuments, dont la Tour Eiffel. Il note que les deux ont acheté un appareil photo au prix de €129 au magasin Fnac-St. Lazare. Les deux appels téléphoniques qu’ils ont passés pendant le voyage ont été analysés en détail.

Un document du CNI publié par Publico rapporte: «Les appels ont été passés par les numéros de téléphone liés à Omar et Younes (34600314111 et 3461252637378), mais ils se sont avérés être les deux fois entre Mohamed Hichamy et Younes Abouyaaquoub, qui a raccourci ses phrases afin de ne pas révéler ses activités concrètes.»

Les allégations selon lesquelles le CNI ignorait que ces jeunes étaient impliqués dans un complot terroriste ne tiennent pas la route. Le CNI a consacré un niveau de surveillance extraordinaire à ces deux jeunes, qui n’avaient pas de casier judiciaire. Le CNI, écrit Publico, «écoutait et transcrivait toutes les conversations entre ces jeunes musulmans, qui n’étaient pas encore censés être liés à un complot djihadiste, en effectuant les contrôles de renseignement les plus exhaustifs possibles, qui exigent des ressources matérielles et humaines considérables.»

Quelques jours auparavant, en outre, les agences américaines avaient donné à Madrid des rapports détaillés selon lesquels la cellule préparait des attaques. Le 31 juillet 2017, des agents d’Exeintel, une agence privée américaine dont le compte Twitter indique qu’il fournit des «renseignements exploitables» qui «ne seront accessibles qu’aux forces de l’ordre», ont discuté en ligne avec Abouyaaquoub. Ils ont ensuite envoyé un avis d’«alerte rouge» à Madrid, signalant qu’il s’était vanté maladroitement que sa cellule préparait des attentats terroristes.

Le quotidien El Nacional a posté des captures d’écran de leur conversation sur Internet avec Abouyaaquoub, qui a écrit: «Nous devons attaquer plusieurs petites villes, quand toute la police vient à nous pour se déplacer à un autre endroit et pour se déplacer à un autre endroit et pour l’attaquer. Ils ne pourront pas se défendre contre nous.» Par la suite, Exeintel a retiré les images de la capture d’écran de son site Web.

Néanmoins, le CNI a simplement continué à surveiller la cellule, à mesure qu’elle assemblait des produits chimiques et de la ferraille pour fabriquer des bombes, puis, après l’explosion d’Alcanar, a décidé d’une nouvelle attaque. «Les services secrets espagnols ont continué à surveiller et à suivre les terroristes jusqu’au jour même des attentats de Las Ramblas», écrit Publico, ajoutant: «Ce n’est que le lendemain du massacre que le dossier Es-Satty a été supprimé du registre central du CNI.» Une telle suppression, rapporte Publico, ne peut se faire qu’à partir du siège central du CNI à Madrid,

Ce récit souligne les liens entre les agences de l’OTAN et les terroristes islamistes, qui ont évolué au cours de la guerre de huit ans en Syrie, qui sont à l’origine de toutes les attaques de l’EI en Europe. Les attentats de Charlie Hebdo et du 13 novembre 2015 à Paris, les attentats du 22 mars 2016 à Bruxelles, de Noël 2016 à Berlin et de 2017 à Manchester ont tous été perpétrés par des réseaux étroitement surveillés par les services de renseignement.

Ces attentats ont ensuite été utilisées pour justifier des mesures d’État policier de grande portée. Cela va de la répression des manifestations du G20 à Hambourg et du bouclage de Bruxelles à l’intensification des pouvoirs de la police autour de l’état d’urgence français, qui a culminé avec le déploiement de l’armée contre les «gilets jaunes» qui protestaient contre les inégalités sociales. Les événements espagnols soulignent comment ces attaques impopulaires contre les droits démocratiques et sociaux fondamentaux ont été menées sur la base de la criminalité de l’État.

Le CNI n’a pas arrêté les attaques de la cellule Es-Satty car Madrid cherchait une justification pour imposer la loi martiale avant le référendum d’indépendance catalan du 1er octobre 2017. Les représentants de l’État ont été consternés lorsque des manifestations de masse ont éclaté à Barcelone, dénonçant la complicité de l’État dans cette attaque. La répression policière brutale du référendum sur l’indépendance a été suivie d’un vaste virage à droite dans la politique officielle: procès-spectacles de prisonniers politiques nationalistes catalans, réhabilitation du dictateur fasciste espagnol du XXe siècle, Francisco Franco, et promotion du parti pro-franquiste Vox.
Aucune explication crédible n’a été donnée jusqu’à présent pour expliquer l’inaction du CNI pour faire cesser les attaques. L’année dernière, le PSOE, le parti de droite Ciudadanos et le Parti Popular ont opposé leur veto aux appels dans le Congrès espagnol à une enquête sur le rôle du CNI dans ces attentats. La question qui se pose est de savoir si le CNI et les services de renseignement alliés ont permis qu’ils aient lieu afin de fournir, par des moyens criminels, un prétexte pour tenter d’imposer un régime fasciste en Espagne et à travers l’Europe.

Alex Lantier

 

Article paru en anglais, WSWS, le 20 juillet 2019



Articles Par : Alex Lantier

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