Qatar : Déchéance arbitraire de la nationalité à l’encontre de 5 258 personnes, 1/2

Rapport établi par huit organisations de juristes chargées de la défense des droits de l’homme, dont Haytham Manna, Président de l’Institut Scandinave des Droits de l’homme, agissant en sa qualité de membre du Comité Arabe des Droits Humains, a été chargé de le valider après vérification de son contenu.

Adaptation dans sa version française : René Naba, responsable éditorial du site www.madaniya.info

Prologue : Le Qatar un état hors la loi ?

Paris- La France a rétabli la peine de déchéance de nationalité à l’encontre de ces binationaux qui aurait commis un acte de grande infamie. Une peine validée par le Conseil Constitutionnel à la suite du carnage de Charlie Hebdo, en janvier 2015. Une peine infligée au cas par cas, exclusivement aux binationaux en ce que la législation internationale interdit à un état de rendre apatride un individu, en le privant de sa nationalité.

Ses partenaires privilégiés du Golfe, le Bahreïn et le Qatar ont en fait, eux, un usage plus large en procédant à des peines de déchéance collective et arbitraire de nationalité.


Le Bahreïn

Le Bahreïn a retiré par décret la nationalité à 72 activistes bahreïnis, samedi 31 janvier. Cinq d’entre eux ont été condamnés à la prison à perpétuité», a annoncé l’Association de la concordance islamique de Bahreïn (Wifaq). Selon les activistes politique bahréinis, plus de 10.000 protestataires politiques sont détenus dans les prisons de Bahreïn. Quinze d’entre eux sont condamnés à la prison à vie.

Le Qatar

Quant au Qatar, il a tout simplement ordonné d’un trait, la déchéance de nationalité à 5.258 ressortissants qataris, sans motiver réellement sa décision. Cette décision apparaît comme une mesure de châtiment collectif prise à l’encontre de la tribu « Al Ghofrane », dont la signification en arabe est, paradoxalement, « le pardon », membre de la confédération tribale d’« Al Mari ». La déchéance de nationalité du Qatar a entraîné ipso facto une déchéance humaine de la tribu en ce qu’elle s’est assortie d’une perte d’emploi et d’une perte du logement, avec privation de salaires et interdiction d’accès aux soins et à l’éducation, et, cerise sur le gâteau, interdiction de contracter mariage faute de pièces d’identité.

Telle est en substance l’information contenue dans un rapport établi par huit organisations de juristes chargées de la défense des droits de l’homme, dont Haytham Manna, Président de l’Institut Scandinave des Droits de l’homme, agissant en sa qualité de membre du Comité Arabe des Droits Humains, a été chargé de le valider après vérification de son contenu. L’intégralité de ce rapport sera publié dans le 2 me volet de ce papier.

Selon les indications contenue dans ce rapport, la tribu « Al Ghofrane », de même que la confédération dont elle relève, « Al Mari », bénéficieraient de la double nationalité saoudo-qatari et certains de ses membres auraient participé à la tentative de reconquête du pouvoir initiée par le prince Khalifa Ben Hamad, en 1996, à la suite de son éviction par son propre fils, le prince Hamad, père de l’actuel gouverneur, le prince Tamim et parrain du printemps néo islamiste arabe.

A – Une guerre à outrance sur fond d’un contentieux territorial historique

La rivalité entre Qatar et l’Arabie est historique quoique feutrée. Elle remonte à la fondation du royaume wahhabite au début du XX me siècle, lorsque le Roi Abdel Aziz, fondateur de la dynastie wahhabite, avait ordonné le rattachement du Qatar à la province saoudienne d’Al Hassa, faisant de la principauté un département de son royaume.
Ce contentieux, résolu en 1965 à la suite de fortes pressions de Haut-Commissaire britannique enjoignant aux deux pays de ratifier un accord de délimitation des frontières, rebondit cycliquement en ce que les deux pays relèvent de la même mouvance sunnite-wahhabite, que le petit Qatar fait office de dague plantée sur le flanc du Royaume saoudien par la stratégie américaine et qu’enfin la dynastie Al Thani du Qatar est perçue comme une dynastie de substitution à la dynastie Al Saoud d’Arabie saoudite.
Le rebond de la crise entre les frères ennemis du wahhabisme à propos des frères Musulmans, l’été 2014, résulte tant du refus viscéral de l’Arabie saoudite de cautionner des coups d’état comme mode de changement de régime au sein des pétromonarchies, -comme ce fut le cas à deux reprises au Qatar-, que de la volonté de Doha de se soustraire de la tutelle de l’Arabie saoudite, pesante sur le fonctionnement du Conseil de coopération du Golfe. En soutenant les Frères Musulmans, honnis par la dynastie wahhabite, ainsi que les Houthistes du Yémen, le Qatar a exacerbé les tensions entre les deux monarchies.

Minuscule principauté du golfe aux richesses fabuleuses, le Qatar adopte des comportements comparables par moments à ceux d’un état « hors la loi », non seulement à propos de la déchéance arbitraire de la nationalité mais également à propos des travailleurs immigrés opérant sur son territoire.

B – La condition des travailleurs étrangers : le Qatar, état négrier ?

Amnesty International a publié en 2014 un rapport sur les conditions de travail effroyables des nombreux étrangers de l’émirat, notamment sur les conditions de vie des ouvriers du chantier de la Coupe du monde football, en 2022, où près d’un millier de travailleurs y ont péri. L’organisation népalaise « Proissy » assure, de son côté, que « plus de quatre cents ouvriers du bâtiments sont morts sur les chantiers du Mundial du Qatar », qui devrait abriter la Coupe du Monde 2022.
Le rapport publié le 17 Février 2014 sur le site en ligne « Ar Rai Al Yom », le nouveau site de l’ancien directeur d’Al Qods al Arabi, Abdel Bari Atwane, précise que les népalais représentent vingt pour cent des travailleurs immigrés opérant sur les chantiers du Qatar.

Le Qatar compte 1,9 million d’habitants, dont 1,5 million d’immigrés. Près de 90% de s travailleurs sont étrangers. Parmi eux, les ouvriers (environ 500.000 étrangers, surtout des hommes) et les domestiques (environ 130.000 étrangers, surtout des femmes) sont les deux catégories les plus exploitées. Elles sont d’ailleurs formellement exclues d’un large pan de la législation qatarie sur le travail, s’agissant notamment des horaires et des possibilités de recours en cas d’abus. Ce sont des travailleurs sans droits. La plupart viennent d’Asie : Inde, Bangladesh, Népal, Philippines, Pakistan… Quand ils arrivent dans les chantiers et maisons qataris, c’est la douche froide. Le travail, le salaire, les horaires, le logement, rien ne correspond à ce qui leur avait été promis. Il arrive qu’ils ne soient pas payés pendant des mois.

Les travailleurs sont pris au piège de la « kafala », le système de « parrainage » pratiqué au Qatar comme dans la plupart des riches monarchies du Golfe. Il donne à l’employeur tout pouvoir sur l’employé. L’employeur peut empêcher ses salariés de changer de travail ou de quitter le pays. La confiscation des passeports, bien qu’illégale, est pratique courante. Les ouvriers sont entassés dans des baraquement avec des sanitaires délabrés, des cuisines impraticables, sans air conditionné alors que la température avoisine 45°. Sur les chantiers des gratte-ciel, malls et autres stades de foot, les accidents du travail sont fréquents.
Réclamer une indemnité en justice est théoriquement possible mais long et très coûteux. Les domestiques, elles, sont exposées à la maltraitance et aux viols. Celles qui s’en plaignent aux autorités se retrouvent généralement sous le coup d’une enquête pour « relations illicites », les relations sexuelles n’étant pas autorisées en dehors du mariage.

SOUS-TRAITANTS ET GROS PROMOTEURS

Même quand les migrants arrivent à retourner chez eux, « le cauchemar continue car après des mois et des années ils rentrent endettés », souligne le rapport. La plupart des abus constatés sont le fait de petits sous-traitants.
« Cependant, de gros promoteurs, y compris des entreprises multinationales, sont responsables du traitement de ces employés sur leurs sites au Qatar », souligne l’ONG, qui espère que l’approche de la Coupe du monde braquera les projecteurs sur le Qatar, l’obligeant l’émirat à se mettre davantage en conformité avec les traités internationaux dont il est pour partie signataire.
À l’indépendance de l’émirat, en 1972, pour combler le vide démographique de sa principauté, avait favorisé la naturalisation de plusieurs centaines de membres des tribus originaires d’Arabie saoudite, du Yémen et d’Iran, dont beaucoup ont conservé leur nationalité et sont, de ce fait, des bi-nationaux.
Fait sans précédent, la déchéance arbitraire de nationalité des qataris a englobé également l’ensemble de leurs familles, femmes, enfants et collatéraux.
Au total 308 chefs de famille ont été sanctionnés dont deux foyers de 25 membres chacun, soit 50 personnes, deux foyers de 19 membres chacun, soit 38 membres, 2 foyers de 17 membres chacun, soit 34 membres, un foyer de 15 membres, quatre foyers de 14 membres chacun, soit 56 personnes, 5 foyers de 13 membres chacun, soit 65 personnes.

C – Le Qatar mercenaire du champ diplomatique

Toujours à la pointe du progrès, le Qatar, état négrier, a ajouté une nouvelle corde à son arc, en innovant une nouvelle forme de mécénat : le mercenariat diplomatique, non le mécénat, mais bien le mercenariat diplomatique, dans une démarche s’apparentant à un phénomène de compensation de son nanisme politique et de sa servitude militaire à l’égard des États-Unis. Sans la moindre protestation, à l’égard de leur valet, des parangons de la démocratie, le groupe des pays occidentaux fédérés au sein de l’Alliance Atlantique.

AH « Carbon Democracy » que de crimes on commet en ton nom.

Haytham Manna

 

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