Quand Boko Haram mobilise l’Occident…
Ah ! Les braves gens !
MM. Obama, Cameron et Hollande volent, toute affaire cessante, au secours des dirigeants du Nigéria pour libérer ces 276 pauvres filles des griffes du dangereux Abubakar Shekau, chef de la secte « islamique » (comme disent tous les médias de la terre) Boko Haram ! Même Michelle Obama – the first lady – a emboîté le pas aux politiques et apporté son onction à cette croisade contre la secte « islamique.» Immense buzz donc !
Et dire que, jusque-là, les effroyables bidonvilles de Lagos, la corruption sans borne qui sévit à tous les niveaux au Nigéria, la monumentale pollution du delta du Niger par Shell, la violence inouïe qui règne à Lagos et dans tout le pays, la drogue, les médicaments contrefaits, les expérimentations cliniques et médicales faites sur la population, à son insu… ne leur ont pas été rapportés par leurs ambassadeurs et leurs innombrables services secrets. Ni le fait que le Nigéria est le seul pays producteur de pétrole au monde à présenter un déficit budgétaire. Pour Mme Eva Joly, ce pays « a été pillé de probablement 20 milliards de dollars en 30 ans » partis en Suisse, en France, en Grande Bretagne et ailleurs probablement. Pour le Prix Nobel d’économie M. Joseph Stiglitz, l’inefficacité économique a aussi causé la fuite de cent milliards de dollars, investis à l’étranger plutôt que dans le pays (Wikipédia).
Il faut croire qu’il y a plus urgent pour MM. Obama, Cameron et Hollande : la lutte contre le terrorisme et… la promotion de l’islamophobie. Le Rideau de Fer et le Mur de Berlin sont tombés. Mais il faut au « monde libre » un ennemi – pour qu’éternellement tourne à plein régime le « complexe militaro-industriel » décrié par le Président Eisenhower et cher au vice-président Cheney- le massacreur de l’Irak-, faire oublier les problèmes internes de chômage, de sécurité sociale, d’insécurité… et essayé d’affirmer la prépondérance de l’Occident face aux pays émergents – et cet ennemi, c’est l’Islam. Boko Haram rejoint ainsi al Qaïda.
Ce faisant, l’Occident est dans son rôle, fidèle à son histoire. Soyons réalistes !
Ce qui est par contre incompréhensible, c’est le silence assourdissant des pays musulmans, des autorités et des organisations religieuses musulmanes. Comment se taire face aux folies criminelles de Boko Haram qui instrumentalise l’Islam ? Quel texte autorise ces aliénés à assassiner, violer et vendre des êtres humains ? Quelle sourate interdit à ces filles d’aller à l’école quand le Coran intime un ordre aussi clair que le « LIS » de la sourate 96? Quel commandement autorise la vente de ces jeunes filles comme « esclaves » pour 10 euros ?
Nos enturbannés, nos muftis, nos ayatollahs… gardent un assourdissant silence… comme lorsque l’on a attenté à la vie de Najib Mahfoud, qualifié de mauvais musulman. Sus à la culture et au débat d’idées ! Haro sur Salman Rushdie, l’auteur des « Versets sataniques ».
Pourquoi l’Occident se gênerait-il de traîner dans la boue la religion musulmane, son immense civilisation et sa profonde culture quand le Gardien des Lieux Saints et ses émules sont aux abonnés absents ? On instrumentalise l’Islam en fonction des circonstances et en fonction d’intérêts immédiats. Dernier exemple en date fourni par Le Monde (09 mai 2014, p. 18) : au Brunéi, le sultan Hassanal Bolkiah, dont la fortune est estimée à 20 milliards de dollars, a décidé d’appliquer la charia – par étapes – ainsi, les voleurs vont être soit amputés (comme en Arabie Saoudite) soit flagellés, à partir de la fin de l’année. Fin 2015, on lapidera pour crimes de sodomie ou d’adultère comme, par exemple, dans l’Afghanistan des Talibans, grandis dans le giron de la CIA enrôlés par les Etats Unis dans le combat contre « le communisme athée »… Mais le frère du sultan, Jefri Bolkiah, peut, lui, détourner 15 milliards de dollars sans que la charia ait un mot à dire ! De même, Mariam Aziz, l’ex-épouse du sultan, peut s’adonner aux jeux de hasard dans les casinos londoniens et y perdre d’un seul coup -et d’un seul -610 000 euros (plus de 1200 000 DT) sans que l’Islam à la sauce Brunéi ne trouve à y redire ! En somme, comme dit le proverbe arabe : « Autorisé une année, interdit l’année suivante. » Islam à géométrie variable donc.
Ailleurs, les choses se passent différemment. A Jérusalem – que le pape François visitera fin mai 2014 – des fanatiques ont tagué le 5 mai 2014, en hébreu, sur les colonnes du Bureau de l’Assemblée des Evêques au Centre Notre Dame : « Mort aux Arabes et aux Chrétiens et à tous ceux qui haïssent Israël. » Aussitôt, le Patriarche latin de Jérusalem est monté au créneau ainsi que les évêques pour exprimer officiellement leur inquiétude face au fanatisme et au manque de volonté politique de la part du gouvernement israélien de mettre un terme aux menées des fanatiques juifs et de veiller à la sécurité des chrétiens et de leurs propriétés – et notamment à celles du Saint Siège, l’Etat du Vatican. (Haaretz, 8 mai 2014)
Combien de fois la mosquée Al Aqsa a-t-elle été menacée par ces mêmes fanatiques et par la police israélienne sans que la Ligue arabe, la Conférence Islamique, nos rois, nos reines et nos présidents, al Qaradawi, al Azhar, la Zitouna, Ennahdha ou Hizb Ettahrir ne se saisissent sérieusement de cette profanation ?
Le pire est que cette inertie – pour le moins – a des répercussions ailleurs et amplifie l’islamophobie ambiante du Danemark- où le Parti du Peuple danois cible prioritairement les immigrés musulmans- à la Grande Bretagne et de la France aux Etats Unis.
Alphonse de Lamartine écrivait en 1854 : « Etre musulman est une nationalité spirituelle qui englobe des peuples de toute langue et de toute race. » Aujourd’hui, pour le plus grand bien d’un libéralisme échevelé et d’un marché sans éthique, tous les musulmans sont suspects… -en fait les immigrés, les travailleurs et les « métèques » haïs par les Le Pen et leurs acolytes-…par la grâce notamment des salafistes, d’al Qaïda, de Boko Haram, et aussi par la grâce de ceux qui imposent le voile à des fillettes de quatre ans, par ceux qui voient des avantages dans l’excision et dans le jihad en Syrie… Il est vrai que les islamophobes oublient que l’Eglise catholique, apostolique et romaine n’admet pas les femmes dans le clergé et se débat dans d’innombrables et sordides affaires de pédophilie – en Irlande, aux Etats Unis et ailleurs- comme ils oublient que la prière du matin de certains « hommes en noir » consiste à dire : « Merci mon Dieu de ne m’avoir pas fait femme. » Les islamophobes passent aussi sous silence les « exploits » de monstres tel « le très extrémiste rabbin Yitzhak Ginsburg »– émule du Dr Baruch Goldstein qui a tué, en 1994, vingt-neuf Palestiniens lors de la prière du sobh dans le caveau des Patriarches à Hébron- « qui a fait beaucoup parler de lui par ses écrits justifiant de facto le meurtre de non-juifs. » (Laurent Zecchini, « Les fanatiques de la colonie d’Yitzhar, adeptes du vandalisme anti palestinien », Le Monde, 10 mai 2014, p. 8).
Ainsi, à Béziers, le maire nouvellement élu avec l’aide décisive du FN a pour chef de cabinet « un islamophobe assumé ». A Villers-Cotterêts, les autorités municipales expriment publiquement leur racisme et, à Villejuif, près de Paris, Palestine Solidarité et l’association des musulmans du Val de Bièvre n’ont plus le droit de participer au vide-grenier annuel par « respect des autres communautés ». Et le quotidien l’Humanité (9 mai 2014, p. 32) de commenter avec malice : « Attention : la vue des musulmans – ou « présumés » comme disait Sarkozy – peut choquer les Français de souche. » Comme en Suisse où 22 cantons sur 26 ont voté, fin 2009, contre la construction des minarets, le maire FN de Mantes-la-Ville, dans les Yvelines, a interdit la construction d’une salle de prière – pourtant approuvée par l’équipe municipale précédente- car « ce n’est pas une priorité pour les habitants » affirme ce monsieur élu avec à peine 30% des voix. Ce qui donnera encore à sa patronne, Marine Le Pen l’occasion de fustiger « les prières de rue » ! Paroxysme d’un cartésianisme français à la mode FN…qui doit faire tourner dans sa tombe le pauvre René Descartes!
Il est clair que nos dirigeants vérifient parfaitement cet énoncé d’Adonis : « Comment prendre le pouvoir et l’accaparer : telle est la règle de la vie des Arabes et de leur culture. Quant aux questions : comment vivre ? Comment apprendre ? Comment travailler ? Comment réfléchir ? Comment combattre pauvreté et chômage ? Comment construire l’Etat et la société ? et comment progresser ?, elles sont secondaires et servent souvent au pouvoir de prétexte pour exterminer ses ennemis et ses opposants. »
Tout le reste est… basse politique pour ces dirigeants qui ne devraient pas perdre de vue ce que dit Jean-Paul Sartre : « L’impuissance du peuple, c’est toujours sa division intérieure, sa séparation d’avec lui-même. » Cette impuissance n’est pourtant pas éternelle, ajoute le philosophe, car « le peuple peut advenir une unité active », un évènement qu’il qualifie, après André Malraux, d’ « apocalypse ».
Le Président Moncef Marzouki a remis, le 9 mai 2014, les prix de psalmodie et de mémorisation du Coran à un Turc et à un Koweitien. Il aurait pu profiter de cette cérémonie, sous les lambris et les ors de la République, pour condamner les crimes de Boko Haram et les tenants de l’islamophobie. Il est vrai qu’en Tunisie, à l’heure actuelle, les élections préoccupent beaucoup de monde. C’est en somme leur qibla !
Mohamed Larbi Bouguerra