Quand des pacifistes américains font le siège de Guantanamo
source: http://www.mapzones.com/maps/cuba/guantanamo.php
Alors que Bush s’apprêterait à annoncer l’envoi de renforts en Irak, les militants antiguerre haussent le ton. Cindy Sheehan brave les interdictions et se rend à Cuba.
La figure de proue du mouvement antiguerre des États-Unis, Cindy Sheehan, est arrivée hier à La Havane, bravant ainsi l’interdiction des autorités de son pays pour participer à un rassemblement réclamant la fermeture de la prison installée sur la base états-unienne de Guantanamo, à la pointe est de l’île. « Peace Mom » (mère de paix), tel qu’on la surnomme outre-atlantique, qui a elle-même perdu son fils Casey en Irak en avril 2004, doit rejoindre d’autres militants pacifistes dans l’île pour participer à une marche vers la base navale états-unienne située dans l’est de Cuba. Là où 395 personnes arrêtées lors des opérations de l’armée états-unienne en Afghanistan et soupçonnées de liens avec al Quaeda sont emprisonnées en violation de toutes les conventions internationales, sans chef d’inculpation, dans le plus total arbitraire et soumises à des tortures, selon plusieurs témoignages. La marche est une des manifestations programmées jeudi prochain dans différents pays pour marquer le cinquième anniversaire de l’ouverture du centre de détention.
Des mesures d’intimidation
Les citoyens des États-Unis qui se rendent à Cuba sans autorisation spéciale de leur gouvernement s’exposent à des amendes pouvant aller jusqu’à plusieurs milliers de dollars. Cindy Sheehan, qui a déjà fait plusieurs séjours en prison à la suite de diverses initiatives antiguerre, ne s’en laisse pas compter une nouvelle fois par les pressions et les mesures d’intimidation de l’administration. De son côté, La Havane, qui ne cesse de dénoncer la base militaire implantée sur son territoire ainsi que le camp de détention, un « affront aux droits de l’homme les plus élémentaires », a autorisé les manifestants à défiler jusqu’au périmètre de sécurité cubain qui entoure l’enclave états-unienne.
Ce bras de fer intervient alors que les militants antiguerre, qui préparent une grande marche sur Washington pour le 27 janvier, haussent le ton un peu partout contre George W. Bush. Car celui-ci devrait annoncer au milieu de la semaine le contenu d’une réorientation stratégique en Irak, qui devrait se traduire initialement par l’envoi de… nouveaux renforts conséquents sur place. Il s’agirait, selon l’argumentaire qui a commencé à filtrer de la Maison-Blanche, de sécuriser ainsi Bagdad pour obtenir une stabilité politique du pays, en réduisant notamment la violence entre les différentes communautés, ce qui serait présenté comme un préalable indispensable avant un retrait des troupes états-uniennes.
La « réorientation » inclurait également un projet de relance de l’économie de l’Irak. Celle-ci est aujourd’hui totalement exsangue, avec un taux de chômage dépassant presque partout les 50 % de la population active, tant du fait de la situation de quasi-guerre civile qui entrave naturellement l’activité que des restructurations néolibérales imposées à coup de serpe par les forces d’occupation et le gouvernement irakien sous sa tutelle. Bush pointerait enfin le rôle des autorités irakiennes, invitées à davantage d’efforts pour lutter contre les milices.
La valse des postes à responsabilité de ces dernières heures au sein de l’armée semble confirmer cette option de l’envoi d’un renfort initial conséquent à Bagdad. Le New York Times présente ainsi dans son édition de samedi le général David Petraeus, nouveau commandant des forces états-uniennes en Irak, comme favorable à l’arrivée de cinq bataillons supplémentaires, soit plus de 15 000 soldats.
Les militants pacifistes sont néanmoins en phase, eux, avec une opinion publique dont le mécontentement à l’égard de la guerre, qui s’était déjà traduit par la cinglante défaite des républicains aux élections du midterm, a encore progressé depuis novembre. Et l’annonce de l’envoi de nouvelles troupes fraîches pourrait amplifier encore le phénomène, cette orientation pouvant être ressentie comme un geste de mépris à l’égard du message des électeurs et donc de la démocratie.
La tâche de Bush se complique
Soucieuse initialement de la recherche d’un consensus, pour traiter de la question irakienne en « partenaire avec le président », la direction du Parti démocrate a d’évidence changé de ton ces derniers jours. De crainte, sans doute, d’être prise en porte-à-faux avec les aspirations de ses propres électeurs. « Il est temps de terminer cette guerre (…). Augmenter les troupes est une stratégie que vous avez déjà essayée et qui n’a pas réussi », ont écrit la nouvelle speakerine de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi, et le chef de la majorité démocrate au Sénat, Harry Reid, dans une lettre au président Bush.
Ce climat devrait compliquer singulièrement la tâche du président. Surtout si la pression se renforce encore sur le Congrès – lequel peut, en dernier ressort, voter ou non de nouveaux crédits de guerre à l’exécutif – et si le rassemblement antiguerre du 27 janvier devant le Capitole à Washington prend des proportions réellement massives.