Quand le Nouvel Obs « organise » l’exode des Russes de Syrie…

Photo : Homs, 21 janvier 2013 : une unité de volontaires féminins de la nouvelle « Armée de Défense nationale« . Après tout, la défense de la Syrie est l’affaire d’un maximum de Syriens. Comme on disait chez nous, vers 1793, « la Patrie est en danger« ….

Le gouvernement syrien a donc annoncé la formation d’une force paramilitaire « institutionnelle », l’ »Armée de Défense nationale« , qui a vocation à regrouper des civils résolus à combatte l’insurrection islamiste. Ces volontaires doivent en principe agir sur leur lieu, ou dans leur région de résidence. Et l’ADN apparait donc comme une extension et une institutionnalisation des « comités populaires » dont les membres ont déjà fait, ces derniers mois, le coup de feu contre les rebelles, à Damas et à Alep.

Cette armée de réserve inclut-elle aussi les chabihas, ces miliciens pro-gouvernementaux accusés de tous les maux par les opposants et leurs relais médiatiques ? Oui, dans la mesure où pour les rebelles, tout opposant à leur « révolution » est un chabiha. L’OSDH reconnait que cette nouvelle « armée de défense civile » (l’expression est de Rami Abdel Rahmane lui-même) « a des hommes dans toutes les régions de Syrie » et qui s’entraînent « depuis le début de l’année« . Des hommes et des femmes : l’AFP a signalé la constitution d’une troupe de volontaires féminines dans la ville ô combien symbolique de Homs, et donné la parole à certaines d’entre elles. L’OSDH parle de 50 000 volontaires déjà armés et organisés. Ca nous parait une estimation « plancher », ou provisoire.

À propos de cette nouvelle structure, Rahmane se permet d’ajouter cette précision grotesque : les volontaires ont tous été « placés dans le pays » par l’Iran. Que doit on déduire de ce charabia ? Que les volontaires sont iraniens ? Ou bien que le gouvernement syrien n’est pas capable d’organiser lui-même ses partisans ? M. Rahmane doit être – c’est compréhensible au bout de tant de mois de mensonges – un peu fatigué…

Et toujours la légende urbaine de la « progression » des rebelles…

Naturellement, nos journalistes franco-atlantistes interprètent cette décision avec leur myopie militante habituelle. Mention spéciale à Céline Lussato, préposée à la désinformation et à la propagande pro-rebelles au Nouvel Observateur. Pour elle, la création de cette Armée de Défense nationale s’analyse comme une nouvelle « fuite en avant » du régime, et s’explique par l’irrésistible progression des rebelles « dont les victoires militaires se succèdent ». Tiens donc ! Les rebelles ont été écrasés à la fin de l’année dernière autour de Damas, ils sont en train de l’être plus précisément dans leur abcès de fixation de Daraya ; ils sont contenus et réduits à Alep, ils ont pratiquement été chassés de Homs et d’al-Qusayr, et on est sans nouvelle de leur offensive victorieuse à Maarat al-Numan depuis des semaines. Même un Rami Abdel Rahmane, numéro 1 de l’intox sur la Syrie et dont les communiqués pro-insurrection alimentent les rédactions occidentales depuis 22 mois, même lui a reconnu voici peu que le gouvernement contrôlait toutes les grandes villes du pays, à l’exception d’un tiers d’Alep. Et de l’aveu de leur ami l’universitaire-reporter belge Pierre Piccinin, leur « victoire » de la base aérienne de Taftanaz a consisté en fait à s’emparer d’une douzaine d’hélicos immobilisés par des problèmes techniques.

Et il en va de Tazftanaz comme de toutes les petites bases ou postes abandonnés par l’armée : les « victoires militaires » dont parle la bobotte Lussato sont des victoires de communiqué. Au fait, quel succès véritable, incontestable, et significatif les rebelles ont-ils pu annoncer à leurs amis des médias français depuis ne serait-ce que trois mois ?

Cette mobilisation par le gouvernement des civils n’est donc ni tout à fait nouvelle, ni dramatique : la Syrie dans son ensemble, dans sa population, son patrimoine  et ses équipements, est menacée dans son identité et son avenir par l’action des bandes de fanatiques à soutien étranger. Il est normal qu’un maximum de Syriens aident l’armée, dont les effectifs, malgré tout limités, sont sollicités sur plusieurs fronts – et aussi dans des missions de sécurité passive et de garnison, on ne doit pas l’oublier. Cette aide est particulièrement précieuse dans les villes, les volontaires connaissant leur quartier. D’autant que l’existence de ces unités – « citoyennes » pour le coup – peuvent avoir un effet dissuasif, ou compliquer les infiltrations ennemies.

Lavrov contre Lussato

Naturellement, Céline Lussato s’efforce aussi de faire mousser l’arrivée à Beyrouth de deux avions de ligne russes destinés à l’évacuation de Syrie d’une centaine de ressortissants. Une centaine, sur plusieurs dizaines de milliers, deux avions, et voilà qui suffit à Mlle Lussato pour offrir à ses lecteurs un titre aussi fracassant que mensongers : « Pourquoi Poutine rapatrie-t-il ses ressortissants ?« .  Et voilà comment, grâce au clavier biaisé de la journaliste, deux avions deviennent un pont aérien, et cent personnes un exode massif des Russes de Syrie. On notera que dans le corps de son article, la Lussato est obligé de donner un intertitre plus modeste : »Moscou rapatrie des ressortissants« .

De même, elle est bien obligée de citer l’explication d’un diplomate russe : les lignes aériennes russes ne fonctionnant plus depuis Damas, les deux avions de Beyrouth ont pour mission d’évacuer « quelque 100, maximum 150 personnes » qui veulent quitter la Syrie. Qu’y a -t-il d’étonnant au fait à ce que certains Russes veuillent quitter un pays qui connait les troubles que l’on sait. Et comme le rappelle le diplomate cité par Lussato, il y a des milliers de russes en Syrie. Mais, « naturellement », la journaliste du Nouvel Obs, à l’instar de ses collègues bobs d’I-Télé, du Monde et autres France 24, guette le moindre sous-signe de « désengagement » ou d’ »évolution » de la Russie sur le dossier syrien. Cela fait  plus d’un an qu’il en est ainsi, depuis que la Russie, en février 2012, au Conseil de sécurité, a opposé son véto aux tentatives conjuguées des Euro-américains et de la Ligue arabe de s’offrir une intervention »à la libyenne » en Syrie.Depuis, les médias alignés ne se consolent pas de cette intolérable « frustration ».

Que Céline Lussato guette, surinterprète et déforme, la position russe est claire, et a a été exprimée plusieurs fois par un Sergueï Lavrov : le départ de Bachar est « impossible » et du reste ne correspond pas aux exigences de l’accord de Genève du 30 juin 2012, base de travail des intervenants internationaux (à l’exception peut-être du Qatar et de la Turquie) sur le dossier syrien. Le ministre russe des Affaires étrangères vient encore (ce mercredi matin) de préciser la position de son pays : « Nous ne nous fixons pas (sous entendu « contrairement à d’autres« ) d’objectifs géopolitiques, tels que la chute du régime. Notre priorité consiste à stabiliser la situation en Syrie, ainsi qu’à mettre fin à l’effusion de sang dans le plus brefs délais ». Et Lavrov de pointer du doigt – une fois de plus – certains « acteurs extérieurs » qui ont à l’évidence « d’autres priorités« .

Mais le chef de la diplomatie russe ajoute ceci, qui est intéressant : « Nous en discutons avec eux (les « autres« , c’est-à-dire les Occidentaux), et ils semblent tout comprendre, ils semblent être conscients de la menace présentée par l’éventuelle chute de l’État syrien, mais lorsqu’ils s’adressent au grand public, ils disent des choses bien différentes« . Sergueï Lavrov dénonce là, sans ambigüité diplomatique aucune, le double langage des Occidentaux sur la Syrie, coincés par 22 mois d’engagement pro-rebelles et confrontés à l’absurdité de leur analyse d’une situation qui les fait soutenir en Syrie ceux qu’ils bombardent au Mali. Encore que dans le cas américain, il faut prendre en compte un certain cynisme stratégique : l’important n’était-il pas pour Washington que la Syrie soit détruite ? Mais, si l’on en croit Lavrov – et il y a des raisons de le croire – ses interlocuteurs sont bien « embêtés » par le dossier syrien.

Et puis il faut redire, au-delà des textes et déclarations officielles, que la Russie ne lâchera pas la Syrie – donc Bachar al-Assad – parce qu’il s’agit, au-delà des considérations économiques et militaires, d’une question crédibilité internationale, presque d’honneur national : c’est par la Syrie que la Russie s’est hissée, ces derniers mois, sur la première marche du podium diplomatique, fédérant par son exemple et son impulsion tous les opposants à l’hégémonisme américain, devenant vraiment le challenger de Washington à l’échelle de la planète. Une chute du régime syrien – de plus en plus improbable – serait donc un revers terrible pour Poutine. Voilà pourquoi les deux avions russes de Beyrouth, chère Céline Lussato, ne sont pas les hirondelles annonçant le printemps de la soi-disant « révolution syrienne« .



Articles Par : Louis Denghien

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