Print

Quarante ans depuis le premier atterrissage lunaire
Par Patrick Martin
Mondialisation.ca, 22 juillet 2009
WSWS 22 juillet 2009
Url de l'article:
https://www.mondialisation.ca/quarante-ans-depuis-le-premier-atterrissage-lunaire/14494

Voilà maintenant quarante ans aujourd’hui, soit le 20 juillet 1969, deux astronautes américains, Neil Armstrong et Edwin (Buzz) Aldrin, devenaient les deux premiers êtres humains à fouler le sol lunaire. Cet exploit historique, scientifique et technologique est d’autant plus remarquable que la période d’exploration habitée du satellite de la Terre inaugurée par Apollo 11 n’aura pris fin qu’à peine plus de trois ans plus tard. La totalité des six missions lunaires furent complétées durant le premier mandat d’un unique président américain, Richard M. Nixon.

Lorsqu’Eugene Cernan, Ronald Evans et Harrison Schmitt revinrent sur Terre à bord d’Apollo 17 le 19 décembre 1972, Nixon était à la Maison-Blanche, Léonid Brejnev dirigeait au Kremlin et Mao Tsé-Tung était au pouvoir en Chine. L’armée des Etats-Unis venait à peine d’entamer l’opération Linebacker II, ou les bombardements de Noël comme on les appelait, des villes de Hanoï et de Haiphong, pour faire pression sur la délégation nord-vietnamienne aux pourparlers de paix à Paris.

Quarante ans plus tard, l’atterrissage lunaire demeure un exploit inégalé d’ingénierie, d’organisation et d’audace, réalisé avec une technologie rudimentaire selon les critères du 21e siècle. Alors que moins d’années le séparaient de la Seconde Guerre mondiale que de notre présent, le milieu des années 1960 vit l’apparition du huit pistes, du premier laser primitif et du coussin gonflable pour la voiture. Le circuit intégré était encore en développement. Les calculs complexes nécessaires pour le voyage de la Terre à la Lune et de son retour étaient effectués par de gigantesques ordinateurs fonctionnant à l’aide de tubes sous vide et de transistors et utilisant des cartes et du papier perforés.

Les huit ans d’effort qui ont été couronnés de succès par la présence de l’homme sur la Lune furent le résultat de circonstances sociales et politiques spécifiques qui rendirent possible une énorme mobilisation de ressources. Lorsque le président John F. Kennedy annonça l’objectif d’envoyer un homme sur la Lune en moins d’une décennie, l’impérialisme américain était à l’apogée de sa Guerre froide contre l’Union soviétique et avait pris du retard dans le domaine spatial, après que cette dernière eu lancé avec succès le satellite Spoutnik et envoyé le premier homme dans l’espace, le cosmonaute Youri Alekseïevitch Gagarine.

Spoutnik fut l’impulsion initiale de ce qui devait devenir la « course à l’espace », mais les vastes ressources du capitalisme américain, de loin la plus grande puissance économique mondiale, rendirent possible le succès ultime du programme Apollo. A son apogée, le programme nécessitait la prouesse technique et manufacturière de 90 000 scientifiques et ingénieurs et de 420 000 travailleurs en tout, représentant ainsi plus de la moitié de toutes les dépenses en recherche et développement aux Etats-Unis.

Même si Kennedy avait donné son approbation, sa motivation était d’abord politique : dissiper le prestige mondial acquis par l’URSS. « Je ne suis pas intéressé par l’espace », avait-il dit à James E. Webb, administrateur à la NASA, à la fin 1962. « Je crois que c’est une bonne chose et que nous devrions en connaître plus. Mais cela représente des dépenses fabuleuses. »

Vers le milieu des années 1960, les budgets de la NASA commencèrent à subir davantage de pressions en raison de l’augmentation des dépenses pour la guerre du Viêt-Nam. Durant la période précédent le voyage sur la Lune, la NASA et sa main d’oeuvre subirent des coupures systématiques, la planification devint à plus court terme et on commença à chercher une nouvelle mission pour le programme spatial : une situation qui perdure aujourd’hui.

La période de 40 mois de voyages habités sur la Lune, de juillet 1969 à décembre 1972, représente en de nombreux points le tournant crucial dans l’histoire du capitalisme américain et mondial de la période d’après-guerre. Les dépenses pour les budgets militaires et les luttes salariales du mouvement ouvrier américain mettaient davantage de pressions sur la position financière du capitalisme américain; ce qui se reflétait dans l’augmentation du déficit commercial.

Le 15 août 1971, le président Nixon annonça à la télévision nationale un profond changement dans les politiques économiques des Etats-Unis, mettant un terme au système monétaire international, établi lors de la conférence de Bretton Woods en 1944, qui reposait sur la convertibilité du dollar en or à 35 $ l’once. Il annonça aussi un gel de salaires pour une durée de 90 jours et un supplément tarifaire de 10 pour cent sur les importations.

Ces décisions avaient une profonde signification historique. Le capitalisme américain n’était plus en mesure de jouer le rôle de stabilisateur du système financier mondial. Face à un nouvel essor de rivaux capitalistes en Europe et en Asie, et à un puissant mouvement ouvrier au pays, la classe dirigeante américaine jugea nécessaire d’entamer un changement drastique dans sa politique internationale et intérieure.

Les années 1970 furent marquées par d’intenses récessions et une série d’attaques contre le mouvement ouvrier, notamment la grève de 111 jours des mineurs américains où l’administration du démocrate Jimmy Carter tenta sans succès d’utiliser la loi Taft-Hartley pour briser la grève. En 1980, avec des taux d’intérêts au-dessus de 10 pour cent, l’élite dirigeante américaine porta au pouvoir l’administration Reagan et entama une campagne pour casser ouvertement les syndicats et désindustrialiser qui entraîna une décennie de grèves acerbes, toutes isolées et défaites par la collaboration de la bureaucratie syndicale de l’AFL-CIO.

Le résultat de ces défaites fut un déclin colossal dans les conditions de vie de la classe ouvrière américaine. Ce n’est pas une coïncidence si l’année 1972, celle qui marqua la fin des missions lunaires habitées, marqua aussi l’apogée des conditions de vie de la classe ouvrière aux Etats-Unis. Le capitalisme américain venait d’entrer dans une période historique de déclin irréversible, un processus qui s’exprime dans tous les domaines de la vie sociale et culturelle.

Dans sa politique étrangère, ce déclin provoqua une série d’aventures militaires agressives. Après une période de réduction des dépenses à la suite de la défaite au Viêt-Nam, l’impérialisme américain débuta un développement de son armée qui était dirigé contre l’URSS et les régimes nationalistes du « tiers-monde » qui tentaient de louvoyer entre les Etats-Unis et le bloc soviétique.

Le programme spatial était totalement subordonné à cette poussée pour la suprématie militaire. L’exploration au-delà de l’orbite terrestre devint le rôle des machines, et le programme habité se consacra à la navette spatiale, conçue tout spécialement par l’administration Reagan en tant qu’annexe à ses plans « Star Wars » visant à installer dans l’espace des systèmes d’armement offensifs et défensifs.

On donna symboliquement à la navette spatiale une mission « civile » : établir les fondations pour une station spatiale permanente. Mais son véritable objectif était de fournir au Pentagone des possibilités accrues pour lancer des satellites d’espionnage et, si elles pouvaient être conçues, de véritables armes spatiales. L’échec technologique de « Star Wars » fit cependant que le programme spatial n’avait plus de véritable objectif, et les budgets de la NASA stagnèrent.

Les pertes de Challenger en 1987 et de Columbia en 2003 mirent en évidence les limitations inhérentes au programme de la navette spatiale et l’impact de la détérioration de la position économique du capitalisme américain. La NASA disposait de tout juste assez de ressources pour maintenir le programme opérationnel, mais pas suffisamment pour prévenir la prochaine catastrophe. Finalement, après Columbia, la NASA fut forcée d’annoncer l’abandon progressif du programme de la navette et le retour à des missions par fusées de type Apollo, qui ne seront prêtes qu’après 2015 au plus tôt.

De plus, la station spatiale, qui n’est qu’aujourd’hui presque complétée après des dépenses de 100 milliards de dollars durant plus de deux décennies, devra être abandonnée en raison d’un manque de financement. Le directeur du programme de la station spatiale de la NASA, Michael T. Suffredini, a dit au Washington Post la semaine dernière : « Au premier trimestre de 2016, nous allons préparer la station à quitter l’orbite terrestre. »

L’impasse du programme spatial américain n’est pas la conséquence d’échecs des scientifiques et ingénieurs qui y ont adhéré en souhaitant véritablement faire une contribution à l’émergence de l’humanité vers une existence interplanétaire. La NASA continue de faire des avancées techniques et scientifiques par une série de brillants efforts pour explorer le système solaire à l’aide d’engins robotisés : dans la dernière année seulement, le survol de Mercure, la mission Phoenix vers Mars, les succès encore à ce jour de deux robots explorateurs posés sur Mars cinq ans plus tôt, la réparation du télescope spatial Hubble et des préparatifs pour d’autres missions vers des planètes plus éloignées.

En dernière analyse, l’exploration réussie de l’espace est au-delà des capacités de tous les Etats-nations, même les plus riches et les plus avancés technologiquement. De plus, dans les conditions actuelles de crise économique, ce qui reste des gains passés sera rapidement perdu.

Comme toutes les tâches historiquement progressistes, l’avancement de l’humanité dans l’espace dépend du fait de surmonter les barrières érigées par le système de profit : la propriété privée des moyens de production et la division du monde en Etats-nations rivaux qui se font compétition. En d’autres mots, cela dépend du développement d’un mouvement indépendant de la classe ouvrière mondiale, basé sur un programme socialiste.

Article original en anglais, WSWS, paru le 20 juillet 2009.

Avis de non-responsabilité: Les opinions exprimées dans cet article n'engagent que le ou les auteurs. Le Centre de recherche sur la mondialisation se dégage de toute responsabilité concernant le contenu de cet article et ne sera pas tenu responsable pour des erreurs ou informations incorrectes ou inexactes.