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Quatre ans après le massacre de San José de Apartadó : Terreur et mort de la part d’un État colombien complice
Par Adriana Petro
Mondialisation.ca, 15 avril 2009
Tlaxcala 15 avril 2009
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En février 2005, peu après la réélection du président colombien Alvaro Uribe Vélez, a eu lieu le massacre de San José de Apartadó.  Comme aucun autre acte de terreur commis par les paramilitaires, celui-ci a permis d’établir clairement la complicité de l’armée colombienne avec les groupes paramilitaires, qui appliquent le principe ténébreux dominant que «la fin justifie les moyens» en matière de lutte contre la subversion, invoqué par l’administration Uribe, qui, au cours des dix dernières années, a semé la mort et la terreur dans tout le pays.

Dire «comme aucun autre acte de terreur» ne signifie nullement qu’il s’agit d’un acte isolé.  En effet très nombreux sont les massacres, les assassinats sélectifs, les «déplacements forcés» (expulsions de population par l’emploi de la violence) et les cas de personnes portées disparues.  Au cours des mandats d’Alvaro Uribe Vélez, d’abord en tant que gouverneur d’Antioquia puis en tant que président de la Colombie, ces actes ont été commis au nom de la pensée uribienne sur la lutte anti-guérilla.

Car selon le discours d’Uribe, il n’y aurait qu’un seul ennemi, la guérilla colombienne, qu’elle porte le nom de FARC, d’ELN ou d’EPL, et c’est contre elle qu’il a orienté presque toutes les activités de son administration.  Mais la réalité s’impose malgré le discours du maître.  Les justifications et les mensonges ne peuvent être maintenus éternellement.  Par exemple le magazine «Semana», l’un des principaux médias colombiens faisant du journalisme d’enquête, a publié un long dossier sur le massacre de San José de Apartadó.  Ce dossier contient plusieurs témoignages, entre autres ceux qui font partie du processus que continue de mener la Fiscalía (services du Procureur de la Pépublique), ceux du capitaine d’armée Armando Gordillo et ceux qui portent sur les sanglants événements de l’opération «Phoenix», planifiée par 17e Brigade d’Urabá, qui a constitué l’un des épisodes les plus sanglants de la guerre en Colombie : les massacres de «Mulatos» et de «La Resbalosa».

Le capitaine Gordillo affirme que quand il est arrivé à Nueva Antioquia, ses supérieurs du Bataillon Vélez (le lieutenant-colonel Orlando Espinoza et le major José Fernando Castaño) avaient coordonné entièrement le massacre, qui allait avoir lieu conjointement avec le groupe paramilitaire «Bloque Héroes de Tolová».  Ce groupe était dirigé par un paramilitaire récemment démobilisé, connu sous le nom de «Melaza» (mélasse), qui est une vieille connaissance de l’armée, et qui était un visiteur assidu de la 17e Brigade.


Photo: El Colombiano

Les supérieurs de Gordillo ont attribué à ce dernier un groupe paramilitaire, qui était coordonné par le paramilitaire surnommé « Quarante-quatre ».  Les événements qui s’en suivirent montrent que l’opération était une forme de représailles contre la guérilla.  Les victimes du raid étaient des civils, dont de nombreux enfants, qui ont eu la gorge tranchée ou ont été démembrés.  Cet acte de barbarie a été perpétré dans la meilleure tradition des massacres commis par les «chulavitas», bandes criminelles qui défendaient les idées du Parti conservateur à l’époque de «La Violencia», en Colombie entre 1936 et 1948.


Photo Jesús Abad Colorado, El Tiempo

Le paramilitaire Jorge Luis Salgado, alias « Kiko », du «Bloque Héroes de Tolová», actuellement en prison, a raconté au Bureau du procureur général ce qui s’est passé ce soir-là : «(…) j’ai vu qu’il y avait une femme morte sur le sol (…) soudain, ils ont signalé aux commandants qu’il y avait des enfants à l’intérieur de la maison (…).  Je crois qu’ils étaient sous le lit (…) ils ont été emmenés de là dans la cour de la maison (…) quelqu’un a demandé au commandant ce qu’on allait faire avec ces enfants et on est arrivés à la conclusion que ces derniers seraient une menace à l’avenir, et on a dit textuellement qu’en grandissant ils deviendraient des guérilleros (…) pour cela on a donné l’ordre de les exécuter en silence (…) à ce moment leur père est arrivé tenant une machette dans sa main (…) les petits ont crié «Papa!» (…) il leur a dit qu’il ne se passerait rien et a supplié les commandants de bien vouloir ne pas tuer les enfants (…) il s’est ensuite mis à genoux les mains sur la nuque  (…) les enfants ont couru vers lui (…) et c’est alors que le père, conscient de ce qui allait arriver, a dit aux enfants qu’ils allaient faire un long voyage et que probablement ils n’en reviendraient pas (…) la petite fille est alors allée chercher dans un  sac de plastique des vêtements pour enfants et en les lui remettant a fait un geste d’adieu de la main (…)»

L’opération conjointe a duré encore trois jours, c’est-à-dire presque jusqu’à la date où le scandale du massacre a été annoncé par les médias du monde entier.

De son côté, le général Carlos Alberto Ospina, commandant des forces armées, qui est placé directement sous les ordres du président de la République, a essayé de faire croire aux médias, cartes en main, que les militaires, selon les coordonnées au moment du massacre, étaient loin du lieu où celui-ci a été commis.  Or on a établi qu’un officier avait donné l’ordre de modifier les coordonnées de l’emplacement de l’armée au moment de l’opération.  Et, comme si cela ne suffisait pas, le président Uribe lui-même, au lieu de condamner le massacre, de demander des clarifications sur les faits et de chercher à trouver et punir les auteurs, a accusé la communauté de San José de Apartadó de refuser aux militaires et aux policiers l’entrée dans la région.

Saisie de méfiance, la «Communauté de Paix de San José de Apartadó», a refusé de parler avec les représentants de la justice.  Les procureurs et les enquêteurs ont donc commencé à chercher des preuves de tous les côtés, et, il y a deux ans, le Bureau du procureur général, dans un acte inhabituel et surprenant, a convoqué pour interrogatoire 60 militaires de la 17e Brigade qui avaient été impliqués dans les faits, pour essayer de briser le pacte de silence qui semblait exister entre eux.

Les organismes de justice ne savaient pas quoi faire : il était clair que le massacre avait été perpétré conjointement par des militaires et des paramilitaires, mais ils ne savaient pas par où commencer, et la «Communauté de Paix» refusait de parler.  C’est grâce au témoignage de « Melaza » qu’ ils ont pu commencer à démêler l’écheveau.

À la fin de 2007, cette histoire a pris une tournure définitive, « Melaza » ayant été capturé dans le cadre de l’enquête qui a suivi la mort de Carlos Castaño (chef paramilitaire assassiné par ordre des autres chefs paramilitaires).

Le témoignage de « Melaza » a, dès le début, incriminé le capitaine Armando Gordillo relativement au massacre.  À son tour, ce dernier a déclaré que ses supérieurs étaient impliqués.  En novembre 2007, il a déclaré textuellement ce qui suit : «J’ai rencontré mon général Fandiño à un appartement de la rue 106 (Bogotá).  Il m’a montré la déclaration du surnommé « Melaza » et a dit qu’on m’appellerait, très probablement, pour un interrogatoire.  Il m’a dit que je ne devais jamais dire que les militaires allaient avec des « guides civils armés » (c’est ainsi qu’il avait appelé les paramilitaires), ou avec d’autres personnes que des soldats, qu’il y avait déjà des déclarations de deux informateurs des FARC, qui avaient dit que ces personnes avaient été tuées par le Front 58 des FARC.

Pour cacher la vérité, les commandants de l’armée ont donné l’ordre à l’un de leurs subordonnés de mentir à la justice colombienne, mais il est clair que les commandants de l’armée n’agissent pas de leur propre chef mais obéissent à des ordres directs du président dans la conduite de la guerre.

C’est pour cela qu’aujourd’hui, dix militaires sont appelés à comparaître à un procès, entre autres le colonel Espinoza et le major Castaño.  Le procureur Mario Iguarán a annoncé que l’on fera une enquête sur le général Héctor Fandiño, qui était alors commandant de la Brigade.

Au moins six des paramilitaires qui ont participé au massacre sont morts.  Le surnommé « 44 », qui connaissait des éléments-clé de ce qui s’est passé, a été tué à Valencia, Córdoba, l’an dernier.  «Mélasse» et «Kiko» sont fortement gardés en prison pour les menaces qu’ils ont reçu.  Le procès se poursuit.

Voir le reportage de Hollman Morris, La Masacre de San Jose de Apartadó (Espagnol, sous-titres anglais) ici

Article original, Cuatro años de la masacre de San José de Apartadó: Terror y muerte de un estado colombiano cumplice, publié le 13 avril 2009.

Traduction : Tlaxcala.

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