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Que des enfants soient assassinés impunément confirme notre déclin
Par Daniel Vanhove
Mondialisation.ca, 03 mars 2018

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Comme Européen, et plus largement comme Occidental, c’est avec consternation que je constate notre déclin. D’aucuns me diront que l’Europe et l’Occident ne sont pas seuls sur cette funeste voie. Mais, en ces temps particulièrement troublés où la confusion est soigneusement entretenue, je pense qu’il convient d’assumer d’abord et en priorité sa propre culture avant d’avoir le regard critique sur celle des autres. Et aujourd’hui, il faut être aveugle, inculte ou vraiment de mauvaise foi pour ne pas voir et reconnaître que nous sommes déjà loin sur cette pente descendante.

Les domaines dans lesquels ce déclin se vérifie sont multiples. On peut en citer quelques-uns : que ce soit au niveau économique – le nouveau Graal – avec des taux de croissance largement inférieurs depuis des années à ceux des pays ‘émergents’ (selon la nouvelle terminologie) ; que ce soit au niveau financier avec des banquiers qui se comportent souvent comme des gangsters sans foi ni loi, prêts à dépouiller leurs clients pour renflouer leurs opérations perdantes ; que ce soit au niveau social où le taux de précarité, de pauvres et de sans-abris ne cessent d’augmenter tout comme celui du chômage, manipulé pour tenter de faire accroire l’inverse ; que ce soit au niveau de l’environnement où la nature est violentée de toutes parts avec une accélération de la disparition des espèces, des mers qui se vident, et où la pollution envahit toutes les strates de la société avec en corollaire l’explosion des cancers ; que ce soit au niveau éducatif où nombre de parents démissionnaires, dépassés, n’osent plus gérer les conflits avec leurs enfants, préférant céder à leurs caprices ; que ce soit au niveau de l’enseignement où les jeunes sortent des écoles tellement mal préparés à la société qui les attend que les seuils de réussite ont été abaissés, et que beaucoup ne savent plus lire ni écrire correctement ; que ce soit au niveau du taux de natalité en lente mais constante diminution tant l’incertitude mine les couples quant à leur avenir ; que ce soit au niveau de l’information où les médias dominants sont aux mains de quelques nantis s’en servant pour promouvoir leur idéologie consumériste sans se priver d’y lancer des ‘fake news’ pour y parvenir ; que ce soit au niveau artistique où l’art est devenu une vulgaire marchandise, le plus souvent obscène, au lieu d’être un mode d’expression créatif qui transcende l’individu ; que ce soit au niveau de l’éthique dont les frontières semblent des plus floues et mouvantes au fil des tendances et des modes ; etc, etc… dans une liste qui s’allonge au fur et à mesure que l’on explore les champs d’activités humaines.

Dernière ineptie en date : après les multiples tueries perpétrées depuis des années sur les campus américains causant un nombre terrible de jeunes victimes par des citoyens et parfois leurs condisciples armés, le président Trump qui n’entend pas remettre en cause la circulation endémique des armes dans le pays – merci pour le lobby qui s’en réjouit [1] – n’a pas trouvé autre chose à proposer que d’armer les professeurs… Voilà l’idée de génie qu’aucun autre président n’avait imaginée avant lui ! Et l’étape suivante, quelle sera-t-elle ? Armer les étudiants qui pourraient soudain se trouver face à un prof dépressif ou qui pète un câble, pour n’importe quelle raison comme cela se passe parfois dans des classes de plus en plus nombreuses et face à des étudiants qu’il n’est pas toujours aisé de discipliner ?!

Or, comment tout cela s’est-il lentement mis en place, sinon par un déclin majeur, supérieur à tous ceux qui en découlent et qui n’est autre qu’un déclin moral ? Déclin moral sur toute la ligne. Avec comme exemple le plus probant celui des responsables politiques devenus d’une incompétence qui n’a d’égale que leurs mensonges, leur hypocrisie et leur arrivisme à tout crin. Dès qu’ils accèdent au pouvoir, ceux-là s’en servent pour leurs propres intérêts, oublient les principes de bonne gouvernance les plus élémentaires, se vendent aux plus offrants, au lieu de se mettre au service de leur pays et de ses citoyens. Avec pour seul objectif, leur plan de carrière et les multiples avantages qu’ils vont pouvoir en tirer. Ils n’ont plus le moindre sens de la solidarité et développent un égoïsme forcené, prêt à tout pour parvenir à leurs fins. Ce sont d’ailleurs dans le sens le plus négatif qui soit, des ‘parvenus’ !

Si les exemples de ce déclin moral entamé il y a des années apparaissent clairement, l’un d’entre eux, à la fois le plus fragile mais aussi le plus symptomatique, est la Justice. Tellement bafouée qu’elle n’en a souvent plus que le nom. Celle-ci, fondement même d’une société saine et équilibrée entre ses citoyens, pierre angulaire d’un édifice sociétal équitable, a de plus en plus tendance à ne s’exercer ‘qu’à la tête du client’ et au profit d’une poignée de privilégiés – blancs, de préférence – lésant par retour tous les autres qui sont pourtant majoritaires. Donnée vérifiable aussi bien en politique intérieure qu’extérieure. L’idéologie néolibérale menée à travers une ‘globalisation’ acharnée privilégie ces quelques-uns qui ont déjà tout au détriment du plus grand nombre qui ont de moins en moins. Quantité de rapports en attestent, dénonçant la richesse éhontée de quelques individus quand l’écrasante majorité du reste de la planète se traîne pour survivre à cette injustice flagrante. [2] Sans même aborder les paradis fiscaux, qui ne sont fréquentés que par ces voyous, étant entendu qu’à un tel niveau de richesse, aucun salarié ne peut prétendre aux sommes astronomiques que ceux-là mettent à l’abri via une ingénierie fiscale qu’eux seuls peuvent se payer et hors de portée du commun des mortels. Le plus absurde d’un tel comportement réside dans le fait que ces voyous ne semblent même plus se rendre compte que jamais de leur vivant, ils ne pourront dépenser leur fortune. Et pourtant, ils n’en n’ont jamais assez ! A ce stade, il n’y a plus aucun doute : ce sont des malades, que la richesse n’abrite pas de la bêtise… loin s’en faut !

Autre exemple de cette Justice moribonde : comment est-il possible qu’un Etat factice – Israël [3] – soit maintenu et porté à bout de bras par l’ensemble des pays occidentaux quand manifestement et au su de tout le monde, cette colonie pratique tout ce que l’Europe et l’Occident affirment proscrire : l’apartheid, le vol de terres, la torture, le crime généralisé ainsi que des procédés cent fois condamnés par les instances des Nations-Unies mais face auxquels pourtant nos Etats ferment les yeux ?! Ces derniers multiplient lois et résolutions mais dans ce cas semblent singulièrement incapables de les faire respecter. Puis, leurs responsables s’étonnent et s’offusquent du manque de civisme de certains individus… Si donc, ils commençaient par être cohérents et par mettre eux-mêmes en pratique ce qu’ils exigent de leurs citoyens ! N’est-il pas dit que l’exemple vient d’en haut ? Dans la foulée, faut-il rappeler la manière dont les Etats-unis, modèle porté aux nues par des médias dociles, ont traité les prisonniers d’Abou-Ghraïb, ou de Guantanamo ? Faut-il rappeler que certains de nos pays européens se sont prêtés aux pratiques de la torture pour le compte des mêmes Etats-unis ? C’est donc cela, l’image de la Justice et des Droits de l’Homme que nous trompetons fièrement partout ?!

Cet usage d’une Justice à géométrie variable a des répercussions négatives incalculables et ruine le crédit auquel prétend l’Occident, donneur de leçons de morale dans sa sempiternelle habitude de dicter aux autres gouvernements la manière dont ils doivent agir et se comporter en termes de ‘droits de l’homme’ et de ‘justice équitable’. Leur inculture s’étale en long et en large, dans leur incapacité à comprendre comment fonctionnent les autres sociétés, à travers des cultures qu’ils n’ont pas la curiosité d’approcher, ni l’effort de connaître ni d’étudier pour en découvrir et apprécier toutes les richesses, les particularités, pensant toujours être au summum du progrès et se bornant à répéter des clichés éculés. Et depuis des décennies, à travers ce baratin, à quoi assistons-nous ? Dans l’étroite parcelle de terre palestinienne, des enfants munis de cailloux – mais surtout de courage ! – font face à l’une des armées les plus puissantes du monde. Et se font battre, emprisonner, torturer et massacrer par elle. Dans un silence général. Comme la pire des double-peines. Sans que les voix des responsables politiques de nos pays occidentaux s’élèvent pour condamner fermement et prendre les mesures de rétorsion à l’encontre de ces pratiques odieuses. Que du contraire : toute notion de Justice la plus élémentaire semble absente, et pas un seul gouvernement plus courageux que son voisin pour dire à cet Etat factice : « STOP ! Vous avez dépassé les bornes depuis longtemps, vous allez réparer et payer maintenant ». Sous peine de sanctions, de blocus et d’embargos comme ils sont pratiqués si aisément à l’encontre de tout Etat qui ne se risquerait pas au centième de ce que se permet celui-là.

Sous nos yeux, des enfants versent jusqu’à leur dernière goutte de sang là où nos responsables politiques sont incapables d’utiliser la première goutte d’encre pour prendre des décisions contraignantes vis-à-vis des méthodes criminelles d’un Etat colonial avec lequel au contraire, ils nouent des ‘Accords d’association’ et déroulent le tapis rouge à chaque occasion ! Sans parler de certains imposteurs intellectuels, responsables et invités médiatiques plus zélés que d’autres allant jusqu’à vouloir criminaliser toute critique de ces pratiques ! Voilà où mène le déclin moral et l’effondrement de toute éthique : dans ce cas précis, nos démocraties sont devenues de vraies ‘collabos’. Comme au temps du fascisme !

Oui, le déclin de l’Occident trouve son origine dans sa faillite morale. Pire : non seulement ce déclin est évident, mais aujourd’hui il s’accélère. Et l’illustration la plus flagrante en est le fiasco militaire que l’on peut observer au Moyen-Orient où toutes les guerres ruineuses qui y sont menées – sans le consentement des citoyens à qui les Etats imposent un saccage social pour financer leurs aventures guerrières – à travers des alliances qui se font et se défont avec les USA ne mènent qu’au désastre. Jamais depuis la suprématie européenne puis américaine sur le plan militaire les choses n’ont tourné de la sorte. Et ce, malgré des budgets d’une indécence inégalée en termes de dépenses en armement – les USA dépensent à eux-seuls près de 2 milliards de US$ par jour pour leur machine de guerre. Vous lisez bien : près de 2 milliards d’US$ par jour (716 milliards estimés pour 2019). Alors que diverses études expliquent qu’environ un tiers de ce budget, soit 265 milliards suffiraient à éradiquer la pauvreté dans le monde à l’horizon de 2030. [4] Mais comme tout empire, l’Occident fier et arrogant refuse de le voir. Et s’entête dans une fuite en avant, votant dans tous les pays alliés aux USA des budgets ‘Défense’ en augmentation sous prétexte que la Russie serait redevenue la principale menace pour l’ensemble des pays de l’OTAN.

Après la chute du Mur de Berlin et la décomposition de l’URSS, l’Occident n’avait plus de raison d’alimenter ses budgets militaires comme il le fit pendant les années de ‘guerre froide’. Contrariant de la sorte les profits du lobby industriel de l’armement, qui se trouva alors un nouvel ennemi : l’islamisme radical sous l’appellation fourre-tout de ‘terrorisme’. Dont chacun a pu voir toutes les dérives ‘sécuritaires’ qu’en ont tirées nos gouvernements depuis, à travers la multiplication de lois liberticides. Et les médias dominants aux mains de voyous du même acabit n’exercent plus leur rôle de contre-pouvoir, que du contraire, ils en rajoutent une couche : là où l’information doit jouer son rôle de libérer la parole opposée, la contradiction, elle participe au festin des princes et nous enferme dans le ‘prêt-à-penser’. Ce ‘terrorisme’ tout aléatoire d’ailleurs en fonction des régions où il se manifeste – ‘terrorisme’ quand il frappe nos intérêts, mais non désigné comme tel quand il les sert – n’est-ce pas du terrorisme quand 600.000 enfants meurent en Irak parce que nous y décrétons un embargo sur les médicaments…  n’est-ce pas du terrorisme d’avoir saccagé l’Irak, puis la Libye et leurs sociétés… n’est-ce pas du terrorisme ce qui se passe actuellement au Yémen dans un silence effroyable malgré une épidémie de choléra faisant des milliers de victimes auprès des enfants…? Et va-t-on oublier la déclaration du ministre des Affaires étrangère : ‘Al Nosra fait du bon boulot’ s’exclamait le sinistre Fabius – étant de plus en plus remis en cause et contesté, l’Occident a ressorti le spectre de la nouvelle Russie emmenée par son président V. Poutine, et dans l’ombre celui de l’Iran et de la Chine, bientôt première puissance mondiale à tous niveaux. Très étonnamment, trois Etats qui contestent l’ordre que l’Occident veut continuer d’imposer au monde.

Pas étonnant que la parole politique soit à ce point dépréciée, moquée et fustigée par l’ensemble des populations. A ce stade, ces cols blancs sont de vrais délinquants et ont perdu tout crédit. Et hélas, leur imposture mène de plus en plus de citoyens dans les bras d’une extrême-droite qui se déclare ‘décomplexée’ et que l’on voit s’affirmer un peu partout. Et en fait, cette approche rogue et méprisante de pointer systématiquement chez les autres la source de nos problèmes sécuritaires ne fait que confirmer notre déclin. Parce qu’à travers un appel et une rhétorique bien huilée, cette idéologie reprise aux temps sombres de notre histoire plaidant pour un retour vers plus de patriotisme, de nationalisme, cette présentation des choses écarte, empêche voire interdit toute remise en question de leurs choix. Nos décideurs semblent croire que plus leur langage sera militaire, belliqueux et martelé avec force, plus ils seront crédibles. Ne se rendant même plus compte, enfermés dans leur microcosme, que c’est exactement l’inverse qu’ils produisent comme effet. La France et sa diplomatie déliquescente, toujours imprégnée de son détestable esprit colonial, en est encore à jouer les gros bras face à B. Al Assad, quand plus personne ne l’écoute dans la région du Moyen-Orient où elle s’est totalement décrédibilisée. C’est dire, la stupidité irresponsable et l’incompétence de ceux-là… qui moulinent désormais dans le vide !

Alors que la raison de ce déclin est toute autre. La raison, je le répète, est morale. Nos dirigeants, souvent incultes, se comportent comme des prédateurs, comme propriétaires de la machine d’Etat qu’ils sont censés servir. Leur arrivisme doublé de leur bêtise les aveugle au point de mélanger les plans. Et voilà ce à quoi les citoyens sont obligés d’assister : des enfants démunis et déjà privés de presque tout depuis les décennies que dure cette scandaleuse occupation de la Palestine, abandonnés à leur sort face à une armée coloniale impitoyable. Des enfants ! Et personne de ce gotha politico-médiatique n’a plus la probité ni le courage, ni le minimum d’éthique pour intervenir et y mettre fin. Et pareil pour ce qui s’est passé en Irak, en Libye, en Syrie et ce qui se déroule aujourd’hui au Yémen. Nos sociétés ne sont même plus capables de protéger les enfants, c’est dire la faillite !

Ce silence et cette indifférence non seulement les rend complices mais fait d’eux des assassins par procuration. Dès lors, de deux choses l’une, soit il faut que ces imposteurs soient renversés et jugés pour leurs crimes au profit de responsables qui auront un sens moral renouvelé ; soit il ne restera qu’à guetter le temps où ce déclin entraînera le renversement jusqu’à la ruine de l’Occident même si cela se fera dans les douleurs, comme dans tout renversement. Nous ne resterons pas éternellement à l’abri. Et sans sursaut majeur pour revoir en profondeur nos erreurs, afin de les corriger, notre avenir risque d’être à l’image de ce que nous voyons dans ces pays lointains que nous ravageons. Et l’Occident risque bien d’être à son tour, traité comme il aura traité ceux qui ne demandent qu’une chose : qu’en priorité la Justice prévale sur toute autre considération.

 Daniel Vanhove

Le 2 mars 2018

Notes

[1] Il y a plus d’armes à feu en circulation (env. 357 millions) que d’habitants (env. 320 millions) avec pour conséquences un nombre effrayant d’homicides quotidiens, à raison de 2 par heure, soit 48 / jour. Voir :

https://fr.sputniknews.com/international/201802161035172679-tuerie-usa-statistiques/

[2] https://www.inegalites.fr/La-repartition-du-patrimoine-dans-le-monde

[3] Je parle « d’Etat factice » dans la mesure où d’après la Résolution 181 du 29.11.1947 recommandant le partage de la Palestine en deux Etats, l’un arabe et l’autre juif, la lecture stricte de cette Résolution implique qu’aucun de ces deux Etats ne peut exister sans la reconnaissance explicite de l’autre. Ils sont liés l’un à l’autre par cette Résolution. Si donc, Israël ne reconnaît pas la Palestine selon les frontières comprises dans cette Résolution 181, celle-ci est caduque ce qui entraîne de facto l’inexistence de l’Etat israélien et le retour à la Palestine historique. 

[4] http://www.lemonde.fr/planete/article/2015/07/11/il-faut-investir-de-267-milliards-de-dollars-par-an-pour-eradiquer-la-faim-d-ici-2030_4679595_3244.html

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