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Que devient la biosécurité?
Par Global Research
Mondialisation.ca, 11 novembre 2005
GRAIN 1 octobre 2005
Url de l'article:
https://www.mondialisation.ca/que-devient-la-bios-curit/1235

La signature du Protocole de Cartagena le 29 janvier 2000 fut saluée partout comme une victoire par ceux qui voulaient faire échouer les OGM. Il existait des limites et des lacunes à combler, mais on fut en général d’accord pour convenir que le Protocole plaçait la question de la biosécurité sur une base convenable – garantissant le principe de précaution, reconnaissant l’importance des aspects socio-économiques et des consultations publiques et laissant la possibilité aux pays de continuer en prenant des dispositions réglementaires plus strictes que le minimum établi par le Protocole. Rien de spectaculaire, mais il y avait au moins une base minimum à partir de laquelle on pouvait construire quelque chose.

Cinq ans plus tard, la plupart de ces processus multilatéraux sont bloqués. La dernière série de négociations a été mise en échec par seulement deux pays aux ordres de l’industrie GM et tout montre que ce type de stratégie va en s’intensifiant. Il y a donc très peu de chances que les négociations progressent à l’avenir. Mais ce qui est bien pire pour nous, c’est que le Protocole n’a pas suscité les véritables législations que nous attendions au niveau national. Pays après pays, nous constatons que les législations et les politiques sont mises en place pour faciliter l’introduction des cultures GM, même si les gouvernements proclament leur intérêt pour la biosécurité et leur adhésion au Protocole. En Amérique latine, certains appellent ces lois les « Lois Monsanto ».

Pour GRAIN et ses partenaires dans le monde entier, le principe de base est que les cultures GM sont complètement incompatibles avec la souveraineté alimentaire. Les plantes cultivées GM sont des créations produites par une industrie privée de haute technicité qui les a brevetées, et elles ne peuvent pas être intégrées dans des systèmes agricoles implantés et conduits localement par les agriculteurs sans leur nuire. Les conséquences des plantes GM sont une menace essentielle pour ces systèmes. Ces plantes représentent des risques inhérents, à la fois sanitaires, environnementaux, socioéconomiques et culturels. Nous ne connaissons pas une seule plante GM sur le marché ou développée par la recherche qui pourrait justifier qu’on prenne de tels risques, en particulier pour les pays pauvres où une grande partie de la population est agricole. Dans ce contexte, un mécanisme de biosécurité réellement efficace devrait interdire l’accès aux plantes GM. Les deux alternatives sont incompatibles : soit vous avez des plantes GM soit vous avez la biosécurité. Le problème est que les gouvernements – sous la pression grandissante d’un lobby pro-OGM très offensif – font plus souvent le contraire : ils se servent de la législation de la biosécurité pour avaliser l’introduction des cultures GM.

En Afrique…

Le Groupe des pays africains a été le moteur d’un Protocole de biosécurité fort et la Loi modèle de l’Union africaine de 1999 fut la première à mettre en place un cadre pour les lois nationales de biosécurité ancrées dans la réalité et sans le battage publicitaire et les promesses de l’industrie GM. Mais l’Afrique est depuis devenue la cible d’un lobby pro-OGM prêt à tout pour ouvrir de nouveaux marchés et améliorer ses relations publiques. La solidarité existant entre les pays africains et leurs bonnes intentions sont mises à rude épreuve.

Alors qu’il y a quelques années, les institutions et les gouvernements d’Afrique partageaient le point de vue que la manipulation génétique était une technologie dangereuse et qu’il fallait être prudent avec elle, aujourd’hui, certains gouvernements, comme ceux du Kenya, du Burkina Faso, de la Tanzanie et de l’Ouganda, rivalisent pour faire de leurs pays les vitrines africaines de l’industrie GM. Ce changement est largement dû aux travail incessant de lobbying de l’industrie GM et des organisations d’aide comme l’USAID i. Soutenus par des capitaux illimités et une aide très généreuse accordée à n’importe quel projet de recherche sur les OGM qu’un chercheur du pays pourrait avoir envie d’entreprendre, ces efforts semblent être récompensés. Un certain nombre de pays africains voient la législation sur la biosécurité comme un moyen de développer les moyens de la recherche locale sur la manipulation génétique pour leurs scientifiques qui sinon seraient privés de financements. Le Burkina Faso était si impatient de s’engager avec Monsanto pour introduire le coton Bt qu’il a commencé les essais en champs avant même que le comité national de biosécurité ait pu établir une politique en la matière. Les réglementations de biosécurité ont par la suite été décidées par décret ministériel, sans participation publique. Et comme on pouvait s’y attendre, le préambule du décret semble tout droit sorti d’une brochure de Monsanto et aucune réglementation ne parle de traçabilité, de participation publique, de transparence ou de responsabilité. Par contre ces réglementations fournissent une multitude de détails sur la manière dont les firmes GM doivent recruter et indemniser les scientifiques burkinabé – ceux-là mêmes qui sont chargés des autorisations ! La Tanzanie et le Kenya, qui sont les cibles clefs des programmes GM de l’USAID, passent aussi outre la biosécurité au profit des programmes de « recherche ».ii

Tous ces pays déclarent agir en conformité avec le Protocole de Biosécurité et la plupart ont fait partie du processus de renforcement des capacités coordonné par le PNUE-FEM – un processus qui a totalement échoué à aider au développement de réelles compétences en matière de biosécurité en Afrique. Beaucoup d’experts du PNUE-FEM servent à faire l’apologie de l’industrie GM, donnant des conseils erronés et applaudissant les gouvernements qui laissent une totale liberté aux OGM tout en respectant à peine les exigences minimales du Protocole de biosécurité. Le Lesotho est un bon exemple de pays où le PNUE-FEM a contribué à transformer un processus de biosécurité correct en structure administrative simplifiée servant à approuver sans discussion la diffusion des OGM.iii

Il existe certains pays africains où la législation sur la biosécurité n’a pas encore été détournée par le lobby GM. La Zambie a courageusement résisté à la forte pression extérieure exercée sur ce pays pour qu’il accepte l’aide alimentaire GM. Le cadre national de biosécurité du Mali et le projet de loi sur la biosécurité sont complètement à l’opposé de ceux du Burkina Faso – son plus proche voisin. La loi malienne est l’une des quelques lois africaines qui s’inspirent directement de la loi modèle de l’Union africaine et elle est très ferme sur l’étiquetage, la responsabilité et la participation publique. Effectivement, à l’intérieur de la sous-région de l’Afrique de l’Ouest, comme dans d’autres sous-régions d’Afrique, le panorama des dispositifs nationaux de biosécurité est très varié: le cadre de biosécurité du Togo penche vers la précaution et accorde une attention particulière aux risques socio-économiques; celui du Ghana est résolument pro-OGM; et le Bénin a un moratoire de 5 ans sur les plantes GM. Cependant, ce qui importe, ce n’est pas la loi mais la volonté politique. Le gouvernement du Bénin n’a rien fait pour faire appliquer le moratoire, et il travaille même en secret avec l’USAID pour l’introduction du coton BT. Le Mali dispose d’un cadre solide sur le papier, mais le pays vient de rejoindre les autres pays de la CEDEAO iv en annonçant son soutien à l’agriculture GM et en s’engageant à mettre en place d’ici 5 ans un système harmonisé de réglementations pour les OGM. En ceci, l’Afrique de l’Ouest n’est pas la seule. Les programmes d’harmonisation destinés à créer des marchés régionaux regroupés pour l’industrie GM sont en cours partout en Afrique – financés et dirigés par l’USAID. En Afrique du Sud, l’un des seuls pays africains à disposer d’une loi sur la biosécurité, les lois contiennent des dispositions correctes concernant l’accès à l’information et le droit de faire appel, mais le gouvernement et l’industrie se sont associés pour empêcher les gens d’exercer leurs droits.v

En Asie…

Il n’y a pratiquement pas eu de tentatives de mettre en place une législation de biosécurité significative avec les premières expériences de cultures GM en Asie. En 2001, l’Indonésie est devenue le premier pays du Sud-Est asiatique à autoriser la production commerciale d’une culture GM avec la mise en circulation du coton Bt de Monsanto. Monsanto a essayé de soudoyer les fonctionnaires pour faire échouer l’étude requise sur les conséquences environnementales et, après deux ans d’échecs successifs des récoltes, les agriculteurs indonésiens, sans avoir recours aux indemnités prévues par la loi, ont chassé la compagnie. Cela n’a pas empêché le gouvernement d’autoriser une introduction limitée de coton Bt dans d’autres districts. Le coton Bt a aussi été commercialisé en Chine sans aucune surveillance réelle – même pas avec le plan classique de gestion des insectes résistants qu’on peut observer dans d’autres pays gros producteurs de coton GM. Aux Philippines, il existe un Cadre national de biosécurité et un Comité national de biosécurité en fonction depuis 1990, mais, en pratique, la biosécurité n’est pas sérieusement prise en compte. Le maïs Bt de Monsanto a été autorisé il y a trois ans et le Département de l’Agriculture doit maintenant entreprendre la surveillance faisant suite à l’introduction. Mais au lieu de cela, des programmes sont en cours pour introduire davantage de variétés GM aux Philippines, et un fonctionnaire a même reconnu, dans le secret de l’anonymat, qu’une variété de maïs Bt avait déjà été autorisée à être vendue et plantée.vi

Comme en Afrique, il y a un fossé énorme entre ce que les gouvernements asiatiques disent sur la biosécurité et ce qu’ils font. Pendant que la Chine annonçait au monde sa décision de signer le Protocole de biosécurité, elle était en train d’empêcher la divulgation des rapports sur la diffusion illégale de riz GM à partir de ses propres stations de recherche.vii Le désir du gouvernement indien d’être une nation leader en matière d’OGM le conduit aussi à écarter les questions relatives à la biosécurité. Malgré une opposition générale de l’opinion publique vis à vis des cultures OGM, sa nouvelle Stratégie de développement des biotechnologies ne mentionne pas les questions de responsabilité des compagnies ou de contamination, et planifie une introduction massive des cultures GM sur 10 ans. Des groupes de la société civile sont en train de contester cette stratégie auprès de la Cour Suprême.viii

D’un autre côté, le projet de loi sur la biosécurité de la Malaisie prévoit des dispositions ambitieuses sur la responsabilité et la réparation, mais il est difficile d’imaginer qu’elles seront maintenues ou appliquées dans un pays où le gouvernement dirige sa propre entreprise de biotechnologie (Malaysian Biotechnology Corporation).

En Asie, on constate que la pression extérieure et le consentement des gouvernements rencontrent une forte opposition populaire à l’agriculture GM. En Thaïlande, par exemple, où la vigilance de la population et les manifestations contre la contamination issue des essais en champs de cultures GM avaient poussé le gouvernement à adopter un moratoire, on voit que ce dernier est prêt à l’abandonner au premier prétexte venu. Quand les Etats-Unis ont signalé que la levée du moratoire était la condition requise préalable aux négociations des accords de libre échange entre la Thaïlande et les Etats-Unis, le Premier ministre Taksin s’y est immédiatement plié. La réaction de protestation de l’opinion publique l’a obligé à reculer, mais un nouveau rapport du gouvernement, émis par son Comité national sur les politiques biotechnologiques, a donné le feu vert à la coexistence avec l’agriculture GM, une mesure qui est en désaccord profond avec l’opinion publique.

En Amérique latine…

Le sénat mexicain a fait la sourde oreille à l’opposition généralisée exprimée par les universitaires, les agriculteurs et les écologistes et a fait passer une loi sur la biosécurité et les OGM le 15 février 2005. Baptisée la « Loi Monsanto » par la société civile, celle-ci présente des faiblesses sur plus d’un point, de l’insuffisance de réglementations concernant l’étiquetage à l’absence d’un mécanisme efficace sur la responsabilité et la réparation. La loi facilite essentiellement les choses à l’industrie pour qu’elle obtienne les autorisations pour ses cultures GM. Mais il y a une opposition très forte aux cultures GM au Mexique, en particulier depuis qu’on a découvert que les variétés traditionnelles du centre d’origine du maïs avaient été contaminées par les variétés GM. Les autorités connaissaient la contamination depuis 2001 mais n’ont pris jusqu’à présent aucune disposition. Cette nouvelle loi légalise en fait ce genre de contamination et confirme l’état d’impunité actuel.

Vers la même époque, au Brésil, une autre « Loi Monsanto » était adoptée, le 2 mars. Cette loi était tellement mauvaise que même le Ministre de l’Environnement l’a publiquement dénoncée. Dans un communiqué, le Ministre a déclaré qu' »il considère de son devoir de montrer au public les risques environnementaux potentiels qui seront entraînés par la loi qui a été ratifiée ». L’objectif de la loi était de légaliser la culture du soja RR de Monsanto, qui était en train de se répandre illégalement depuis quelques temps dans les principales régions productrices de soja du Brésil, avec l’accord tacite de Monsanto. Des processus similaires pour imposer des « Lois Monsanto » sont en cours dans d’autres pays d’Amérique latine, où la culture illégale de plantes GM et la contamination sont aussi en train de se généraliser.

Cette campagne de promotion des OGM rencontre une opposition décidée. Au Costa Rica, par exemple, une importante coalition de groupes a envahi un atelier de travail sur la biosécurité du PNUE-FEM en août 2004 pour distribuer une déclaration demandant « un moratoire permanent sur l’ensemencement et la dissémination des OGM au Costa Rica … [et] la création d’un véritable cadre de biosécurité qui reconnaisse que la biosécurité est synonyme d’élimination des facteurs qui pourraient entraîner des risques pour la diversité biologique et culturelle ».

Résistance au Roundup sur le terrain

Partout dans le monde, nous constatons que, dans la plupart des pays, les processus politiques concernant les lois et les politiques de biosécurité sont déconnectés des populations qu’ils sont censés servir. Cela se passe ainsi: un petit groupe composé de membres de l’élite locale est assis autour d’une table avec des technocrates de l’USAID, de la FAO et du DPNUE-FEM qui leur soufflent […ce qu’ils doivent faire] à l’oreille. Et l’industrie GM est là aussi, avec ses attachés-cases pleins d’argent, pendant que les petits agriculteurs sont complètement écartés du processus.

Pourtant, si beaucoup de ces processus gouvernementaux sur la biosécurité peuvent laisser pessimiste ces derniers temps, ce qui se passe ailleurs permet d’être plus positif. De nombreuses raisons d’être optimiste émanent de ce qui se passe à la base sur le terrain. Pas seulement dans la résistance croissante aux OGM, mais aussi dans les mouvements sociaux dont les efforts deviennent de plus en plus élaborés. Là où les gouvernement nationaux refusent d’écouter, les gens localisent leurs luttes là où ils peuvent exercer un contrôle plus démocratique, comme dans les zones sans OGM. Les collectivités prennent aussi en mains « l’évaluation des risques », en menant des recherches, en organisant des tribunaux populaires, et en contestant les « experts ». Si les organisations sur le terrain n’avaient pas réuni les informations sur l’échec du coton Bt dans l’état de l’Andhra Pradesh en Inde, les autorités de l’état n’auraient jamais retiré l’autorisation à Monsanto pour ses variétés de coton Bt.

Les inquiétudes généralisées concernant les cultures GM font naître de nouvelles alliances, et un engagement qui conteste les structures mêmes du pouvoir qui sont à l’origine des problèmes de lois sur la biosécurité.

En témoigne le récent forum qui a eu lieu à Fana, au Mali, où des paysans ont rejoint des militants de tous les secteurs pour dénoncer les manœuvres pour privatiser la compagnie nationale du coton et introduire le coton GM, deux éléments que les participants ont vus comme liés de très près. Et là où la contamination par les OGM a déjà eu lieu, les collectivités cherchent maintenant des stratégies de décontamination qui rendront leurs systèmes agricoles locaux même plus solides qu’avant, en particulier au Mexique où les communautés autochtones définissent leurs propres méthodes pour traiter la contamination de leur maïs sacré.

Les processus de législation sur la biosécurité sont en train d’être trop facilement co-optés pour devenir des instruments favorables à une industrie GM prête à tout pour imposer des cultures GM à la planète. Le problème fondamental ici est que ces processus se décident généralement derrière des portes closes, loin des réalités du terrain, alors qu’ils ont besoin de descendre dans les champs et les rues, où ces questions ont réellement de l’importance. Il ne peut y avoir de véritable biosécurité que si la situation est renversée.

i Pour plus de détails sur la manière dont l’industrie et l’USAID font pression pour introduire les cultures GM dans le Tiers-Monde, voir « L’USAID, où comment faire pour que le monde ait faim d’OGM » GRAIN, http://www.grain.org/briefings/?id=192

ii Mariam Mayet, « Comments on the National Biosafety Guidelines For Tanzania, Third Draft, June 2004 », African Centre for Biosafety, March 2005: http://www.biosafetyafrica.net/tanzania.htm and Mariam Mayet, « Comments on the Kenyan Biosafety Bill, » African Centre for Biosafety, March 2004: http://www.biosafetyafrica.net/kenya.htm

iii Mariam Mayet, « Comments on Lesotho’s Biosafety Bill, » African Centre for Biosafety, June 2005: http://www.biosafetyafrica.net/lesotho.htm

iv Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest, pays membres: Bénin, Burkina Faso, Cap Vert, Gambie, Ghana, Guinée, Guinée Bissau, Liberia, Mali, Niger, Nigeria, Sénégal, Sierra Leone, Togo.

v Voir le site de Biowatch pour plus d’informations: www.biowatch.org.za

vi « Philippines clears planting of second biotech corn » by Dolly Aglay, Reuters News, May 11, 2005, http://www.agbios.com/main.php?action=ShowNewsItem&id=6504

vii Xun Zi, « GM rice forges ahead in China amid concerns over illegal planting, » Nature Biotechnology 23: 637, 5 Jun 2005: http://www.nature.com/nbt/journal/v23/n6/full/nbt0605-637.html

viii Aruna Rodrigues & Ors. vs. Union of India & Ors. Writ Petition (Civil) 260 of 2005

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