Que faire quand la confiance dans les «élites» est ruinée?

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Rarement un texte n’a présenté au cours des dernières années une telle importance pour une discussion d’éthique sociale de fond et n’a offert une telle orientation que l’ency­clique Caritas in Veritate parue au début de juillet (cf. Horizons et débats n° 32). On y trouve des textes fondamentaux applicables à tous les domaines de la vie et à toutes les disciplines.

Un des points fondamentaux de l’ency­clique se trouve dans la thèse selon laquelle le développement de l’être humain est freiné par une absence d’«amour de la vérité», une absence de moralité foncière.

En vérité, bien des maux dont nous souffrons aujourd’hui nous viennent d’une absence de volonté éthique touchant notre sensibilité, notre pensée et nos actions. Ce fait ne provient pas d’une absence de fondements éthiques, mais bien de ce qu’ils ne sont pas pris en compte – ce qui incite à poser quelques questions, telles que:

•    Pourquoi ces fondements ne sont-ils pas respectés?

•    Pourquoi n’exige-t-on pas avec plus d’insistance le respect de ces fondements?

•    Que faut-il faire pour que ces fondements ne soient pas seulement consignés par écrit, mais respectés dans notre vie en société?

Donner une réponse à ces trois questions est une nécessité vitale pour la société. Et il faut s’y mettre d’urgence, car l’humanité est confrontée de plus en plus au fait que les comportements criminels ne sont pas propres aux milieux criminels poursuivis par les organes de l’Etat, mais qu’on les trouve chez nos «élites» en politique, dans l’économie et dans la finance, et aussi chez les militaires, dans les médias et les milieux culturels, sans qu’ils soient pour autant poursuivis par les or­ganes étatiques alors qu’ils sont devenus, pour parler comme saint Augustin, des «bandes de brigands» foulant aux pieds la justice.

Une des tristes conséquences de ce phéno­mène est que tous ces mensonges officiels de nos «élites» détruisent la confiance si nécessaire à la vie en société, garante d’un comportement honnête.

Il ne faut pas s’imaginer que cette con­fiance mise à mal pourrait être régénérée par des attitudes allant du principe selon lequel «la confiance, c’est bien, mais il vaut mieux contrôler», au «terrorisme de la vertu». Pour qu’il y ait amélioration, il faut certainement se fonder sur une éthique de la compassion.
Quelques exemples récents nous montrent à quel point la confiance est détruite:

•    De nombreuses enquêtes ont montré que les conséquences désastreuses de la crise financière mondiale sont dues notamment à une crise de confiance. On n’agit plus cartes sur table, si bien que nombreux sont ceux qui ont perdu tout crédit. Ce qui est vrai pour le monde de la finance l’est aussi pour d’autres domaines: d’autres «élites» ont perdu leur crédit, sans toutefois en tirer les conséquences. En Allemagne, par exemple, la campagne pour les élections législatives donne l’impression que les politiciens de premier plan n’ont toujours rien compris, qu’ils ne pensent qu’à conserver le pouvoir. Et il ne s’agit pas d’un cas isolé. Spiegel Online a écrit, le 12 août, à propos d’une apparition en campagne électorale du candidat socialiste Steinmeier, qu’il «se trouvait parmi ses camarades de parti, entouré des intellectuels du coin et de journalistes, mais qu’il n’a pas adressé un mot à la population». Il est recommandé de lire les 100 premières pages du dernier livre d’Udo Ulfkotte «Vorsicht Bürgerkrieg. Was lange gärt, wird endlich Wut». [«Attention à la guerre civile. Ce qui couve finit par exploser de colère»] On y découvre à quel point une partie de la classe politique allemande a abandonné toute morale et toute décence. Les conséquences dépassent de loin la sphère privée, touchant l’ensemble de la collectivité.

Qu’on lise également le nouvel ouvrage de Thomas Darnstädt («Der globale Polizeistaat. Terrorangst, Sicherheitswahn und das Ende unserer Freiheiten»), qui donne un aperçu de ce que cette bande de brigands imagine pour se maintenir en place et éviter de devoir, un jour, rendre des comptes.
Rappelons-nous aussi les appels pathétiques de Willy Wimmer, qui s’est retiré du Parlement où il représenta pendant de ­longues années le parti chrétien-démocrate (CDU), n’accordant plus aucune confiance à ses collègues (cf Horizons et débats n° 29 du 27/7/09)

•    Selon la «Neue Zürcher Zeitung» du 8 août, le conseiller du président Obama pour les questions de terrorisme a recommandé de ne plus parler de «guerre contre le terrorisme». En effet, la politique du prédécesseur d’Obama, Bush, a eu pour conséquence que l’on reproche aux USA de vouloir précipiter les populations dans la misère et l’absence de droits. Il s’agit donc maintenant de prendre des mesures politiques, économiques et sociales de façon que les populations qui sont encore des terreaux de terrorisme ne manquent plus de sécurité, d’éducation, de travail et de revenus, ni non plus d’estime de soi et de dignité. Mais comment y croire alors que des milliers de soldats américains sont envoyés en renfort dans cette guerre barbare que l’on projette d’étendre au Pakistan, causant inutilement toujours plus de victimes et de souffrances, alors qu’aucune des lois d’exception dictatoriales n’a été abrogée aux Etats-Unis.

•    La plainte déposée par la journaliste Jane Burgermeister montre qu’en politique de la santé nous avons également affaire à une violation flagrante du droit, à une atteinte au droit des peuples à la vie et à la santé. Il s’agit en outre d’une violation de la confiance au niveau mondial car sous prétexte de protéger la santé, on s’efforce de lui porter atteinte.

Toutefois, le fait que cela apparaisse publiquement, que les gens ne se taisent plus face à ces manigances mais les révèlent est un bon signe. Un autre signe de changement est le fait qu’une institution au rayonnement universel telle que l’Eglise catholique romaine puisse présenter un texte comme l’ency­clique dont il est question au début de cet article. Les bandes de brigands dominatrices ont exagéré et on peut entrevoir qu’elles sont au bout de l’impasse. La nature humaine n’est pas éternellement malléable. Citons un propos devenu célèbre: «On peut tromper un peuple tout entier pendant un certain temps, on peut tromper une partie du peuple tout le temps, mais on ne peut tromper tout le peuple tout le temps.»

Comment éviter que le chemin menant à un monde meilleur ne fasse autant de victimes que celui qui nous a conduits dans l’impasse? L’humanité a aussi pour tâche de trouver une réponse à cette question et chacun peut y contribuer. Le grand philosophe Emmanuel Kant a dit, il y a deux cents ans: Aie le courage d’utiliser ta raison! Nous pouvons ajouter aujourd’hui, forts de notre expérience: Aie le courage d’affirmer ta dignité d’être humain et de vivre selon ta conscience. Et encore: Cherche à savoir quelles voies ont suivies les peuples dans leur volonté de liberté, d’égalité, de solidarité, d’autodétermination et de souveraineté.  



Articles Par : Karl Müller

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