Quel monde après la COVID-19?

S’il est prématuré de formuler des réponses définitives, il n’est pas trop tôt pour regarder vers l’avant. Un virus a fait basculer l’économie mondiale de l’animation dans les affres de la paralysie. Pour un temps, tout est en sommeil et la décroissance dépasse tous les vœux des défenseurs de l’environnement.

Les crises dévoilent l’architecture, les failles et les lignes de fracture des systèmes. L’actuelle pandémie est un choc sismique. Reste à savoir si l’après ressemblera à l’avant, ou pas. Retour au statu quo ante ou passage à autre chose ?

L’économie mondialisée sur la sellette

La mondialisation néolibérale est un besoin du capitalisme. L’épuisement du modèle keynésien laisse peu d’espoir de profits dans les pays développés. On délocalise des industries dans des pays-ateliers à bas coût de main-d’œuvre, conçus comme sous-traitants. Désindustrialisés et tertiarisés, les pays industriels se concentrent sur les services, tout en gardant les industries militaires, les secteurs de pointe et l’agriculture. L’émigration des emplois industriels et la précarisation des autres font baisser le pouvoir d’achat, lequel doit être soutenu par le crédit. La sphère financière prospère et le consumérisme qui permet d’acheter la paix sociale sont sauvés.

L’édifice s’apparente à un château de cartes. Le système tourne à crédit et va de bulle en bulle au gré des échafaudages astucieux des magiciens de la finance. La crise de 2008 sonne l’heure de la vérité. On s’en tire par une injection massive de liquidités pour recapitaliser les banques par qui le mal est arrivé et tout continue comme avant, quoique avec une croissance chétive. États, entreprises et particuliers sont criblés de dettes. La sortie de la crise laisse prévoir la prochaine édition, car l’endettement est insoutenable à long terme. La COVID-19 la précède. Plutôt que les banques, ce sont les entreprises et les particuliers qu’il faut d’urgence sauver en 2020.

L’après-crise sera-t-il le même ? En Europe, des dirigeants chantres de la mondialisation heureuse évoquent maintenant la relocalisation des entreprises, la réindustrialisation, le redéploiement industriel, les nationalisations. Trump avait été élu pour rapatrier les entreprises. Le bilan ne pouvait être que maigre, car la précondition est une dévalorisation du prix du travail et une baisse du niveau de vie, déclencheurs de troubles sociaux. La renationalisation des économies exigerait la nationalisation des entreprises, propriétés privées obéissant à la loi du profit, donc portées à mondialiser. Sont possibles des « New Deals » relançant les économies par la construction d’infrastructures publiques sous la houlette des États. Dans les deux cas, une remise en question du « paradigme » libéral s’imposerait. Faute de quoi, la secousse passée, on reviendrait à la mondialisation pré-COVID-19.

Épiphanie de l’État

Nonobstant une idée reçue, la mondialisation néolibérale n’évacue pas l’État. Elle le plie à ses besoins. Domestiqué et provincialisé, il fait office de relais de pouvoirs supranationaux plus à même d’épauler la mondialisation. Sa souveraineté est soumise à des amputations au nom de l’interdépendance et de la « gouvernance » globale. Cela dit, on a toujours recours à lui en temps de crise. Il était de retour en 2008.

Le fait nouveau en 2020 est qu’il récupère des parcelles de souveraineté. En Europe, il fait passer à la trappe les limites communautaires sur les déficits budgétaires et la dette publique, si bien que le doute entoure l’avenir de l’intégration européenne et de l’euro. Le chacun-pour-soi devant la COVID-19 balaie le discours de la coopération. Les États ne rentreront pas dans le rang tant que la pandémie ne sera pas surmontée. La suite dépendra des rééquilibrages internationaux.

Une géopolitique en recomposition

La crise de la COVID-19 est un moment dans la lutte pour l’hégémonie mondiale engagée entre les États-Unis et la Chine. Contre toute attente, la mondialisation américano-centrée tourne à l’avantage de la Chine, qui conserve son indépendance, se fait l’atelier du monde et remonte la chaîne de valeur et la gamme technologique. Alors que les économies occidentales stagnent, celle de la Chine croît, portant son PIB au niveau américain. Désormais perçue comme rivale, la Chine fait l’objet d’une pression qui débute en 2011 et que Trump intensifie. Sa rhétorique antimondialiste recouvre, en réalité, une volonté de réaffirmer la prédominance américaine dans la mondialisation.

Face à la pandémie, l’efficacité de la Chine fait contraste avec l’incurie et l’amateurisme à la tête de l’État américain. Ceux qui s’érigent en modèle révèlent de flagrantes insuffisances. Loin d’aider leurs alliés, les États-Unis les inquiètent. Si rien ne change, la crise aura rapproché la date du transfert de la primauté dans le monde. Les États qui réapprennent les rudiments de la souveraineté auront moins tendance à rester dans le giron américain. Une période de réalignements internationaux pourrait être un des effets collatéraux de la COVID-19.

Samir Saul

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Articles Par : Samir Saul

A propos :

Samir Saul est professeur d’histoire à l’Université de Montréal, Québec, Canada

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