Quelle que soit la saison, la dette odieuse règne sur la République Démocratique du Congo

Le 15 novembre, une première journée de mobilisation était organisée par la société civile et l’opposition depuis la publication du calendrier électoral qui renvoie la présidentielle à la fin de l’année 2018. La Monusco a communiqué pour appeler au respect du droit de manifester dans le calme et a mis en garde contre d’« éventuelles violations des droits de l’Homme ». Le président Joseph Kabila, au pouvoir depuis 2001 suite à l’assassinat de son père, qui avait lui-même participé au renversement du dictateur Mobutu, devait en effet quitter le pouvoir le 19 décembre 2016. Cependant, les élections ne furent pas organisées pour cause de manque de moyens et de recensement de la population. Que le fait d’organiser des élections dans un pays de la taille de l’Europe occidentale, avec très peu d’avions et des routes quasiment inexistantes, ne fasse pas partie des tâches les plus aisées est tout à fait compréhensible. Cependant, le président Kabila n’en est pas à son premier coup d’essai. Après avoir remporté les élections de 2006, les premières élections libres que connaissait le pays depuis 1960, celui-ci avait en janvier 2011 changé la constitution qui prévoyait une limitation de l’élection présidentielle à un seul tour pour s’assurer la victoire lors des élections de la même année. Depuis des mois, il cherche à se maintenir au pouvoir et cette situation bloque le pays à de nombreux niveaux. Ne parvenant pas à faire sauter le verrou constitutionnel du nombre maximum de mandats, il a tenté, en janvier 2015, de modifier la loi électorale afin de retarder les élections de plusieurs années. Ainsi, le 19 septembre 2016, jour durant lequel devait initialement se tenir le scrutin, de fortes mobilisations furent réprimées dans la capitale, causant la mort de 32 personnes |1|.

Ces élections sont pourtant d’un enjeu capital. Géant au pied d’argile, le Congo-Kinshasa (RDC) est l’un des pays les plus riches en ressources naturelles de la planète et vit cet avantage comme une malédiction. Une multitude d’acteurs s’affronte sur ce territoire pour tenter d’en saisir une part du gâteau. De plus, ces mêmes richesses perdant de leurs valeurs depuis plus de deux ans sur le marché international, la RDC voit sa principale source de revenus s’effondrer, ce qui n’est pas sans effet sur son budget, ses politiques et ses objectifs de réduction de la pauvreté.

En effet, le budget de l’année 2017 est évalué à cinq-mille-six-cent-septante-deux-milliards-quatre-cents-millions de Francs Congolais |2| (4,5 milliards de dollars US) contrastant ainsi fortement avec le budget initial de l’année 2016 qui se chiffrait à huit-mille-quatre-cent-septante-six milliards de Francs Congolais (7,9 milliards de dollars US), soit une réduction de près de la moitié des dépenses annuelles |3|. Dans le courant de l’année 2016, le gouvernement a dû couper 22 % des dépenses prévues afin de faire face à une conjoncture internationale défavorable pour les minerais sur les marchés internationaux. Le pays tire la majorité de ses revenus dus aux taxes et impôts de la part des entreprises multinationales étrangères qui exploitent nos ressources naturelles, principalement le cuivre.

Pour un pays où une grande majorité de la population vit dans une extrême pauvreté et qui doit remplir de nombreux objectifs socio-économiques, une telle restriction représente un frein plus que considérable. Elle témoigne également de la dépendance du pays à ses exportations, le maintenant au rang de fournisseur du marché international, et de la fragilité de son économie nationale. Bien que cette situation découle directement des politiques néolibérales prônées par la Banque mondiale (BM) et le Fonds monétaire international (FMI), un tel manque à gagner risque de repousser davantage la RDC, déjà particulièrement dépendante aux financements extérieurs, dans le sillon de l’endettement et de ces mêmes institutions. L’histoire nous montre pourtant où celles-ci ont mené le pays.

D’où vient la dette extérieure de la RDC ?

La dette coloniale

Les prémices de la dette extérieure de la République démocratique du Congo sont issues de sa dette coloniale, c’est-à-dire la dette contractée par la métropole belge lors de la colonisation, entre 1887 et 1959, qui a ensuite été transférée à la colonie lors de son indépendance. Cette décision avait été prise par les principaux actionnaires pour transmettre la charge de la dette coloniale contractée par la Belgique auprès de la Banque mondiale. Ainsi, au 30 juin 1960, jour de l’indépendance du Congo, la dette directe s’élève à 46 milliards de francs belges.

Le régime de Mobutu

Mais l’histoire ne s’arrête pas là, elle ne fait d’ailleurs que commencer pour ce pays nouvellement indépendant. Suite à l’assassinat en 1961 de Patrice Lumumba, qui constituait un véritable espoir pour le pays qui voulait accéder pleinement à sa souveraineté, le maréchal Mobutu prend le pouvoir. À cette époque et jusqu’à la fin de la guerre froide, la RDC — renommée Zaïre par Mobutu— représente un pilier stratégique face au bloc soviétique durant la guerre froide. Du fait de cet enjeu géopolitique, Mobutu pourra imposer une dictature de plus de trente ans tout en bénéficiant de l’appui financier de ses partenaires, les puissances occidentales et les institutions financières internationales, qui fermeront les yeux sur l’exercice de son pouvoir despotique.

Quelle a été l’utilité de ces prêts si ce n’est pas pour aider le pays à sortir sa population de la pauvreté ?

C’est ainsi que le Zaïre s’endette sous l’aide au développement et les prêts, sans bien sûr que ses créanciers ne se préoccupent de la destination de ces derniers. De cette manière, sous Mobutu, la dette du pays est passée de 32 millions de dollars en 1965 à environ 13 milliards de dollars en 1998. Alors, quelle a été l’utilité de ces prêts si ce n’est pas pour aider le pays à sortir sa population de la pauvreté ?

Premièrement, une partie importante de ces prêts a été détournée par le pouvoir en place. À son départ, la fortune de Mobutu était estimée à plus de 8 milliards de dollars soit près de deux tiers du montant de la dette |4|. Ceci sans compter la fortune de ses proches qui ont également fortement bénéficié des prêts octroyés. Joseph Stiglitz, ancien vice-président de la Banque mondiale et prix Nobel d’économie, affirme : « Quand le FMI et la Banque mondiale prêtaient de l’argent à Mobutu, ils savaient que ces sommes, pour l’essentiel, ne serviraient pas à aider les pauvres de ce pays, mais à enrichir Mobutu. On payait ce dirigeant corrompu pour qu’il maintienne son pays fermement aligné sur l’occident » |5|.

Deuxièmement, des sommes considérables ont été empruntées pour financer des mégas-projets soutenus par la Banque mondiale, aussi appelés « éléphants blancs ». La situation d’endettement résulte donc également de la mauvaise gestion de ces projets par la BM. Prenons l’exemple du barrage d’Inga, sur le fleuve Congo. Au lieu de fournir de l’électricité à la population des régions alentour, cette méga-infrastructure permit de tirer une ligne à haute tension sans précédent de 1900 kilomètres vers l’ex-Katanga, province riche en minerais, en vue de leur extraction et exportation vers les pays industrialisés. Cette ligne ne s’est cependant pas accompagnée de l’installation de transformateurs qui auraient permis de fournir de l’électricité aux villages qu’elle survole. L’impact financier de ce projet fut responsable de 60 % de la dette accumulée au milieu des années 70 qui passa alors de 500 millions de dollars en 1972 à près de 3 milliards de dollars en 1975. Cette somme représentait alors 90 % du PIB |6|. Ainsi ces prêts, qui ont servi à financer des projets extractivistes soutenus par la BM, ne tinrent pas compte des besoins profonds de la population. Ce sont des projets conçus à l’étranger, pour l’étranger. Ceux-ci visent uniquement à favoriser l’exploitation des ressources naturelles du pays en vue d’approvisionner le marché international.

Ensuite, une partie importante de ces prêts se fait sous forme d’aide dite « liée », qui s’accompagne de conditions diverses. L’argent sert alors à acheter des produits fabriqués par les pays créanciers, contribuant à redresser leur balance commerciale. C’est la conditionnalité. À titre d’exemple, sur un prêt d’une valeur de 120 millions d’euros accordé par l’État belge, 105 millions devaient être directement dépensés dans des importations de produits belges |7| et retournaient donc immédiatement dans les caisses des États du Nord.

Enfin, l’achat d’armes ou de matériel militaire alimentant les conflits locaux et servant à opprimer les peuples a aussi compté dans la montée de l’endettement. Ceci implique un accroissement exceptionnel de la dette dite odieuse, c’est-à-dire la dette qui vise, non pas les besoins et les intérêts de l’État, mais qui vise à fortifier un régime autoritaire et despotique, et qui ne bénéficie donc pas à la population qui se voit lésée |8|.

Crise de la dette et Plans d’ajustement structurel (PAS)

De 1970 à 1980, la dette bancaire des PED auprès des banques occidentales passe de 36 à 380 milliards de dollars. En effet, à cette époque, plusieurs facteurs viennent provoquer une augmentation considérable de l’endettement des pays du Sud. Dans le contexte de la guerre froide, la BM multiplie les prêts qu’elle octroie pour contrer les mouvements communistes et incite les pays du Sud à s’endetter. De plus, au début des années 80, la Réserve fédérale américaine décide d’augmenter ses taux d’intérêt afin de relancer sa machine économique. Cependant, le taux d’intérêt des emprunts des pays du Sud étant indexé sur ceux de la Réserve fédérale, ceux-ci voient le montant à rembourser se multiplier. Les règles viennent de changer en cours de jeu et l’étau se referme. Plusieurs pays, étranglés par l’endettement, sont alors dans l’incapacité de rembourser leurs dettes. Pour répondre à cette situation, le Consensus de Washington de 1989 (programme élaboré par le Congrès des États-Unis, la Banque mondiale et le FMI à Washington, d’où son nom) présente un pack de réformes économiques imposé par le FMI aux pays endettés, censé leur permettre de payer leurs dettes. Ce sont les plans d’ajustement structurel (PAS).

Ces PAS sont fondés sur trois piliers :

  1. Réduction des déficits publics : austérité, privatisations, hausse de la TVA, coupes dans les dépenses publiques, c’est-à-dire la santé, la culture, l’éducation, etc.
  2. Le tout à l’exportation : abandon des cultures vivrières pour la monoculture et l’exportation massive de matières premières afin d’attirer des capitaux étrangers.
  3. L’attraction des capitaux privés : libéralisation et déréglementation financière, hausse des taux d’intérêt et droits de propriété, acheminement des dépenses publiques dans des directions qui promettent la croissance économique.

La République démocratique du Congo (RDC) n’est évidemment pas épargnée par ces programmes. À titre d’exemple, le dernier point cité favorise les investissements dans des secteurs permettant une croissance économique. C’est le cas des secteurs minier, énergétique, financier, ou encore des transports et de la télécommunication. En revanche, les secteurs de la santé, de l’éducation, de la culture, et autres secteurs dits « non productifs » ne font pas partie des priorités des institutions internationales qui luttent contre la pauvreté. Ainsi, une partie importante des financements d’État vont directement au secteur minier afin de favoriser l’exportation des nombreux minerais que contiennent les terres du Congo. Cependant, suite aux pressions de la BM, notamment dans le cadre des privatisations, la grande majorité des entreprises et concessions minières sont passées dans les mains de multinationales étrangères via leurs sociétés off-shore. De cette manière, ces financements arrivent directement dans les poches d’entreprises australiennes, canadienne, londonienne, américaine ou encore israélienne, indienne, sud-africaine, chinoise |9|, etc. cela en plus des financements de leurs pays d’origine, rendant ainsi la concurrence plus qu’inégale avec les entreprises congolaises.

Malgré le fait que la RDC soit un des pays les plus riches en ressources naturelles de la planète, sa population se meurt

Ces investissements permettent une extraction intensive des ressources naturelles du pays en vue de fournir le marché mondial et d’attirer les devises nécessaires pour le remboursement de la dette |10|. De la même manière, les exportations agricoles massives entraînent l’abandon des cultures vivrières qui permettraient à la population de se nourrir, de générer un surplus et de l’exporter. Ainsi, malgré le fait que la RDC soit un des pays les plus riches en ressources naturelles de la planète, sa population se meurt.

Ne permettant pas de redresser l’économie du pays, ces PAS sont donc suivis d’un cycle d’endettement extérieur par Mobutu au nom de l’État, situation qui a poussé le pays un peu plus à la dérive. Les difficultés financières rencontrées par la RDC exacerbent davantage sa situation socio-économique. Malgré des rééchelonnements à répétition de la dette extérieure et la mise en œuvre d’un programme d’ajustement structurel, la situation a continué de se dégrader jusqu’à la fin de la guerre froide et la rupture entre Mobutu et la Communauté internationale.

Chute de Mobutu et Initiative PPTE

À la chute du mur et de l’empire soviétique, Mobutu perd son rôle de rempart contre le communisme. Ayant un bilan plus qu’entaché sur le plan des droits humains et devenant particulièrement encombrant, il perd les soutiens des puissances occidentales et des IFI qui lui avaient permis de rester si longtemps au pouvoir. Il sera alors aisément renversé par Laurent-Désiré Kabila avec le soutien des forces rwandaises qui entrèrent dans Kinshasa le 17 mai 1997.

À raison d’années de pillages et de guerres suite à la situation très instable du pays, la RDC dut régulariser sa situation financière extérieure pour se reconnecter aux circuits internationaux. En effet, à la fin des années 90, la RDC est retenue pour bénéficier de l’Initiative des pays pauvres très endettés (IPPTE). Cette initiative prévoit un allègement partiel de la dette extérieure des bénéficiaires. Mais ne nous y trompons pas. Cet allègement ne vise qu’à rétablir la dette à son montant maximal soutenable, c’est-à-dire qu’est supprimée toute créance qui nécessiterait une restructuration de la dette. De plus, plusieurs conditions s’imposent pour en être bénéficiaire comme : ne pas avoir d’arriérés de paiement envers la BM et le FMI, ou encore avoir appliqué docilement les politiques néolibérales prônées par ces institutions pendant au moins 3 ans. Dans le cadre de l’ajustement structurel, la RDC a donc dû, en plus d’effectuer de nouveaux prêts auprès des IFI afin de payer ses arriérés (permettant aux créanciers de recycler leurs vieilles créances contractées par Mobutu et qui pourraient facilement être qualifiées d’odieuses), ouvrir son économie aux sociétés multinationales et ainsi leur donner encore plus d’accès à ses abondantes ressources naturelles et humaines |11|. Comme l’explique O. Bonfond dans son livre « Il faut tuer TINA », « cette opération, en plus d’être un leurre, n’est pas « gratuite » : en échange de ce magnifique « cadeau », le gouvernement congolais a dû modifier sa législation en matière d’exploitation minière et forestière pour faciliter l’exploitation des ressources naturelles du pays par les transnationales » |12|.

Les conditions pour participer à l’initiative étant remplies, s’en est suivi une gigantesque opération de restructuration de sa dette extérieure en 2002 puis un programme de stabilisation macroéconomique et une stratégie de croissance et de réduction de la pauvreté censée être ponctuée mi-2008 par un allègement d’une partie de sa dette extérieure. Le point d’achèvement de l’initiative est finalement atteint en 2010 et la dette extérieure de la RDC fut allégée de près de 9 milliards de dollars |13|. S’étant, entre temps, ré-endettée pour 1,5 milliard de dollars, sa dette passe ainsi d’un peu plus de 13 milliards de dollars en 2009 à environ 5,5 milliards en 2010 |14|.

Malgré ces programmes et allègements, la situation économique et sociale de la RDC reste très fragile. En effet, « dans un pays où plus de trois millions de personnes ont été victimes de la guerre depuis [20 ans] et où 80 % de la population vit avec moins de 0,2 dollar par jour, le remboursement de la dette restera un poids insupportable, même à l’issue de l’initiative PPTE. En réalité, on peut interpréter l’IPPTE, dans le cas de la RDC, comme un jeu d’écritures qui permet surtout aux créanciers d’effacer les créances insolvables et de gommer les traces d’une dette que chacun s’accorde à qualifier d’odieuse. » |15|

Ainsi, bien que l’initiative PPTE ait effacé plus de la moitié de la dette extérieure du pays, la RDC fait partie des grands perdants de la course aux Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) dont 2015 était l’échéance. À titre d’exemple, l’objectif 1 des OMD était de réduire de moitié la part d’individus vivant avec moins de 1$ par jour. En RDC, même si le taux de pauvreté a reculé de 80 % de la population à la fin des années 90 à 65 % en 2015, l’objectif est loin d’être atteint. Dans un de ces derniers rapports, la BM déclare : « le nombre d’Africains vivant dans l’extrême pauvreté a considérablement augmenté depuis 1990 ». De 280 millions de personnes vivant avec moins de 1,25$/jour en 1990, nous sommes passés en 2012 à 330 millions de personnes. Ce qu’elle ne précise pas, c’est l’impact qu’ont eu les mesures néolibérales qu’elle prône sur ces mêmes populations.

Malgré une courte hausse des cours des matières premières et malgré une croissance particulièrement forte du PIB, les tranches moyennes et inférieures de la population n’ont que très peu bénéficié de cette dernière et n’ont, globalement, pas réussi à sortir de la pauvreté de manière drastique. En revanche, une poignée d’individus se situant au sommet de la pyramide en a profité pour asseoir ses fortunes. Le même rapport précise d’ailleurs qu’« on assiste à une augmentation du nombre de personnes très fortunées ».

Alors, pourquoi la BM, qui œuvre sous le slogan « un monde sans pauvreté » depuis les années 90, ne parvient-elle pas à atteindre des résultats un minimum satisfaisant dans la plupart des pays dit en voie de développement ? Un pays avec une telle capacité de production agricole ne devrait pas voir la majeure partie de sa population dans de telles situations de pauvreté et de faim. Il est évident que le remboursement de la dette n’y est pas pour rien. Le Conseil des droits de l’Homme de l’ONU affirme d’ailleurs dans sa résolution 20/10 du 18 juillet 2012 que le fardeau de la dette « contribue à l’extrême pauvreté, constitue un obstacle au développement humain durable et, par conséquent, compromet gravement la réalisation de tous les droits de l’Homme » |16|. Le document déclare explicitement que « les politiques d’ajustement structurel n’ont pas fonctionné » et que « les exigences dogmatiques en matière de privatisation et de limitation des services publics » nuisent aux biens des populations et ne doivent pas être reproduites.

C’est précisément dans cette optique que la Charte politique du CADTM souligne que « dans la plupart des pays du Sud, le remboursement de la dette publique représente chaque année une somme supérieure aux dépenses d’éducation, de santé, de développement rural et de création d’emplois ». Ainsi, La RDC, pays doté d’immenses ressources naturelles, mais dont la population demeure parmi les plus pauvres de la planète, occupe la 176e place sur 187 au classement 2015 de l’indice de développement humain des Nations unies (IDH).

Dette extérieure et services sociaux

En 2015, le stock de la dette publique de la RDC s’élève à 6,18 milliards de dollars pour un Produit intérieur brut (PIB) de 35,24 milliards de dollars, représentant ainsi 17,5 % de celui-ci. Le tableau ci-dessous nous présente les différents créanciers de la RDC ainsi que la réparation des créances entre ceux-ci |17|.

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Source du tableau ci-dessus : bulletin statistique de la dette publique N°08 /2015 http://dgdp-rdc.org/wp-content/uplo…

Il apparaît que les institutions financières internationales telles que la BM et le FMI détiennent plus d’un tiers de la dette congolaise, leur permettant ainsi d’imposer leurs quatre volontés, à savoir gestion des taux d’intérêt et du remboursement, décision des politiques monétaires et économiques, choix des politiques prioritaires, etc. En 2017, sur un budget de 5 672,4 milliards de francs congolais, 5,3 % sont alloués au remboursement de la dette. Elle constitue ainsi une dépense plus importante que l’agriculture qui représente 2,3 % du budget et presque aussi importante que le secteur de la santé qui en représente un peu plus de 6 %. Ce dernier a d’ailleurs été coupé de plus de moitié entre les budgets 2016 et 2017 passant de près de 650 milliards de francs congolais en 2016 à peine 300 milliards en 2017.

Le budget de l’année 2017 contraste, en effet, fortement avec le budget initial de l’année 2016 qui se chiffrait initialement à 8.476,4 milliards de francs congolais, soit une réduction de près d’un tiers en l’espace d’un an. En effet, dans le courant de l’année 2016, le gouvernement dut couper 22 % des dépenses prévues pour faire face à une conjoncture internationale défavorable pour les minerais sur les marchés internationaux. Depuis 2015, le budget de l’État a été divisé par 2, passant de plus de 8 milliards de dollars à près de 4 milliards en 2017 |18|. Cette restriction témoigne bien de la dépendance du pays à ses exportations et de la fragilité de l’économie nationale. De telles coupes dans le budget peuvent avoir de lourdes conséquences. Elles entravent, la mise en œuvre des politiques étatiques, l’atteinte d’objectifs visant à la réduction de la pauvreté, la mise en œuvre du processus démocratique et des élections, mais également le bon fonctionnement de l’État qui comprend, entre autres, le financement de l’éducation, priorité du gouvernement ces dernières années.

Bien que l’objectif 2 des OMD — assurer l’éducation primaire pour tous — fut presque atteint en RDC, un pays de 70 millions d’habitants, où 60 % de la population a moins de 20 ans, promouvoir l’éducation est un objectif majeur pour assurer un avenir socio-économique stable et viable. En effet, selon les Nations unies, le taux brut de scolarisation dans le primaire a atteint 98 % au terme des OMD. Ces chiffres peuvent cependant être nuancés. Par exemple, la finalité du second objectif des OMD résidait dans l’accès au cycle complet d’études primaires. Les enfants qui ne parviennent pas au bout de leur scolarité sont donc malgré tout compris dans ces chiffres. Ajouté à cela, la RDC, en plus de faire face à de gros problème de recensement, connaît de fortes disparités entre les milieux ruraux et urbains.

Afin d’atteindre l’objectif 2 des OMD, le gouvernement a consacré entre 15 et 20 % de son budget à l’enseignement ces dernières années. Cependant, ce secteur mérite et nécessite un investissement soutenu sur la durée et les récentes coupes dans le budget ne vont pas dans ce sens. La partie du budget consacrée à l’enseignement a en effet été amputée de 20 % entre les exercices 2016 et 2017. Ce budget — qui comprend une partie du salaire des enseignants, la fourniture du matériel scolaire, la construction d’écoles, etc. — a pour but d’assurer la gratuité de l’enseignement, encore très loin d’être établie. Si celui-ci est menacé, c’est toute la promotion de l’enseignement qui s’en voit entravée. Sans ces politiques, les parents perdent le peu d’aide qu’ils reçoivent pour financer l’éducation de leurs enfants et doivent y consacrer davantage d’argent, ce qui n’est pas à la portée de tous.

Dans une ville où on lutte chaque jour pour tenter de manger à sa faim, il faut en plus chercher l’argent pour le minerval (payé chaque trimestre), car dans la plupart des cas, si les familles ne sont pas à jour de leurs cotisations, les enfants sont renvoyés de l’école sans autre forme de procès. Anny Boloko, une jeune veuve et mère de trois enfants explique : « Je n’ose pas envoyer mes enfants à l’école », dit-elle, ajoutant n’avoir même pas pu réunir de quoi acheter crayons ou uniformes. À cette allure, « je risque de ne pas les scolariser cette année », chuchote-t-elle  |19|.

Le gouvernement a, par exemple, mis en place les « frais d’intervention ponctuelle » censée rémunérer partiellement les professeurs et ainsi diminuer le coût exigé auprès des parents. Cependant les enseignants restent, dans plusieurs régions, mal et souvent non régulièrement payés par l’État. Par conséquent, l’offre d’enseignant sur le marché du travail est insuffisante. Les parents n’ont alors d’autres choix que de prendre en charge ces frais ou de déscolariser leurs enfants.

Les enfants des mines sont estimés à plusieurs milliers rien que dans les mines au sud de Katanga

Les enfants qui ne sont pas scolarisés faute d’argent doivent généralement travailler afin de participer aux minces revenus de la famille. Ils se retrouvent alors à mendier dans la rue, à ramasser des déchets ou à travailler dans les mines où ils y sont recrutés pour leur moindre coût et leur docilité. Ces enfants des mines sont estimés à plusieurs milliers rien que dans les mines au sud de Katanga et leur nombre, en perpétuelle augmentation, explose en période de vacances scolaires. En plus d’être exposés aux risques d’éboulement de galeries, ceux-ci peuvent travailler plus de 12 heures par jours, pieds nus, sans équipement adéquat et parfois exposés à des matières uranifères.

Autre domaine qui illustre très justement les problèmes liés au budget et à la situation économique de la RDC, le secteur pénitencier. Bien que trop peu souvent abordé, ce sujet donne une autre idée des difficultés rencontrées dans l’accès aux services sociaux.

- Absence de protection sociale dans l’allocation du budget de l’administration pénitentiaire

Comme dans la plupart de ces services, l’allocation du budget aux services pénitentiaires (la gestion des prisons) pose un sérieux problème en RDC notamment en raison du manque de transparence dans la gestion des fonds reçus. Cette opacité empêche un bon fonctionnement du système pénitentiaire.

Exemple avec la prison de Makala. Cette prison, la seule de Kinshasa et ses 11 millions d’habitants, fut construite en 1958 sous la domination coloniale — au moment où la capitale était peuplée de 500 000 habitants. Sa capacité d’accueil est de 1 500 personnes, mais elle compte à ce jour un effectif qui avoisine 8000 prisonniers, dont 200 femmes et une centaine d’enfants. En analysant la part allouée à l’administration pénitentiaire dans les Lois des Finances portant sur le budget de l’État pour 2014, 2015 et 2016, on s’aperçoit que le volume financier est dramatiquement faible, ce qui ne permet pas au gestionnaire de la prison de couvrir les besoins alimentaires de tous les prisonniers. Le budget alloué n’est pas donné en fonction de l’effectif carcéral mais en fonction du budget disponible.

Déjà en 2015, Amnesty international déclarait que « les prisonniers [sont] détenus dans des établissements délabrés, surpeuplés et insalubres. Plusieurs dizaines d’entre eux sont morts de malnutrition ou faute de soins adaptés » |20|. Le budget d’État ayant été réduit de 50 % depuis, les conditions de détention ne peuvent qu’empirer. La prison fut d’ailleurs privée d’eau durant plus de deux semaines au début de l’année 2017. « Les pensionnaires de la prison n’ont plus d’eau à boire ni pour se laver ou encore pour cuire à manger. L’environnement devient malsain » alertait alors le directeur de la prison centrale |21|.

Bien entendu, ces détenus ne bénéficient pas des protections sociales et sanitaires minimales, ce qui entrave les initiatives de réduction de la pauvreté et de prévention de crise sanitaire. Ils ont théoriquement droit à un repas /jour — le même tous les jours et pendant toute l’année— servi habituellement le soir, constitué de haricots mélangés au maïs communément appelé « Vungulé », transformation de l’expression « vous mourez ». En principe, l’autorité budgétaire devrait déterminer la quantité et la qualité du repas par individu /jour, ce qui permettrait, au regard de la déclaration universelle de droit de l’Homme, de nourrir chaque détenu par jour selon le budget qui lui est accordé. Ainsi, on aurait dû allouer à chaque détenu ne serait-ce que 2$/jour. Malheureusement, au niveau local comme au niveau national, le budget a toujours été déficitaire ce qui fait qu’on alloue un forfait à la prison centrale de Makala qui ne prend pas en charge plus de 4000 prisonniers. De plus, comme indiqué, celui-ci est indexé sur le budget d’État et varie donc fortement. Ce fonctionnement, en plus d’entraîner des violations de droits de l’Homme, questionne la gestion de la sécurité de cet établissement, ici pris à titre d’exemple. Les récents événements du mois de mai viennent d’ailleurs alimenter ce constat. Le mercredi 17 mai, 20 ans jour pour jour après l’entrée de Laurent Désiré Kabila dans Kinshasa, une trentaine d’assaillants parvinrent à provoquer l’évasion de plus de 4 500 prisonniers |22|. Cette attaque inédite pousse encore le pays vers une situation d’insécurité et remet d’autant plus en question les méthodes de gestion du gouvernement.

Comme si cela ne suffisait pas, la situation en prison n’étant pas statique, mais dynamique, l’administration pénitentiaire reçoit plus d’entrées que de sorties, ce qui bouleverse davantage la donne. Cette prison sert en effet de véritable débarras. Au côté des violeurs et meurtriers, on y trouve de nombreuses personnes condamnées pour injure publique, simple bagarre ou insolvabilité. De même que de nombreux prisonniers politiques comme Fred, militant du mouvement citoyen Lutte pour le changement (Lucha) accusé d’avoir « comploté contre la vie et la personne du chef de l’État », ou encore Christopher Ngoyi Mutamba, coordonnateur de la société civile, incarcéré lors des manifestations contre la réforme électorale, le 20 janvier. Ainsi, cette prison, tel un lieu d’exil où l’eau et la nourriture se font rares, permet d’écarter de la société toute personne déterminée à faire entendre sa voix ou qui contrarie le pouvoir en place.

La malédiction de la RDC

Depuis la découverte de ces terres d’abondances, l’histoire ne fit pas de concession à la RDC. L’exploitation de cet immense territoire nécessita soumission et violence à grande échelle durant la période de colonisation. Suite à l’indépendance, le drame ne fit malheureusement que se prolonger le 5 septembre 1962 avec l’assassinat de Patrice Lumumba qui cherchait à « créer une économie nationale prospère qui consacrera [l’] indépendance économique » |23|. Avec le soutien des services secrets belges, ce jeune leader sera rapidement effacé au profit du maréchal Joseph Mobutu. Celui-ci pillera le pays avec la complicité de la Banque mondiale et du FMI des années durant et, avec sa gestion et ses pratiques néolibérales, déstabilisera le pays durablement. Depuis, le peuple congolais court après sa souveraineté et demeure mendiant de ses propres droits.

Ces institutions, la Banque mondiale et le FMI, ont pour objectif proclamé d’amener le pays au développement, à la transparence, à ce qu’ils appellent « la bonne gouvernance », de promouvoir la stabilité des changes, d’éradiquer la pauvreté, etc. Dans la continuité de la mentalité faussement bien-pensante qui justifiait la colonisation, on impose ainsi un fonctionnement économique au pays du tiers monde. Cette méthode a tous les effets inverses à ceux annoncés puisqu’elle tue dans l’œuf toute perspective de développement solide, fragilise les États du Sud et les cantonne au rang de pays de la périphérie du monde, fournisseur en matière première, dont la finalité n’est que d’assurer la prospérité des puissances économiques.

Le système dette, imposé à la RDC suite à son indépendance, permit donc aux pays industrialisés, aux anciennes métropoles et aux institutions qui les représentent, de répondre à des besoins géostratégiques, de maintenir les populations dans un état de servitude et, par-dessus tout, de garder une main mise sur les importantes réserves en matières premières du pays, de perpétuer l’exploitation intensive et de tirer des avantages économiques considérables. Les différents programmes et initiatives ne firent que consolider l’ordre établi.

Ainsi, bien que le pays ait récemment investi dans certains services à la population, comme l’éducation, son système économique imposé de l’extérieur et basé sur les exportations montre ses faiblesses et entrave la prise en main d’un réel pouvoir de décision ainsi que la mise en œuvre des programmes politiques, aussi efficaces soient-ils. Se pliant aux dogmes néolibéraux, la RDC s’appuie sur un « revenu » qui fluctue, ce qui est incompatible avec les besoins et attentes de la population. Celle-ci ne peut se permettre d’attendre plusieurs années que le cours des matières premières revienne à la hausse pour pouvoir accéder à ses droits les plus fondamentaux. Géant au pied d’argile, le Congo-Kinshasa (RDC), l’un des pays les plus riches en ressources naturelles de la planète, vit cet avantage comme une malédiction.

Pablo Laixhay

CADTM Belgique

Ninon Nkulu

CADTM Lubumbashi

 

Notes

|1| https://www.monde-diplomatique.fr/2016/12/CESSOU/56889

|2| http://www.budget.gouv.cd/2012/budget2017/1_expose_des_motifs_plf_2017.pdf

|3| http://www.budget.gouv.cd/budget-2017/projet-du-budget-2017/

|4| http://www.liberation.fr/planete/1997/06/04/fortune-de-mobutu-les-banques-suisses-trouvent-205-millions_207940

|5| http://www.cadtm.org/La-dette-exterieure-de-la-RDC-Une

|6| A. ZACHARIE. Mondialisation, qui gagne, qui perd ?

|7| http://www.cadtm.org/La-dette-exterieure-de-la-RDC-Une

|8| La doctrine de la dette odieuse, formulée par Alexander Sack en 1927, constitue une source du droit international public, en vertu de l’article 38 du Statut de la Cour Internationale de Justice (CIJ).

|9| http://www.cadtm.org/La-dette-exterieure-de-la-RDC-Une

|10| Celle-ci étant contractée en dollars, elle doit être remboursée en dollars. L’apport de devises via l’exportation est donc primordial au remboursement

|11| http://www.cadtm.org/La-dette-de-Mobutu,701

|12| O. Bonfond, dans « Il faut tuer TINA »

|13| https://www.afdb.org/fileadmin/uploads/afdb/Documents/Financial-Information/RDC%20-%20Document%20relatif%20au%20point%20d’achèvement%20PPTE%20renforcée.pdf

|14| http://donnees.banquemondiale.org/indicateur/DT.DOD.DECT.CD?locations=CD

|15| http://www.cadtm.org/La-dette-de-Mobutu,701

|16| ONU. Résolution 20/10 du 18 juillet 2012 du Conseil des droits de l’homme. Disponible sur https://documents-ddsny.un.org/doc/RESOLUTION/GEN/G12/162/02/PDF/G1216202.pdf?OpenElement

|17| http://dgdp-rdc.org/wp-content/uploads/2016/08/bul-stat-08-2015.pdf

|18| https://www.rtbf.be/info/monde/detail_rdc-le-projet-de-budget-2017-a-nouveau-serieusement-revu-a-la-baisse?id=9440175

|19| http://www.jeuneafrique.com/depeches/356412/societe/rd-congo-a-kinshasa-rentree-scolaire-rime-toujours-galere/

|20| https://www.amnesty.be/je-veux-m-informer/rapports-annuels/rapport-annuel-2014-2015/afrique-2245/article/republique-democratique-du-congo-24090

|21| http://www.radiookapi.net/2017/01/16/actualite/en-bref/kinshasa-penurie-deau-la-prison-de-makala#sthash.xN5gSkWP.dpuf

|22| BENETTI. P. En RDC, des centaines de détenus de Makala « se font la malle » le jour de la Fête de la libération. Le Monde. 18 mai 2017.

|23| Patrice LUMUMBA. Discours de Patrice Lumumba du 30 juin 1960. In La Pensée politique de Patrice Lumumba. Présence africaine. Paris, 2009.



Articles Par : Pablo Laixhay et Ninon Nkulu

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