Qui a coupé le gaz ?

Mais qui donc a bien pu couper les gazoducs sous-marins acheminant, ou capables d’acheminer, le gaz russe en Allemagne ?

De puissantes explosions sous-marines distinctes mais coordonnées ont coupé dans la nuit de dimanche à lundi l’une des deux conduites du gazoduc Nord Stream 2 terminé et rempli en fin d’année dernière, et lundi après-midi les deux conduites du gazoduc Nord Stream 1 en service depuis 2011. Dans les terminaux en Allemagne on a noté immédiatement que le gaz n’arrivait plus, puis le Danemark et la Suède ont détecté de grosses fuites et interdit la navigation localement auprès de l’île Bornholm, enfin les services sismologiques suédois ont déclaré avoir enregistré de fortes explosions.

Le gouvernement allemand est convaincu que la simultanéité et l’efficacité des explosions excluant toute cause accidentelle, il ne peut s’agir que d’une attaque de la part d’un Etat tiers, et le gouvernement russe le soupçonne également. Avant même qu’on se demande à qui profite le crime, le gouvernement étatsunien non interrogé s’est empressé de déclarer que cela ne servirait personne, même s’il s’agissait d’un sabotage selon certaines rumeurs qu’il ne pouvait pas confirmer à ce stade. D’ailleurs personne n’avait demandé au gouvernement des Etats-Unis d’Amérique de confirmer ou d’infirmer les déclarations des gouvernements allemand et russe concernant des sinistres survenus dans les eaux danoises et suédoises. Mais personne non plus n’a oublié les efforts énormes qu’ont déployés les Etats-Unis pour empêcher la construction du gazoduc Nord Stream 2, puis pour interdire son entrée en service.

Car qui a exercé de lourdes pressions politiques pendant des années pour interdire au gouvernement allemand de lancer ce chantier, puis pour le faire bloquer par les pays des eaux traversées ? Qui, ayant échoué par la diplomatie, a en mars 2018, décidé, annoncé et mis en œuvre toute une batterie de mesures coercitives illicites (et prohibées par l’Organisation Mondiale du Commerce) envers toute entreprise légale d’un pays tiers souverain suspectée d’avoir légalement, directement ou indirectement, participé à la construction du gazoduc Nord Stream 2 décidé par les gouvernements allemand et russe et autorisé par les gouvernements des pays riverains concernés ? Qui a, fin 2018, fait voter des lois par son parlement afin de s’autoriser à  « saisir » (voler) les biens présents aux Etats-Unis de toute entreprise participant à la construction de cet ouvrage objet d’appels d’offre du gouvernement allemand, tout sous-traitant de services, tout fournisseur de pièces détachées, toute entreprise de travaux sous-marins, toute compagnie d’assurance ou toute banque soutenant l’une des entreprises retenues par l’opérateur gazier allemand ? Qui a, de la sorte, dissuadé de nombreuses entreprises et réussi à retarder de quatre ans la construction de ce gazoduc (qui a duré trois fois plus longtemps que celle du Nord Stream 1), avec d’ailleurs la manifeste complicité du gouvernement allemand et de la Commission Européenne qui n’ont pas protesté contre toutes ces attaques illicites ?

Qui a poussé l’Allemagne à attendre le remplissage par la Russie des deux conduites de Nord Stream 2 en fin d’année dernière, soit 2,5 millions de mètres-cubes sous pression, avant d’annoncer qu’elle refusait finalement de le mettre en service ? Qui a déclaré, le 7 février à Washington, que si la Russie envahissait l’Ukraine le Nord Stream 2 cesserait d’exister ? Qui a intérêt à l’envolée des cours du gaz de schiste, dont l’absence de rentabilité même avec subventions avait mené à la fermeture de nombreux puits aux Etats-Unis ? Qui a intérêt à l’envolée des cours du gaz liquéfié, dont les importations uniopéennes ont augmenté de 40% en volume depuis un an, et devraient encore doubler, sur le marché à court terme très cher, par rapport aux contrats à long terme aux prix assurés ?

Quant aux livraisons de gaz par voie terrestre, qui a poussé la Pologne a interrompre le transit via le gazoduc Yamal ? Qui a convaincu l’Ukraine de refuser obstinément l’augmentation du trafic gazier à travers la station de pompage de Sokhranovka, régulièrement sollicitée par Gazprom en complément de la station de Soudja, pour compenser la baisse de trafic sur le Nord Stream 1 due aux pannes successives des compresseurs de Portovaya, et qui a poussé la Commission Européenne à interdire la maintenance desdits compresseurs afin qu’ils tombent en panne les uns après les autres et soient inaptes au service ? Qui a demandé au gouvernement canadien d’interdire le renvoi en Russie du compresseur envoyé par le fabricant allemand Siemens à sa filiale canadienne pour réparation ? Qui paie le gouvernement ukrainien pour qu’il interdise l’augmentation du trafic par Sokhranovka, quitte à renoncer à l’augmentation du lucratif péage qu’il perçoit sur le gaz en transit entre la Russie et la Pologne ?

Qui a dû s’inquiéter de la pression interne (parlementaire et populaire) sur le gouvernement allemand pour enfin mettre en service le gazoduc Nord Stream 2, encore accrue depuis la récente fermeture du Nord Stream 1 pour panne des compresseurs ? Qui a bien pu vouloir ôter à l’Allemagne toute possibilité matérielle de revenir sur sa décision de boycotter les matières premières énergétiques russes ?

Car l’Ukraine n’a pas de capacité sous-marine hors de la mer Noire et pas de présence navale en mer Baltique. Pour sa part, la flotte russe est sous étroite surveillance des pays riverains de la mer Baltique, l’Estonie et la Finlande annonçaient début août vouloir faire de la Baltique une « mer intérieure de l’OTAN » en bloquant la flotte russe dans ses ports, et la moindre vedette qui sort de Saint-Pétersbourg ou de Kaliningrad est immédiatement prise en chasse par les flottes sous-marines et satellitaires ennemies. Qui donc a librement accès à la Baltique, à part les pays riverains aujourd’hui préoccupés par les conséquences écologiques des fuites de méthane ?

Et pour rester dans les profondeurs sous-marines, qui a coulé le Koursk ? A-t-il été accidentellement éperonné par le Toledo qui le suivait de trop près, ou coulé par le Memphis (voire par le Splendid) pour dégager le Toledo ? Et vingt ans après, qui a coulé le Locharik ? La simultanéité des réunions de crise convoquées en urgence à la présidence des Etats-Unis et à celle de Russie le 2 juillet 2019 au soir signifiait-t-elle que le Locharik aurait été coulé en représailles au tir d’une torpille par un sous-marin russe pour dégager un autre sous-marin intercepté par un sous-marin étatsunien au large de l’Alaska, comme l’a suggéré le site d’infoxication israélien Debka ?

Alors, cui bono ?



Articles Par : Stratediplo

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