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Qui a peur de la bombe iranienne ?
Par Uri Avnery
Mondialisation.ca, 30 octobre 2006
Gush Shalom 30 octobre 2006
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Dans le cadre du processus de paix israélo-palestinien, il sera aussi nécessaire d’envisager la création d’une zone libre de toute arme nucléaire.

A L’APOGÉE de l’épique bataille d’Angleterre en 1940, alors que des aviateurs britanniques étaient tués en grand nombre (« jamais autant n’a été dû par autant de monde à si peu de personnes »), un officiel chargé de la propagande a eu une brillante idée pour remonter le moral. Sur les murs des bases de la Royal Air Force, une affiche est apparue avec ces mots : « Qui a peur des Ju-87 ? » (à l’époque, un des avions allemands les plus performants).

Un pilote anonyme a crayonné sur l’affiche : « Signez ici ! » En quelques heures, tous les pilotes de la base avaient signé.

Si aujourd’hui quelqu’un devait placarder une affiche avec la question « Qui a peur de la bombe nucléaire iranienne ? » je crois que tout le monde en Israël, et beaucoup en dehors d’Israël, signerait.

IL SEMBLE que nous, Israéliens, ayons toujours besoin d’avoir peur de quelque chose. Quand nous ouvrons les yeux le matin, nous devons avoir en tête le danger-de-la-journée. Autrement, pour quelle raison se lever ? Ce n’est peut-être pas l’opinion publique qu’il faut mettre en cause mais les hommes politiques qui utilisent la peur comme moyen de contrôle.

Il n’y a pas si longtemps, c’était le Hezbollah. Des musulmans fanatiques, des chiites fous, qui veulent annihiler Israël. Un énorme arsenal de roquettes. Dieu nous protège !

Pendant ce temps, il y avait une guerre, les roquettes pleuvaient, les atteintes à la vie et à la propriété étaient relativement légères (pour ceux qui n’en étaient pas victimes, bien sûr). Le terrible danger du Hezbollah a été mis de côté. Certes, le Hezbollah est resté où il était, les roquettes ont été réapprovisionnées et Nasrallah continue d’exaspérer, mais tout cela a cessé de susciter un réel intérêt. Un danger qui a déjà servi n’est plus très excitant.

Maintenant les chefs militaires, qui ont fait faillite au Liban, s’efforcent de créer une nouvelle peur : le Hamas dans la bande de Gaza. Nous avons là un danger immédiat et terrible. Des tonnes et des tonnes « d’explosifs courants » arrivent par les tunnels. D’un moment à l’autre, le Hamas sera équipé d’armes antichars modernes comme de missiles antiaériens. Le Hamas est en train de construire des fortifications souterraines. N’est-ce pas effroyable ?

Dans les médias, les perroquets militaires et politiques sont mobilisés. Toute cette « perroquetterie » des médias répète le message qui glace le sang, matin, midi et soir : Gaza est en train de devenir un second Sud-Liban ! Il faut faire quelque chose ! On ne peut pas attendre ! L’armée doit y aller, occuper la bande de Gaza, ou au moins certaines de ses parties !

Mais les gens ne sont pas réellement preneurs. Il est difficile de provoquer la peur quand l’ennemi n’a pas les moyens de riposter. Notre aviation et nos tanks et nos courageux garçons y tuent sans rencontrer d’obstacles. Alors qu’y a-t-il à craindre ?

MAIS L’HISTOIRE iranienne, c’est tout autre chose. Il y a vraiment des raisons d’avoir peur.

Là au moins nous avons un ennemi qui déclare qu’il est opposé à l’existence-même de notre Etat, et qui peut bientôt nous affronter avec des armes de destruction massive.

Le Président élu de l’Iran, Mahmoud Ahmadinejad, aime vraiment lancer des déclarations provocatrices. C’est son passe-temps favori, mais c’est aussi un stratagème de politique intérieure qui marche. Il a dit que l’Holocauste n’avait jamais eu lieu, et que s’il s’était vraiment passé, il était beaucoup moins important qu’on ne le dit et qu’il fallait réétudier l’ensemble de la question. Il prophétise aussi la destruction du « régime sioniste ».

Pour dire la vérité, il n’a pas vraiment déclaré qu’il avait l’intention de « balayer Israël de la carte » comme on l’a annoncé. Selon la traduction la plus fidèle que j’ai vue, ce qu’il a dit en réalité est : « Un jour Israël sera rayé de la carte ». Mais c’est déjà assez effroyable.

C’est effroyable car dans peu d’années, l’Iran peut très bien avoir une bombe nucléaire. Il semble qu’on ne peut pas l’en empêcher. Il y a 25 ans, Israël a bombardé un réacteur nucléaire irakien. L’Iran en a tiré la leçon et a dispersé ses installations militaires dans différents endroits. Les capacités d’Israël ne sont pas suffisantes pour leur destruction. La nomination d’Avigdor Liberman, propagateur d’idées fascistes, comme « ministre chargé de la menace stratégique » n’y change rien.

Si Israël, qui n’est que la quatrième ou cinquième puissance mondiale, ne peut pas le faire, qu’en est-il des Etats-Unis, numéro 1 en presque tout ? Eh bien, ils n’en sont pas capables non plus. Des installations enterrées profondément dans le sol ne peuvent peut-être pas être détruites, et la guerre qui s’en suivrait ne pourrait pas être gagnée sans l’engagement de forces terrestres. Et après les fiascos en Irak et en Afghanistan, il n’y a pas beaucoup de généraux américains sains d’esprit qui aspirent à cela.

Aussi est-il tout à fait possible que, dans quelques années, le Président iranien non seulement ait à la bouche des rodomontades, mais aussi dans les mains des armes nucléaires. Et si cela n’est pas effroyable, je ne sais ce qui peut l’être.

ALORS, pourquoi n’ai-je pas peur ?

Je vis en Israël et je suis bien décidé à continuer d’y vivre. Israël est un petit pays, et une grande partie de sa population vit dans la zone urbaine de Tel-Aviv. J’habite au centre de la ville, dans ce que les Américains appelleraient Ground Zero. Si une arme nucléaire, petite et primitive de type Hiroshima, tombait sur l’immeuble où je vis, une grande partie de la population israélienne serait annihilée. Deux ou trois bombes de cette sorte suffiraient pour mettre fin à Israël (et aux territoires palestiniens voisins par la même occasion).

Mais je ne crois pas que cela arrivera.

Pour croire à une telle possibilité, il faut considérer les dirigeants de l’Iran comme une bande de cinglés. En dépit des efforts d’Ahmadinejad pour nous convaincre qu’il est fou, je n’en suis pas si sûr.

Je crois que le leadership iranien, et en particulier la direction politico-religieuse, est composé de gens très sensés. Depuis qu’ils sont au pouvoir, ils ont agi avec prudence et compétence. Ils n’ont lancé aucune guerre. Au contraire, ils se glorifient du fait que dans les 2.000 ans passés, l’Iran n’a déclenché aucune guerre. Et dans l’establishment iranien, le président n’est qu’un homme politique complètement subordonné aux ayatollahs qui exercent le pouvoir effectif. (Assez curieusement, le même système règne dans nos partis fondamentalistes, Agudat Israel et Shass.)

Je n’ignore pas ce qu’Ahmadinejad a dit. Après Adolf Hitler et Mein Kampf, qui oserait ne pas tenir compte de telles déclarations d’intention ? Mais le Président iranien n’a pas le pouvoir du führer allemand, les deux pays sont complètement différents, les circonstances historiques aussi.

L’annihilation de Tel-Aviv conduirait inévitablement à l’annihilation de Téhéran et des précieux trésors de l’ancienne et glorieuse culture persane. En termes de jeu d’échecs, ce ne serait pas un échange de reines, mais un échange de rois. Il est beaucoup plus raisonnable de penser que, entre Iran et Israël, un « équilibre de la terreur » sera établi, comme celui qui a empêché la troisième guerre mondiale entre les Etats-Unis et l’Union soviétique et qui empêche actuellement une reprise de la guerre indo-pakistanaise.

MALGRÉ tout, nous n’attendrions pas passivement d’en arriver à la situation où Israël, l’Iran et peut-être des Etats arabes comme l’Egypte et l’Arabie saoudite possèderaient des bombes nucléaires. Le génie nucléaire est sorti de la bouteille et se répand à travers le monde.

S’il n’y a pas d’option militaire, que peut-on faire ?

Pour prévenir le danger, l’effort principal doit porter à faire la paix avec les Palestiniens et avec tout le monde arabe. Des gens comme Ehoud Olmert peuvent s’imaginer que le problème palestinien peut être isolé du processus global et régional. Mais ce problème est lié à de nombreux facteurs, qui varient en permanence.

La force relative des Etats-Unis, notre seul allié dans le monde (avec les iles Fidji, la Micronésie et les iles Marshall), décroît lentement mais inexorablement. L’Iran est en train de devenir une puissance régionale. Les aspects nucléaires donnent une nouvelle dimension au conflit historique. Comme le philosophe grec l’a dit : panta rhei, tout change.

Les généraux peuvent bien s’imaginer qu’ils vont remporter une énorme victoire sur le Hamas à Gaza, Olmert peut bien se poser la question à la façon d’Hamlet de « parler ou ne pas parler » (avec Mahmoud Abbas), mais pendant ce temps, il se passe des choses qui devraient accélérer l’avènement d’une réconciliation historique entre les deux peuples.

Si la direction élue du peuple palestinien signe avec nous un accord annonçant la fin du conflit, et si tout le monde arabe fait la paix avec nous sur la base de « l’initiative saoudienne », cela coupera l’herbe sous le pied de tous les Ahmadinejads du monde. Si les Palestiniens eux-mêmes acceptent l’idée de la coexistence d’Israël et de la Palestine, et si l’Egypte, la Jordanie et la plupart des pays du monde arabe entérinent cette acceptation, au nom de qui les Iraniens libéreront-ils la Palestine ?

Dans le cadre du processus de paix israélo-palestinien, il sera aussi nécessaire d’envisager la création d’une zone libre de toute arme nucléaire. Une inspection mutuelle efficace est-elle possible ? Peut-il y avoir des garanties en béton ? Pour le moment, il est difficile de le dire. Mais cela vaut la peine de l’envisager.

QUOI QU’IL EN SOIT, il n’y aucune raison de faire des cauchemars apocalyptiques. Même une bombe nucléaire entre les mains de Téhéran n’est pas la fin du monde, ni même la fin d’Israël. Cela créera une nouvelle situation et nous devrons vivre avec.

Les pères du sionisme ont appelé les Juifs à prendre leur sort entre leurs mains et à renverser le cours de l’histoire, et ceux qui ont répondu à cet appel ont pris sur eux tous les risques que cela impliquait. Le monde est un endroit dangereux, et il n’y pas d’existence sans danger. J’espère que nous aurons le bon sens de ne pas exagérer les dangers qui existent de toute façon.

Comme ces courageux aviateurs britanniques, nous avons le droit d’avoir peur. Mais nous devons faire face à la nouvelle situation avec un esprit lucide et une détermination mesurée.

Article publié le 29 octobre, en hébreu et en anglais, sur le site de Gush Shalom – Traduit de l’anglais « Who is Afraid of the Iranian Bomb ? » : RM/SW

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