Qui est Raoul Castro ?

Dans le flot de désinformation qui nous a accablé, les journalistes ont eu du mal à expliquer qui était Raoul Castro. L’inévitable « expert » Machover, et d’autres du même acabit, sont venus expliquer que Raoul ne « tiendrait » rien, parce qu’il n’avait pas le charisme de son frère, que personne ne le connaissait quasiment à Cuba. Machover, enterrant avant le temps Fidel, pour la première fois lui rendait un hommage détourné : il reconnaissait implicitement que Fidel ne tenait pas son peuple par la terreur mais par « le charisme ». Mais c’était pour mieux, une fois de plus, nous asséner quelques contre vérités.

Le contexte des médias français :

Non seulement à Cuba on connaît Raoul, mais il n’a pas l’image que déjà on lui bâtit ici, en suivant fidèlement la consigne du crétin assassin de la Maison Blanche. Car de ce côté-là, aux Etats-Unis rien n’a bougé. Des voix se sont élevées pour réclamer la fin du blocus. Rien de bien nouveau dans cette demande : depuis des années il y a une majorité au Congrès pour exiger l’assouplissement du blocus, des démocrates, mais aussi des républicains issus des milieux d’affaire.

On ignore en France tout de Cuba, mais on ignore également ce qui se passe aux Etats-Unis, la presse se contentant de diffuser la propagande de Miami, des plus excités dont Machover et les autres « spécialistes » de Cuba sont les représentants. Aux Etats-Unis, soit par conviction, soit par sens de leurs intérêts bien compris, il existe une majorité de gens qui souhaitent au moins l’assouplissement du blocus. Les noirs démocrates nord-américains, par exemple se battent en faveur de Cuba, des églises protestantes, mais aussi des Etats progressistes s’opposent au blocus. La mafia de la Floride, (un mélange de gangsters, d’affairistes, et de stipendiés de la CIA, et de terroristes qui ont sévi dans toute l’Amérique latine) tient cet Etat dont le gouverneur est le frère de Bush, c’est « Miami vice ». Ils développent une véritable hystérie anticubaine. C’est un des quatre Etats dont dépend l’élection présidentielle et on sait ce que Bush doit au contrôle exercé par cette racaille. Notons encore qu’à l’intérieur même de l’Etat de Floride, il existe désormais une opposition à cette mafia, chez les immigrés cubains également, où des voix dénoncent le blocus.

Tout cela pour expliquer que notre presse française, la radio, la télévision, ne parlent pas du point de vue des Etats-Unis, celui-ci est nettement plus complexe et moins anti-cubain, non les médias français sont la voix exclusive de la mafia de Miami, et ne laissent la parole qu’à celle-ci. Donc non contents de ne jamais s’intéresser aux 11 millions qui vivent dans l’île, au profit d’une poignée de « dissidents » rémunérés par le gouvernement des Etats-Unis[1], mais ils se font les porte-voix exclusifs d’un système, celui de l’Etat de Floride, dont les tenants ont été mêlés à la plupart des mauvais coups (assassinat de Kennedy, Watergate, tortionnaires d’Amérique latine comme Posada Carriles). Sans parler de Robert Ménard qui a lui-même reconnu émarger à la CIA[2], nous avons donc une presse, radio, télévision, qui sur Cuba a choisi non seulement d’adopter le point de vue de cette mafia, mais pratique la censure sur tout autre point de vue, y compris celui venu des Etats-Unis.

Résultat, vous êtes convaincus que Cuba appelle Fidel Castro, le lider maximo. C’est une expression qui n’est jamais employée dans l’île, où l’on parle du « commandente » ou plus normalement de Fidel. Cette expression vient de Miami. Comme vous êtes tellement habitués à entendre parler du « régime cubain » que cela vous paraît normal… Il n’y a rien d’innocent en ce qui concerne Cuba, tout est propagande. Même la maison Blanche s’autointoxique au point d’envisager comme mesures de la transition démocratique la vaccination des écoliers cubains, alors que ceux-ci bénéficient de 14 vaccinations, et que le taux de mortalité infantile est meilleur en survie que celui des Etats-Unis. Quand on suit ces gens-là on ne peut que se tromper.

Ceci explique sans doute le degré de désinformation, les pronostics sans cesse déjoués, de nos cubanologues des médias français. [3] Tout le monde attendait le départ de Castro pour voir se déclancher à Cuba une guerre civile, Fidel Castro, malade passe les pouvoirs dans le cadre prévu par la constitution. Cuba reste paisible. Castro n’est pas mort, mais se considère comme en situation temporaire de ne pouvoir assumer ses charges. Les Cubains pensent majoritairement qu’il va s’en sortir et l’espèrent. Nos médias ne savent plus comment interpréter ce calme, ils tournent en rond, font appel exclusivement à leur pseudo-experts et nous ne saurons toujours pas ce qui se passe à Cuba.

Bush a dit : pas question de revoir le blocus. Fidel Castro a passé le pouvoir « à son frère, le gardien de prison ». C’est la ligne, nul doute qu’elle va être reprise.

A Miami, les excités se donnent en spectacle et crient comme tous les fascistes de leur espèce « Viva la muerte », on nous les présente comme le « vrai » Cuba.

Donc personne en France ne sait qui est Raoul Castro, et que la passation des pouvoirs est prévue par la Constitution cubaine, à la manière dont la Constitution française en cas de vacance de la Présidence donne les pouvoirs au Président du Sénat. Car Raoul n’est pas seulement « le frère » de Fidel, il est un homme d’Etat, bien connu des Cubains et apprécié pour diverses qualités.

Qui est Raoul Castro :

Raoul Castro fait dès la première heure de la Révolution partie du groupe autour de Fidel, il y a le Che Guevara, Camille Cienfugos, et Raoul Castro. C’est même lui qui à Mexico présente le Che à son frère. Il est vrai qu’il n’a pas l’aspect flamboyant de son frère aîné, mais c’est un grand organisateur, un révolutionnaire. On insiste souvent sur son « pragmatisme », en l’opposant au caractère « visionnaire » de Fidel. Raoul Castro est aussi passionné par la théorie, le débat d’idées, mais il est aussi celui qui traduit en fait, en organisation les décisions et de ce fait éclaire la décision, y participe pleinement.

Une anecdote courait à Cuba durant la période spéciale, une broma, une plaisanterie : tout Cuba avait faim et maigrissait, un paysan restait replet et visiblement en pleine forme. Raoul vient le voir et lui demande son secret. « Je mange cette herbe » dit le paysan. Raoul l’a fait analyser et lui trouve des qualités nutritives extraordinaires, il ordonne : « produisez cette herbe en quantité et distribuez là aux Cubains ». Fidel intervient : « Pas question d’y toucher, il faut la conserver en cas d’invasion et de durcissement du blocus ».

Cette anecdote résume bien la manière dont les Cubains voient les deux frères. Ils savent le rôle joué par Raoul dans la révolution. Non seulement la manière dont il a créé de toute pièce une armée révolutionnaire, qui dès cette époque non seulement a pour objectif de défendre l’île, mais d’assurer par ses interventions actives une aide matérielle aux Cubains.

Comme me l’expliquait une amie après la maladie de Fidel, « Raoul alors que tout le monde était dans les limbes et ne savait comment assurer la survie, a pris les choses en main, il a défendu et imposé une mesure qui n’avait rien d’évident, l’ouverture des marchés paysans où ces derniers portaient à la ville les produits de leur propre culture ». Cela a évité aux Cubains de mourir d’inanition, et Fidel s’est rangé à cette idée qui lui déplaisait, parce qu’il voyait bien que cela pouvait donner lieu à la naissance d’une paysannerie enrichie et égoïste. Dans le même temps, Raoul a développé de grandes fermes gérées par l’armée, encore aujourd’hui quand les prix ont tendance à monter dans les marchés, l’armée intervient en proposant en grande quantité des produits agricoles qui stabilisent les prix.

Mais le rôle de l’armée sous sa direction ne s’est pas limité là. Elle gère directement des entreprises, en particulier dans le secteur touristique, et elle met en place des méthodes de gestion qui sont transférées dans d’autres secteurs. L’armée cubaine est la seule armée à s’autofinancer. Mais ce laboratoire ne se limite pas à l’économie, Cuba cherche à créer un tourisme écologique, respectueux de l’environnement, où l’on ne « bronzerait pas idiot », c’est l’armée qui innove et dans le cadre de la restructuration sucrière, des terres sucrières de la province de santa Clara sont ici l’objet de l’innovation d’un tourisme écologique.

Les liens entre cette armée révolutionnaire et la puissante centrale syndicale cubaine sont très forts. Quand j’avais fait mon enquête dans les centrales sucrières, j’avais été frappée par l’existence de ces liens. Les locaux syndicaux affichaient des portraits de Raoul, et les travailleurs du sucre se considéraient comme en état de mobilisation en cas d’invasion. A cette occasion j’avais découvert un autre maillage de la société cubaine que celui que l’on peut percevoir dans les cercles intellectuels de la Havane. Toutes mes enquêtes m’ont confirmé cette capacité organisationnelle, partant des problèmes concrets affrontés par les Cubains, leur apportant des réponses, des hommes et des femmes de terrain.

Raoul Castro ne s’oppose pas au caractère visionnaire de son aîné, il le complète, l’assure, en mettant en œuvre depuis toujours une organisation révolutionnaire et populaire. Les Cubains connaissent ce travail mené par Raoul et l’apprécient.Sans se désintéresser des relations internationales, conduisant souvent des délégations d’étude en particulier en Chine, il agit d’abord pour améliorer la situation à Cuba, renforcer la défense de l’île.

Si Fidel est une figure titanesque, un symbole de l’unité de Cuba, Raoul a un réseau de fidélités, de confiance. L’image que l’on donne de lui d’homme de l’ombre n’est pas exacte, il est chaleureux, vivant et par exemple aime danser, faire la fête, alors que son aîné est plus austère, plus lointain.

La passation des pouvoirs est donc parfaitement constitutionnelle et de surcroît elle correspond à l’état d’esprit de l’immense majorité des Cubains. Qu’ils soient critiques ou non sur le système politique, et d’une certaine manière ils le sont tous, y compris Fidel, il suffit de relire son discours à l’Université du 17 novembre 2005, pour mesurer à quel point les dirigeants et le peuple cubain ne cessent de dénoncer « ce qui ne va pas », tentent de le corriger, mais ils ont tous la volonté de résister à la colonisation nord-américaine. Nommer celui qui dirige l’armée révolutionnaire, dans ces heures où les Etats-Unis auraient pu tout tenter, était donc parfaitement logique. Depuis plus de quarante ans Cuba subit une guerre larvée, attentats terroristes, blocus, et propagande, il était donc normal que l’armée révolutionnaire, celle qui repose sur la mobilisation populaire soit à la tête du pays.

Les Cubains ont d’ailleurs fait la preuve de la force de cette mobilisation, par leur tranquillité, partout les dirigeants, les responsables sont allés expliquer que Fidel avait besoin de repos, qu’il comptait sur l’esprit de responsabilité des Cubains et que la tâche essentielle était de préserver l’unité du peuple cubain. Certes on n’a pas vu Raoul Castro à la télévision, ni beaucoup de dirigeants, ils étaient tous en train de mouiller la chemise sur les lieux de travail, au plus près des Cubains pour porter ces idées. De toute manière depuis plusieurs mois, voir années la situation était prévue et chaque Cubain savait ce qu’il avait à faire quels que soient les événements.Dans un article récent intitulé « Que se passe-t-il à Cuba », j’avais émis des hypothèses de ce type concernant « l’après-Castro », il me semblent qu’elles se vérifient. Encore que nous ne soyons pas dans « l’après-Castro », Fidel n’est pas mort, et la plupart des Cubains sont convaincus « qu’il va s’en sortir » et que la seule question est de savoir s’il aidera, conseillera ou reprendra les « rênes ».

Je reviens d’une radio locale, et je me suis aperçue en répondant aux questions des auditeurs qu’il y avait un élément d’information que je n’avais pas fourni dans cet article tant il me paraissait évident, alors que dans l’esprit de mes auditeurs le thème de la dictature est totalement prégnant, le voici :

La méconnaissance de Cuba est telleet le thème de la dictature si prégnant dans les esprits occidentaux, que les commentaires sont allés bon train sur ce que mettait en place Fidel pour lui succèder. Comme d’ailleurs les mêmes se sont interrogés sur l’absence d’Alarcon. C’est parce que ces commentateurs « avisés » ignorent le fonctionnement réel des institutions cubaines.

Cuba est un régime d’assemblée, depuis le niveau local jusqu’au niveau national, Fidel est élu comme Président par l’assemblée du pouvoir populaire dont il est un des élus par la base. Il n’a rien à déléguer à Alarcon qui est le Président de cette Assemblée Populaire et qui conserve ses pouvoirs. La présidence d’Alarcon a d’ailleurs donné beaucoup de relief à sa fonction et aux travaux de l’Assemblée.

Fidel ne délègue que ce qu’il a en charge, c’est-à-dire trois fonctions constitutionnelles, celle de Secrétaire du parti, celle de président du Conseil d’Etat et celle de commandant en chef de l’armée cubaine. Il les délègue à une seule personne prévue par l’article 94 de la Constitution qui est raoul, lui même second dans toutes ces fonctions.

En outre Fidel a pris l’habitude de s’investir dans des domaines de travail spécifiques auxquels il donne une impulsion. En général ces domaines relèvent à la fois du National et de l’International. Il s’agit dans ce cas des trois domaines, l’énergie, l’éducation et la santé. Il demande à des responsables de travailler en collégialité pour surveiller la bonne marche de ces dossiers.

Donc il ne s’agit pas d’une sorte de comité de salut public qui prendrait en main les rênes de Cuba, mais bien de la poursuite du fonctionnement normal des institutions cubaines.

Même si Cuba n’est plus dominé par la monoculture sucrière, j’ai eu le sentiment durant deux jours d’assister à une zafra, la coupe de la canne, c’est une véritable guerre dont les brigades sont dirigées par un état major… Le calme, la tranquillité cubaine qui a stupéfié tous les observateurs, relevait de cette organisation dans laquelle depuis tant d’années Raoul Castro joue un grand rôle.

Mais pour savoir cela, il faudrait réellement s’intéresser au peuple cubain, et pas seulement à la poignée de stipendiés des Etats-Unis et ne pas laisser seulement la parole à leurs représentants dans les médias français.

[1] Il ne s’agit pas d’affirmations gratuites, ainsi les récentes mesures (juillet 2006) préconisées par Bush pour resserrer le garrot du blocus et financer la propagande anticubaine, dans l’île est à l’étranger (80 millions réservés à cet usage, désignent clairement les bénéficiaires, des gens comme Osvaldo Paya, les dames en blanc, la fine fleur de la dissidence. Ces derniers ont d’ailleurs protesté en affirmant : un que Miami détournait l’essentiel des fonds qui leur était destiné, deux que cette désignation officielle les décrédibilisait…

[2] voir notre livre Les Etats-Unis DE MAL EMPIRE. Danielle Bleitrach, Viktor Dedaj, Maxime Vivas ? A editeur. 2005.

[3] Cela n’atteint pas que Cuba, les errances de Paranagua le « spécialiste » de l’Amérique latine du Monde sont célébres. Il annonce qu’Evo Morales est fâché avec Chavez et évitera Caracas au moment même où celui-ci atterrit au Venezuela. Evidemment c’est la faute de Castro, qui décidemment n’a qu’une obsession contrarier Paranagua, puisque c’est lui qui a convaincu Evo. Où a-t-il pris son information ? Autre fait illustre, Paranagua explique que Chavez met à mal la gauche latino, et casse le Mercosur, le récent sommet de la fin juillet non seulement témoigne que Chavez, voir Evo Morales intègre le Mercosur, mais que l’événement est la rupture du Blocus et la présence de Fidel en est l’aspect le plus sensationnel…



Articles Par : Danielle Bleitrach

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