Réforme des services secrets au Monténégro : du communisme à l’Otan
L’Agence pour la sécurité nationale (ANB) ne sera plus l’unique service de renseignement monténégrin. Le ministère de la Défense va disposer de ses propres services. La nouvelle Loi sur la défense du Monténégro prévoit en effet la création d’un service rattaché au ministère de la Défense, portant le nom de Service d’information et de sécurité (OBS). Héritage du communisme, au Monténégro, les services secrets jouissent toujours d’une aura particulière, surtout les services militaires…
Les critiques du Parti social-démocrate (SDP), qui ont temporairement retardé l’adoption de la loi, concernaient le fait que ces « services secrets militaires » seraient totalement contrôlés par le ministre de la Défense. La plupart des modifications demandées par le SDP concernaient l’organisation et le champs d’action de l’OBS.
Les services secrets militaires ont, au Monténégro, toujours été respectés et craints. Cela devrait faciliter les futures tâches de de l’OBS…
Malgré leurs noms différents, tous les services secrets de la région ont la même origine, et ils ont hérité de l’obsession communiste de la poursuite des « ennemis intérieurs ». Cette approche a résisté aux changements sociaux, idéologiques, au départ des anciens dirigeants communistes et à la transformation des systèmes politiques. La glorification de ces services s’est transmise de générations en générations. Dans les pays ayant une longue tradition parlementaire, on les considère au contraire comme des serviteurs de l’État, mais qu’il faut étroitement surveiller.
La longue tradition des services communistes
La fameuse OZNA (Organ Zaštite Narodne Armije), connue comme « le sabre de la révolution », créée en mai 1944, est à l’origine de tous ces services. Son premier et son deuxième département ont ensuite constitué l’UDBA, la Direction de la sécurité d’État, ultérieurement renommée SDB – Service de la sécurité d’État. Depuis 2005, ce service continue à fonctionner au Monténégro sous le nom d’Agence de la sécurité nationale (ANB).
Le troisième département de l’OZNA a été transformé en 1946 en KOS, service de contre-espionnage de l’Armée yougoslave. Celui-ci n’est pourtant jamais resté enfermé entre les murs des casernes, il a toujours agi comme une police politique.
Tout comme l’UDBA, le KOS représentait pour la population un instrument de contrôle « des travailleurs, des citoyens et de l’intelligentsia honnête ».
Durant la période de « la révolution anti-bureaucratique » (1989 -1991), le SDB du Monténégro était dirigé par Lazar Boričić, un officier du KOS. Les temps ont changé, mais les pratiques restent, seuls les rôles ont changé : les cadres de l’ANB dirigent actuellement les services militaires.
Le long bras de fer entre le SDB monténégrin et le KOS yougoslave
Le futur OBS du Monténégro a été conçu sur le modèle du KOS. Le projet a été élaboré en 2007 par le Département pour les questions de sécurité et la protection des information du ministère de la Défense. Le chef de ce département, Božidar Lakić, est un ancien responsable de l’ANB. Il a été ministre dans le gouvernement de Vuk Vukadinović, qui avait démissionné sous la pression de la révolution anti-bureaucratique en octobre 1988. Ce même Božidar Lakić a été à nouveau engagé par les services secrets au milieu des années 1990, d’abord comme chef du SDB de la ville de Bar, ensuite comme chef du SDB de Podgorica. Son grand mérite est d’avoir contribué à la destruction des agences du KOS yougoslave au Monténégro. Il y a quelques mois, Božidar Lakić a été nommé conseiller pour la sécurité du ministre de la Défense.
Les rapports entre le SDB monténégrin et le KOS yougoslave se sont détériorés à la fin des années 1990, quand le régime monténégrin s’éloignait de Belgrade, dans un silence caractéristique des querelles de « famille ». À cette époque, le KOS avait fait venir à Podgorica des renforts de Belgrade : le 12e groupe de contre-espionnage, dirigé par le général Aleksandar Vasiljević, ancien chef du KOS en 1991-1992. De son côté, le SDB monténégrin avait mis sur écoutes les bureaux du KOS dans le bâtiment de l’État-major de la IIe Armée yougoslave, basée au Monténégro.
En 2004, le KOS avait été plus ou moins pris en main sur tout le territoire monténégrin et transformé en Agence de sécurité militaire (VBA), commandée par le colonel Petar Baucal.
Après le référendum de 2006, le centre de la VBA à Podgorica a été dissous, le colonel Baucal est parti en retraite et les cadres militaires monténégrins ont obtenu des postes de moindre importance au sein du nouveau ministère de la Défense du Monténégro. Le centre du Service d’information militaire de Podgorica a été dissous de la même façon.
Les documents secrets de l’Otan
Le Département pour les questions de sécurité et de protection des informations au sein du ministère de la Défense a été créé juste avant la visite du secrétaire général de l’Otan, Jaap De Hop Shefer, à Podgorica le 16 mars 2007. Lors de cette visite, le Monténégro a accepté l’Accord sur la sécurité des données. L’Otan n’a adopté ce même document qu’en novembre 2008.
Le gouvernement monténégrin a formé la Direction pour la protection des données secrètes, directement chargée de l’échange des informations « classifiées » avec l’Otan et de leur protection. Elle délivre également des permis d’accès aux données secrètes (NATO security clearance). La première directrice de l’agence, Larisa Radovanović, de l’ANB, n’aurait pas réussi à terminer les travaux prévus à temps. Les raisons de cet échec ne sont pas connues.
Le ministre de la Défense, Boro Vučinić, a ensuite proposé au gouvernement un nouveau directeur, Savo Vučinić, son cousin et conseiller au ministère de la Défense. Tout a été achevé dans les plus brefs délais : l’Otan a confirmé l’accord. Le bâtiment du ministère de la Défense possède une pièce spécialement équipée, qui comprend notamment une cage de Faraday [1], destinée à sauvegarder et à lire les informations de l’Otan de niveau trois de confidentialité (Nato secret, Nato confidential et Nato restricted). Les deux autres niveaux de confidentialité (Nato cosmic top secret et Nato focal top secret) ne deviendront accessibles aux fonctionnaires monténégrins qu’au moment de l’adhésion formelle du Monténégro à l’Otan.
La Loi sur les données secrètes de 2008 prévoit la surveillance des activités de la Direction par le ministère de la Défense. De son côté, l’Agence de la sécurité nationale (ANB) est chargée de vérifier quelles personnes ont accès aux données de l’Otan. En même temps, les modifications proposées à la Loi sur la défense prévoient que l’OBS exerce la protection du ministère de la Défense, dont la Direction pour la protection des données secrètes.
Les informations classifiées de l’Otan ne concernent pas seulement les données militaires, mais également la criminalité organisée, la politique et les finances.
Très large champ d’action
Cependant, le domaine d’activité du futur OBS sera bien plus large. Les changements proposés à la Loi sur la défense et rédigés par le ministère de la Défense concernent l’effacement du chapitre « Protection des données secrètes » et les modification du chapitre « Affaires d’information, de contre-espionnage et de sécurité ».
À la différence de l’ANB qui, d’après la loi de 2005, n’a pas vocation à travailler à l’étranger, le futur OBS effectuera « le suivi et l’évaluation de la situation militaire et de sécurité dans des Etats étrangers » ainsi que « la collecte et l’évaluation des données concernant la situation sur les théâtres d’opération de l’armée monténégrine dans le cadre des engagements internationaux ».
Les activités de l’OBS dépasseront cependant le strict domaine de la défense, l’organisation aura les attributions d’une véritable police politique et pourra collecter et conserver des « données sur les délits pénaux contre l’ordre constitutionnel et la sécurité du Monténégro ».
L’OBS sera aussi chargé de collecter des informations sur « l’activité subversive des individus ou des groupes contraire aux intérêts de défense du Monténégro ». Cette formulation est vague et potentiellement dangereuse.
Par exemple, le gouvernement et la majorité parlementaire ont proclamé l’adhésion du Monténégro à l’Otan comme étant un « intérêt national de défense » (dans les documents intitulés « Stratégie de la sécurité nationale » et « Stratégie de sécurité »). Cela signifie que s’opposer à l’entrée du pays dans l’Otan peut être interprété comme une « action subversive » et entraîner une mise sous surveillance de l’OBS.
D’après les modifications proposées, l’article 41a de la Loi sur la défense donne au ministre de la Défense des compétences similaires à celles du directeur de l’ANB : « les personnes chargées des affaires d’information et de sécurité désignées par le ministre de la Défense, collectent en cachette les données, conformément aux moyens, méthodes et conditions valables pour l’ANB ».
En pratique, le ministre de la Défense aura la possibilité d’accorder aux membres de l’OBS, selon son libre choix, la collecte secrète des données sur les personnes morales et physiques au Monténégro.
À la différence de l’ANB, dont la neutralité politique et idéologique est prescrite par la loi et dont les fonctionnaires ne peuvent pas être membres de partis politiques, le ministre de la Défense est toujours un responsable d’un parti politique.
[1] Une cage de Faraday est une enceinte utilisée pour protéger des nuisances électriques et subsidiairement électromagnétiques extérieures, ou inversement empêcher tout appareillage de polluer son environnement.
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Traduit par Jasna Andjelic. Le Courrier des Balkans.