Réforme du FMI : tout bouge pour que rien ne change

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Les réformes internes menées traduisent sa volonté d’acquérir davantage de légitimité dans le monde, sans pour autant changer sa nature d’instrument au service et aux mains d’une minorité de pays dits riches.

Plutôt que de résoudre la question de la marginalisation qui frappe les pays du Sud, la reforme du Fonds monétaire international engagée à Singapour, à l’occasion des assemblées annuelles du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale pourrait simplement contribuer à creuser davantage le fossé entre les pays qui subissent les Fmi et ceux qui le dirigent. La réforme majeure intervenue, soixante ans après la création du Fmi, consiste à revoir à la hausse les droits de vote de certains pays dits émergents, notamment la Chine, le Mexique, la Turquie et la Corée du Sud. Ces pays se sont bâtis, avec l’appui des plus pauvres, notamment d’Afrique, pour faire céder les instances du Fmi qui acceptent enfin de reconnaître que l’organisation a plus que perdu de sa légitimité en restant un instrument international aux seules mains de quelques puissances, elles-mêmes à genoux devant la toute puissance financière des Etats-Unis au sein du Fmi.

Trop de publicité a été faite autour de cette réforme du Fmi. Pourtant, les changements sont incontestablement maigres et leur portée presque nulle. Par exemple, un pays comme la Turquie voit ses droits de vote passer de 0,45 à 0,55 %. Dans une machine dominée par les Etats-Unis et qui servira exclusivement les intérêts des pays industriels qui exportent vers ceux du Sud, une telle modification n’apporte pas un ordre nouveau au sein de l’institution financière internationale, pas plus qu’elle ne lui confère plus de légitimité pour continuer à impose des politiques douloureuses aux pays dont le pouvoir de décision est quasi nul au sein de l’organisation. “ Il n’y a pas là de quoi mettre en péril la mainmise des grandes puissances. C’est néanmoins suffisant pour flatter l’ego des dirigeants des pays stratégiques aux yeux des Etats-Unis et de Wall Street ”, ironise le comité pour l’annulation de la dette du tiers-monde. Les dirigeants du Fmi jouent à en être conscient en promettant une redistribution plus conséquente des droits de vote en 2008. Ainsi, les pays émergents (car les pays pauvres n’auront droit à rien) qui n’ont pas bénéficié de la mansuétude du staff du Fonds, espèrent-ils, en 2008, que justice leur sera rendue via une augmentation de leur pouvoir au sein des instances de décision.

Une hypothèse qui fait déjà place aux débats les plus saugrenus parmi les pays influents du Fmi puisqu’il s’agira de repartir le plus équitablement possible les pouvoirs de vote au sein de l’organisation, sur quelle base va-t-on déterminer la puissance économique d’une pays ? “ Les Etats-Unis veulent mettre l’accent sur le produit intérieur brut (Pib), les Européens insistent sur l’ouverture des marchés, le Japon ne veut pas donner plus de poids aux pays ayant engrangé des réserves importantes de changes, comme la Chine voisine ”, explique la Libre Belgique, pour traduire cet embarras Autant dire que le jeu des pouvoirs ne fait que commencer, et que les pays dit nantis ont profité de cette redistribution des cartes prévue dans deux ans pour régler leurs comptes à quelques pays hostiles ou qui profitent de critères spécieux pour s’adjuger une place encore plus importante au sein de l’institution financière, en donnant une illusion de réforme. Par exemple, “si l’on mesure l’ouverture des pays de l’Union européenne à l’aune de leur commerce intra-européen, il est hautement probable que la nouvelle formule révisée donnera lieu à une représentation encore plus biaisée des économies émergentes au sein du Fmi”, a averti un responsable argentin. L’ensemble de l’Amérique du Sud est contre le projet, selon le ministre brésilien de l’économie, Guido Mantega. Mais, en pourcentage de voix, ils ne font pas le poids. “L’approbation d’une réforme avec autant de pays opposés causerait une crise de représentativité du Fmi”, a-t-il averti. Bref, la légitimité du Fmi est encore loin d’être conquise.

La preuve, l’économiste Georges Monbiot, auteur de plusieurs ouvrages de référence sur la réforme de l’économie mondiale, est plus que dubitatif sur les vertus de ces réformes du Fmi. “ Comme la plupart des concessions que font les régimes dictatoriaux, la réforme semble conçue non pas pour catalyser des changements ultérieurs mais pour les empêcher. En augmentant légèrement les parts (et donc les droits de vote) de la Chine, de la Corée du Sud, du Mexique et de la Turquie, le “ régime ” espère acheter les seigneurs de la guerre rebelles les plus puissants, tout en tenant en respect la foule. Il a même jeté quelques petits sous depuis le balcon afin que les misérables puissent se les disputer ”, analyse-t-il avant de désespérer des dirigeants de cette organisation. “ Le Fmi est une institution qui compte 184 membres. Il est dirigé par seulement sept d’entre eux : les Etats-Unis, le Japon, l’Allemagne, le Royaume-Uni, la France, le Canada et l’Italie. Il se trouve que ce sont là les sept pays qui (avec la Russie) ont promis de sauver le monde lors de la réunion du G8 en 2005. Cette junte justifie son contrôle en insistant sur le principe : “ un dollar, un vote ! ”. Plus grand est le quota financier d’un pays, plus il a de pouvoir pour diriger le Fmi. Cela veut donc dire que le Fmi est administré par ceux qu’il affecte le moins. Une décision importante exige 85 % des droits de vote, ce qui attribue aux Etats-Unis, qui en possèdent 17 %, un droit de veto sur les affaires importantes du Fmi. Le Royaume-Uni, l’Allemagne, la France et le Japon, ensemble, possèdent 22 % des droits de vote, et chacun a un siège permanent dans le Conseil d’administration. Grâce à un arrangement bizarre qui permet aux pays riches de parler au nom des pays pauvres, le Canada et l’Italie contrôlent effectivement 8 % supplémentaires. Les autres pays européens sont aussi remarquablement puissants : la Belgique, par exemple, jouit d’un droit de vote direct de 2,1 % et indirect de 5,1 %, soit plus du double des droits de vote de l’Inde et du Brésil. L’Europe, le Japon, le Canada et les Etats-Unis disposent d’un total de 63 %. Les 80 pays les plus pauvres, au contraire, ne possèdent que 10 %, tous réunis. Ces quotas ne reflètent même plus les véritables contributions financières au Fmi. Il se procure aujourd’hui la plus grande partie de son capital grâce aux remboursements de la dette de ses Etats vassaux. Mais les pays du G7 continuent d’agir comme si le Fmi leur appartenait ”.

D’autant que pour les peuples du Sud, qui subissent les effets dévastateurs des politiques du Fmi depuis trois décennies, le réforme majeure à effectuer consiste réviser les statuts pour les adapter la donne actuelle et à son action en Afrique, et surtout corriger son mode opératoire pour que l’Afrique ne soit plus un laboratoire où on essaie impunément des politiques économiques foireuses conçues à Washington, et qui, lorsqu’elles se révèlent inefficaces et nuisibles à la croissance, sont remises sur le dos de pauvres gouvernements à qui l’on a tout imposé.



Articles Par : François Bambou

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