Rêves et espoirs en forme de poésie

Le journal d’un « clandestin »

Zaher Rezai, fils de Mahmud, était un Hazara de Mazar-el Sharif, la ville qui, en1998, fût le théâtre d’un des nombreux massacre de civils Hazaras que nous rappelle l’Afghanistan. Zaher était tout petit et l’un de ceux qui avaient eu la chance de survivre. Quelques années plus tard, encore enfant, Zaher était en Iran. Il travaillait comme soudeur, en notant soigneusement esquisses et mesures sur son carnet. Le profil qui émerge de la lecture et traduction de son carnet de « clandestin » est le suivant : un garçon  fuyant la persécution, obligé de travailler très jeune comme soudeur, qui se jette à contre cœur dans un voyage d’espoir dont il sait bien qu’il est plein d’embûches.

L’histoire de Zaher peut être reprise comme icône du migrant afghan, le plus souvent mineur, si ce n’est à l’arrivée, au départ sûrement. En tout cas potentiel demandeur d’asile. Le cas des migrants afghans, très jeunes le plus souvent, est l’histoire d’une diaspora silencieuse. Etant donné son nombre réduit, elle n’a pas d’écho dans les journaux, mais révèle un malaise social lié non seulement à la guerre ou à l’occupation du pays, mais aussi à un féroce conflit ethnique et religieux dont on ne parle pas en Occident. Et s’y ajoute la condition prolongée  de diaspora et d’exil, qui en est désormais à la troisième génération, et, des décennies durant, a contraint des familles entières à migrer sans répit à travers des pays frontaliers peu hospitaliers (Pakistan et Iran)  et dans des zones intérieures de l’Afghanistan.

A cette diaspora silencieuse Zaher va finalement donner une voix : une voix très douce. Dans les vers de ses poésies, il cherche le courage de continuer, au-delà des mers, là où il croit que son droit d’exister est garanti. Le carnet qu’on a trouvé dans sa poche contenait en quelques pages la résumé de sa vie : quelques esquisses talentueuses, rapportées avec des mesures détaillées, du travail de soudeur qu’il faisait en Iran ; une note sur les économies grappillées et quelques poésies, inscrites ou apprises peut-être le long du trajet. La calligraphie du garçon indique un degré d’instruction très bas et nous confirme que, comme nombre de ses concitoyens, Zaher n’a pas eu la possibilité de fréquenter l’école. Et pourtant, difficile à croire pour nous Italiens, il connaissait par cœur et récitait en lui-même un certain nombre de vers en rimes. Poésies classiques, poésies très souvent anciennes, de plusieurs siècles, qui parlent d’amour et de nostalgie ; où l’aimé est Dieu et l’amour mystique le désir de le retrouver dans la splendeur et la pureté de la prééternité.

Tu portes le parfum des gemmes qui éclosent,

Tu es comme une fleur du printemps…

Et douce ton affection

J’aime parler avec toi…

Tu es un ami enchanteur

Tu es soif de passion et beauté

J’aime souligner cela parce que l’amour de la poésie de ces jeunes migrants afghans est le premier indice de la sensibilité, de la dignité et du respect dans lesquels ils sont éduqués dès leur plus jeune âge. Quand on parle avec eux, trop souvent émergent la souffrance de la discrimination, la détermination avec laquelle ils luttent pour voir reconnaître leur droit d’exister tout simplement en tant que « personnes humaines ». Leur rêve européen est l’ « Europe des droits de l’homme ». Rêve auquel ils n’ont pas l’intention de renoncer. Inutile de les renvoyer ; ils essaieront à nouveau, jusqu’à la mort s’il le faut.

J’ai tant navigué, nuit et jour, sur la barque de ton amour

Qu’à la fin  ou à t’aimer j’arriverai ou noyé je mourrai.

Continuer. A tout prix : « En Iran, on ne peut pas rester, en Afghanistan on ne peut pas retourner », répètent de façon obsessive les jeunes interviewés. La poésie continue. Elle raconte la peur du rejet ; d’être  traité comme un migrant quelconque ou, pire, comme un voleur ou un clandestin.

Jardinier, ouvre la porte du jardin,

Je ne suis pas un voleur de fleurs,

Je me suis fait rose moi-même,

Car j’ai besoin d’une autre fleur

La peur du voyage. Le bras de mer qui le sépare encore du droit d’asile.

Ce corps si assoiffé et fatigué

Peut-être n’arrivera  jusqu’à l’eau de la mer.

Je ne sais encore quel rêve le destin me réservera,

Mais promets-moi, Dieu,

Que tu ne laisseras point que finisse le printemps.

On est au seuil de l’hiver. Dans les limbes de Patras, Zaher s’embarque sur un navire qui part pour l’Italie. La mer, la dernière traversée.

Oh mon Dieu, que de douleur réserve l’instant de l’attente,

Mais promets moi, Dieu,

Que tu ne laisseras point que finisse le printemps.

Dans mon expérience de médiatrice, c’est chose banale que les jeunes afghans, mêmes analphabètes, gardent en mémoire des vers de poésie et les répètent souvent pour se donner du courage pendant leur voyage et l’expérience de la diaspora. Ce que j’ai le plus souvent entendu parle de la douleur de la mort en exil. Je voudrais le dédier pour conclure à Zaher, en rappelant que malheureusement c’est cette obsession qu’on lit dans les yeux des migrants afghans avec qui je vis et travaille.

Si un jour d’exil la mort décide de reprendre mon corps

Qui s’occupera de ma sépulture, qui pourra coudre mon suaire ?

Que mon cercueil soit déposé sur une hauteur

Pour que le vent rende à ma Patrie mon parfum

 

Fragments

« J’ai tant navigué… »

Recueillis par Hamed Mohamad Karim et Francesca Grisot. Merci à Domenico Ingenito pour son aide à la traduction

Feuillet 9

Tu portes le parfum  des gemmes qui éclosent

Tu es comme une fleur de printemps

Je me fais pour toi ivre et heureux

Quand tu viens me chercher…

Ton affection est douce

J’aime parler avec toi

Feuillet 8

Et même quand tu m’ôtes la parole

Ton repentir est beau

Tu es un ami enchanteur

Tu es soif de passion et beauté

Voyons à présent jusques à quand

Tu t’accorderas à mon cœur

Feuillet 11

Ce corps si assoiffé et fatigué

Peut-être n’arrivera  jusqu’à l’eau de la mer.

Je ne sais encore quel rêve le destin me réservera,

Mais promets-moi, Dieu,

Que tu ne laisseras point que finisse le printemps.

Oh mon Dieu, que de douleur réserve l’instant de l’attente,

Mais promets moi, Dieu,

Que tu ne laisseras point que finisse le printemps.

 

 

Feuillet 13

J’ai tant navigué, nuit et jour,

Sur la barque de ton amour,

Qu’à la fin  ou  à t’aimer j’arriverai

Ou noyé je mourrai.

Jardinier, ouvre la porte du jardin,

Je ne suis pas un voleur de fleurs,

Je me suis fait rose moi-même,

Je ne vais pas en quête d’une fleur quelconque

 

Edition de dimanche 21 décembre 2008 de il manifesto

http://www.ilmanifesto.it/Quotidiano-archivio/21-Dicembre-2008/art76.html 

et

http://www.ilmanifesto.it/Quotidiano-archivio/21-Dicembre-2008/art78.html


Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio



Articles Par : Francesca Grisot

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