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RCTV et la liberté d’expression au Venezuela
Par Gregory Wilpert
Mondialisation.ca, 08 juin 2007
Venezuelanalysis 8 juin 2007
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https://www.mondialisation.ca/rctv-et-la-libert-d-expression-au-venezuela/5914

Si l’on en croit l’opinion publique mondiale telle que la reflètent les médias internationaux et les déclarations de groupes de défense de la liberté d’expression et de différents gouvernements, le pouvoir vénézuélien vient finalement de prouver que son opposition avait raison : le Venezuela va droit à la dictature. À en juger par les réactions, la liberté d’expression serait devenue encore plus restreinte dans ce pays, à la suite du non renouvellement de la licence d’émission de la chaîne privée d’opposition RCTV. Ainsi, avec la fin des transmissions de RCTV, c’est la plus forte voix de l’opposition qui aurait été muselée.

On tient généralement pour acquis que le musellement de toute voix opposante est contraire à la liberté d’expression. Mais est-ce bien le cas ici ? Une voix opposante a-t-elle été muselée ? La métaphore est-elle juste ? Le directeur général de RCTV, M. Marcel Granier, est-il vraiment muselé ? En vérité, une métaphore plus judicieuse serait de dire que le mégaphone utilisé par M. Granier (et d’autres) pour exercer sa libre expression a été rendu à ses véritables propriétaires. Un mégaphone qu’il a eu en prêt, mais dont il n’a jamais eu la propriété. De surcroît, il peut encore utiliser un mégaphone plus petit (le câble et le satellite).

Autrement dit, la fréquence hertzienne utilisée par RCTV pendant plus d’un demi-siècle a été rendue à ses propriétaires originels, les Vénézuéliens, sous la direction de leurs gouvernants démocratiquement élus. Certes, si la décision concernant l’usage des ondes hertziennes est une prérogative du gouvernement (ce que concèdent beaucoup de critiques), ceux qui reprochent cette décision regrettent, avec raison, que la liberté d’utiliser les ondes ne dépende que de la majorité au pouvoir. Après tout, les minorités (dans ce cas, une minorité relativement riche) ne devraient-elles pas, elles aussi, avoir accès au mégaphone, de sorte à convaincre la majorité qu’elles ont raison ? Les progressistes qui défendent les droits des minorités traditionnellement privées de droits diraient ici que les minorités devraient toujours avoir accès aux médias [1]. Et si Marcel Granier et ses amis n’appartiennent pas à une minorité privée de droits, cette minorité mérite certainement d’être écoutée un tant soit peu dans les médias, au nom du pluralisme.

Les partisans de Chávez conviennent de la validité de cet argument, en ce qu’ils rétorquent que l’opposition dispose toujours de nombreuses fréquences d’émission pour présenter son point de vue. Ceux qui défendent la décision de laisser la licence de RCTV arriver définitivement à terme avancent trois arguments. Premièrement, l’opposition dispose toujours de nombreux médias pour diffuser ses opinions. Deuxièmement, RCTV est un média subversif et délictuel (ayant participé au coup d’État et au lockout pétrolier, entre autres délits). Troisièmement, RCTV doit laisser la place à une nouvelle chaîne de télévision de service public dont la création est stipulée dans la Constitution. Examinons brièvement chacun de ces trois arguments. À commencer par le paysage médiatique vénézuélien.

Le paysage médiatique au Venezuela

Comme pour la plupart des questions concernant le Venezuela, il est pratiquement impossible de trouver un consensus quant à la situation des médias dans ce pays. Aux dires de l’opposition, Chávez contrôlerait déjà la majorité des médias de diffusion, soit directement (par propriété ou parrainage de l’État), soit indirectement (au travers de lois prétendument répressives). Et selon les partisans de Chávez, l’opposition contrôle 95% de tous les médias.

Le problème est qu’il existe différents angles depuis lesquels le paysage médiatique peut être considéré. D’où la diversité des conclusions. Ainsi, on pourrait commencer par vérifier qui contrôle ou est propriétaire des différents médias. Ensuite, on pourrait déterminer quels types de médias atteignent effectivement la population. Et enfin, on peut aussi voir quels médias les gens finissent par regarder ou écouter.

Pour ce qui est du premier argument (qui sont les propriétaires des médias, une analyse que les partisans de Chávez tendent à mettre en avant), il est clair que la grande majorité des chaînes de télévision, de stations de radio et de la presse écrite est aux mains du secteur privé. Ici, en fait, les chavistes ont raison de dire que 95% de tous les médias (télévision, radio et presse écrite) sont privés et qu’une majorité significative de ces médias sont plus en faveur de l’opposition qu’en faveur de Chávez et de son gouvernement [2].

La deuxième analyse, que les opposants tendent à préférer, vise à déterminer quelles chaînes ont le plus grand potentiel d’atteindre les Vénézuéliens. Ici, tout le monde s’accorde généralement à dire que les deux chaînes de télévision de plus grande diffusion sur le territoire national sont la 2e chaîne (RCTV jusqu’à récemment, et désormais TVes) et le « Canal 8 » (VTV, chaîne du gouvernement). Les chaînes privées nationales Venevisión, Televen et Globovisión ont une portée bien plus limitée, n’étant diffusée que dans les grands centres urbains [3]. De toute évidence, les chaînes locales privées et les chaînes communautaires ne dépassent pas leur localité. Cependant, les chaînes communautaires commencent à rivaliser en nombre avec les chaînes privées. Vu de cette manière, il semblerait que, en termes de diffusion télévisée, le gouvernement vient définitivement de prendre le dessus, avec la fin des transmissions de RCTV, son remplacement par TVes, la force de la chaîne gouvernementale et les deux douzaines de chaînes communautaires qui, pour la plupart, sont favorables au gouvernement.

Mais ce panorama change de manière significative si l’on examine ce que le gens regardent réellement. Selon les études d’audimat des différents médias, les Vénézuéliens ne regarderaient qu’environ cinq chaînes de télévision, n’écouteraient qu’une poignée de stations de radio et ne liraient que quelques grands journaux. Ainsi, s’agissant de la télévision, RCTV et Venevisión sont regardées par quelque 60% de l’audience (de 35% à 40% pour RCTV et de 20% à 25% pour Venevisión). Les 40% restants du public sont partagés entre la chaîne gouvernementale VTV (15-20%), Televen (quelque 10%), Globovisión (environ 10%), les chaînes diffusées par câble et les différentes télévisions locales [4].

Étant donné les positions politiques des télévisions et leurs parts relatives d’audience, il est possible de diviser le paysage audiovisuel vénézuélien en trois catégories d’émetteurs : opposants, neutres ou équilibrés et progouvernementaux. Avant la fin de la licence de RCTV, le panorama était le suivant :

  Opposition : 50-55%

— RCTV : 35-40%

— Globovisión : 10%

— Télés privées et locales : 5%

  Neutres ou équilibrées : 30-40%

— Venevisión : 20-25%

— Televen : 10-15%

  Progouvernementales : 20-25%

— VTV : 15-20%

— Autres (Telesur, Vive TV, télévisions communautaires) : 5%

Désormais, en cette ère post-RCTV, le changement est assez significatif. Et, si la promesse est tenue de ne pas faire de TVes (qui a remplacé RCTV) une télévision progouvernementale et de maintenir sa neutralité, le paysage audiovisuel pourrait être le suivant :

  Opposition : 15%

— Globovisión : 10%

— Télés privées et locales : 5%

  Neutres ou équilibrées : 30-40% ou plus

— Venevisión : 20-25%

— Televen : 10-15%

— TVes : ??%

  Progouvernementales : 20-25%

— VTV : 15-20%

— Autres (Telesur, Vive TV, télévisions communautaires) : 5%

En d’autres termes, le rapport, en termes de parts d’audience, entre télévisions d’opposition et télévisions progouvernementales est passé d’environ 50:25 (ou 2:1) en faveur de l’opposition, à 15:25 (ou 1:1,7) en faveur du gouvernement. Dans la plupart des pays du monde, où les médias ne sont pas contrôlés démocratiquement, toute opposition serait enchantée d’un tel rapport. Mais au Venezuela, bien sûr, où l’opposition est habituée à avoir gouverné le pays pendant quatre décennies, un tel désavantage est une atteinte intolérable à sa « liberté d’expression ».

Il reste toutefois trois inconnues qui pourraient faire pencher la balance à nouveau en faveur de l’opposition. Tout d’abord, les téléspectateurs habituels de RCTV pourraient très bien regarder davantage Globovisión, augmentant ainsi son audimat. Deuxièmement, Venevisión pourrait adopter une ligne éditoriale plus proche de l’opposition, maintenant que de nombreux téléspectateurs de l’opposition cherchent un nouveau repère. Les premiers signes indiquent déjà que ce scénario est plausible, notamment à la lumière d’un récent reportage de l’hebdomadaire Quinto Día [5]. Troisièmement, enfin, nombreux sont les téléspectateurs de RCTV qui, désireux de continuer d’en être des assidus mais n’ayant pas de souscription au câble, pourraient, s’ils en ont les moyens, passer à la télévision par câble pour regarder RCTV. En conséquence, si la part d’audience de Globovisión augmente, que Venevisión rejoint à nouveau le camp de l’opposition et que RCTV continuer d’attirer une grande audience sur le câble [6], alors le rapport entre opposition et gouvernement à la télévision pourrait aisément retomber à 1:1.

Si l’on examine maintenant les parts d’audience sur le marché de la presse ou de la radio, on constate qu’elles restent de loin favorables à l’opposition plutôt qu’au gouvernement. Pour de nombreux partisans de Chávez, le quotidien le plus vendu du pays, Últimas Noticias, serait un journal chaviste. Or, les contenus de ce quotidien et ses éditorialistes habituels en font le journal le plus équilibré du pays, présentant autant de critiques que de louanges au gouvernement. Les deuxième et troisième quotidiens en importance (El Universal et El Nacional), ainsi qu’une majorité de journaux de moindre tirage, campent solidement du côté de l’opposition. Et la situation est encore plus marquée dans le paysage radiophonique. Ainsi, la part d’audience radio du gouvernement (avec les stations RNV, YVKE et les radios communautaires) est infime par rapport à celle des autres stations de radio favorables à l’opposition.

Dire que le pluralisme a diminué au Venezuela par la fin des transmissions de RCTV, c’est donc méconnaître totalement la réalité du paysage médiatique vénézuélien. Pire : défendre le droit de RCTV d’émettre revient en fait à défendre le droit de la minorité du pays à maintenir sa place privilégiée dans le paysage médiatique vénézuélien.

Les droits et responsabilités de RCTV

Après avoir analysé les arguments selon lesquels la fin des transmissions de RCTV représente ou non une menace pour le pluralisme médiatique et, partant, pour la liberté d’expression, nous pouvons nous pencher sur les deux autres arguments pour et contre RCTV : que cette chaîne mérite de perdre sa licence en raison de ses actions passées et que ses fréquences d’émission doivent laisser la place à une nouvelle chaîne de télévision publique.

Il ne nous incombe pas de détailler ici les nombreuses accusations formulées par le gouvernement à l’encontre de RCTV, comme sa participation à la tentative de putsch de 2002 et au lockout pétrolier de 2003, ainsi que ses violations de normes nationales de transmission [7]. Ces faits ne sont généralement pas contestés. En fait, l’objet des contestations est précisément que de tels faits peuvent justifier le non renouvellement d’une licence de transmission, alors qu’une autre chaîne de télévision, comme Venevisión, qui est coupable des mêmes entorses aux lois, a vu sa licence renouvelée le 27 mai. Autrement dit, sur quelles bases juridiques la licence de RCTV n’a-t-elle pas été renouvelée et celle de Venevisión l’a été, alors que ces deux chaînes ont commis les mêmes violations ? Selon RCTV, la discrimination politique est la seule et unique raison, puisque sa ligne éditoriale d’opposition acerbe au gouvernement a continué, alors que Venevisión est devenue plus neutre dans le conflit politique vénézuélien [8].

En réponse à cette accusation de discrimination qui voudrait que RCTV serait punie pour des crimes qui n’ont jamais été prouvés en justice, le gouvernement argumente que le non renouvellement de la licence n’est en rien une sanction. La date d’expiration de la licence de RCTV aurait plutôt donné au gouvernement une excellente opportunité de lancer une chaîne de service public, conformément au mandat constitutionnel [9]. Ensuite, le ministre des Télécommunications, M. Jesse Chacón, a expliqué que c’est RCTV (et pas Venevisión) qui a été choisie pour le non renouvellement, parce que la deuxième chaîne VHF qu’occupait RCTV est mieux adaptée à la télévision de service public, ayant la meilleure couverture dans tout le pays.

En théorie, cependant, RCTV a encore la possibilité de voir la décision du non renouvellement annulée si la Cour suprême considère qu’elle a été discriminée ou que son droit à la défense n’a pas été respecté, et prononce une sentence en sa faveur. Si tel est le cas, le gouvernement pourrait avoir à organiser des audiences publiques où une analyse objective serait effectuée quant à savoir laquelle des trois chaînes dont la licence doit être renouvelée (RCTV, Venevisión et VTV) doit céder sa place à TVes.

Quoi qu’il en soit, RCTV et les partisans de l’opposition ont une fois encore réchauffé la situation politique en dépit du bon sens. Au lieu de défier Chávez sur l’arène politique, ils ont exclusivement misé sur les actions en justice, les appels internationaux et la confrontation. Ils auraient pu organiser un référendum consultatif (non contraignant) en janvier, lorsqu’il ne faisait aucun doute que Chávez ne renouvellerait pas la licence de RCTV. Les sondages indiquaient alors qu’au moins 70% des Vénézuéliens ne voulaient pas la fin des transmissions de RCTV. Et sur présentation des signatures d’à peine 10% des électeurs inscrits, le Conseil national électoral aurait été obligé d’organiser un référendum sur la question. Si les sondages sont corrects, l’opposition aurait remporté ce référendum haut la main, mettant Chávez en difficulté et l’obligeant peut-être à renouveler la licence de RCTV. Peut-être personne dans l’opposition n’a pensé à cette possibilité, mais il est plus probable que l’opposition préfère défier Chávez sur les terrains juridique et international, ainsi que dans la rue, plutôt que de l’attaquer politiquement. Ainsi, toute action utilisant les processus démocratiques établis au Venezuela ne ferait que légitimer un système que l’opposition continue de taxer de dictatorial, son but ultime étant justement de le délégitimer.

Diversification et démocratisation des médias ?

Si l’action en justice suscitée par le non renouvellement de la licence de RCTV peut avoir quelque mérite, notamment l’accusation selon laquelle RCTV est discriminée par rapport à Venevisión, qu’en est-il de l’objectif gouvernemental de diversifier et démocratiser le paysage médiatique du pays ? Les politiques gouvernementales en matière de médias contribuent-elles à leur diversification et démocratisation ?

En matière de diversification et démocratisation, on peut raisonnablement dire que le gouvernement de Chávez a fait plus que tout autre gouvernement de l’histoire du Venezuela ou de l’histoire de tout autre pays du monde. Autoriser des centaines de radios communautaires et des dizaines de télévisions communautaires à émettre, c’est donner au citoyen ordinaire un accès sans précédent aux médias. L’opposition, bien entendu, affirme que ces médias communautaires sont « contrôlés par Chávez », mais aucune preuve ne vient étayer cette accusation. Certes, la plupart de ces médias (mais pas tous) se situent dans des quartiers pauvres, où Chávez dispose d’un solide soutien. Cependant, depuis ces médias communautaires fusent les critiques à l’encontre des gouvernements national, provinciaux et locaux, de sorte que ces médias offrent en fait une forme de contrôle citoyen qui peut contribuer à une meilleure gouvernance.

Par ailleurs, la création de plusieurs chaînes de télévision nouvelles, et certainement progouvernementales, contribue à la diversification du paysage audiovisuel. Le lancement de Vive TV, qui se centre sur les problèmes communaux et autres dans tout le pays, constitue un pas important en ce sens. De même que la création de la chaîne ANTV, télévision de l’Assemblée nationale permettant aux Vénézuéliens (ayant une souscription à la TV par câble) de regarder les débats à l’Assemblée nationale, ce qui renforce encore davantage la supervision démocratique du processus politique du pays.

Quant à la Loi sur la Responsabilité sociale à la télévision et à la radio, malgré les critiques de l’opposition, elle a également contribué à la diversification du paysage médiatique du Venezuela. Ainsi, elle stipule que cinq heures de la programmation quotidienne (entre 5h et 23h) doivent être produites par des producteurs nationaux indépendants, aucun producteur ne pouvant accumuler à lui seul plus de 20% de ces cinq heures journalières [10]. Résultat : des milliers de producteurs indépendants se sont d’ores et déjà inscrits au registre national pour participer à cette initiative.

Selon les critiques de l’opposition, la Loi sur la Responsabilité sociale limite la liberté d’expression, car elle sanctionne la diffusion de messages discriminatoires, promouvant la violence et la violation des lois, ou de « messages secrets » [11]. Or, malgré tous les programmes antigouvernementaux diffusés depuis l’entrée en vigueur de cette loi, aucun diffuseur n’a été rappelé à l’ordre pour avoir violé ces dispositions. De plus, ces dispositions se retrouvent en général dans les réglementations de presque tous les pays du monde en la matière.

Enfin, la mesure récemment prise par le gouvernement de créer la Télévision vénézuélienne sociale (TVes, prononcer tévès, « Tu te vois ») pourrait bel et bien être un pas en avant dans la démocratisation et diversification de l’audiovisuel du Venezuela, si la chaîne est effectivement indépendante du gouvernement. Jusqu’à présent, toutefois, le conseil de direction de la chaîne a été nommé par le président et son financement provient du gouvernement central. Même si les directeurs ne reçoivent aucune instruction de la part du gouvernement, tant qu’ils seront nommés par celui-ci, la chaîne ne pourra être considérée indépendante. Le gouvernement a malgré tout annoncé qu’il s’agissait d’un arrangement temporaire et qu’à l’avenir, tant le conseil de direction que le financement seront réellement indépendants. Hormis cet écueil, les producteurs indépendants de télévision ont applaudi l’apparition de la nouvelle chaîne, car celle-ci diffusera presque exclusivement des productions nationales indépendantes. C’est là un changement qui donne aux Vénézuéliens bien plus de possibilités que ne peut offrir toute autre chaîne de télévision, d’être entendus à l’échelle nationale.

Conclusion

Si la décision de ne pas renouveler la licence de RCTV fait encore l’objet d’une action en justice [12], pour une possible violation du droit à la défense et du traitement égal devant la Loi, il n’en reste pas moins que cette décision :

— Est parfaitement légale, au sens où l’attribution de licences d’utilisation des ondes hertziennes aux diffuseurs est une prérogative de l’État.

— Maintient le pluralisme dans le paysage médiatique du Venezuela.

— Ne viole nullement le principe de la liberté d’expression des Vénézuéliens.

— Contribue à la démocratisation des ondes, en donnant à un plus grand nombre de Vénézuéliens l’accès à ces ondes, au travers de la nouvelle chaîne TVes.

Il est donc décevant de voir des associations internationales de défense des droits humains, tels que Human Rights Watch, le Washington Office for Latin America, le Centre Carter et le Comité de protection des journalistes, condamner la décision du gouvernement vénézuélien. Ces groupes, tout comme l’opposition au Venezuela, affirment que cette décision jette un froid sur la liberté d’expression. Ce froid ainsi jeté est invoqué de manière répétée par les détracteurs du gouvernement, mais pas une seule fois ceux-ci n’ont encore cité un exemple de critique n’ayant pas été diffusée en raison de ce froid jeté sur la liberté d’expression. Globovisión continue de critiquer le gouvernement plus que jamais, tout comme les journaux à plus grand tirage et les programmes radio les plus écoutés -et qui sont certainement les plus critiques de tout l’hémisphère occidental. RCTV, une fois de retour sur le câble, continuera sans aucun doute d’être aussi critique. En réalité, ceux qui condamnent la décision souveraine du Venezuela de changer la manière dont ses ondes hertziennes sont exploitées ne font que défendre le droit des grandes entreprises médiatiques à utiliser ces ondes, au détriment de la majorité pauvre qui, avant Chávez, n’a jamais eu aucun accès au complexe médiatique privé du Venezuela. Dans l’idéal, toutes les fréquences de transmission devraient être placées sous contrôle collectif démocratique, et non pas aux mains du secteur privé. Cela, toutefois, prendra plus de temps et suscitera encore bien des condamnations de la part de l’establishment mondial.

******

Qui contrôle quelle chaîne et quels programmes sont diffusés ?

Si l’on s’en tient uniquement aux chaînes regardées par un grand nombre de téléspectateurs, il est logique d’examiner les orientations politiques des télévisions les plus regardées. En ce sens, RCTV est (était) la plus populaire, mais aussi l’une des chaînes les plus anti-Chávez. Dans les jours précédant le coup d’État de 2002, pendant le lockout pétrolier de 2003 et lors du référendum révocatoire d’août 2004, RCTV diffusait presque en permanence des informations et spots de propagande contre Chávez. Cependant, entre ces moments forts et après le référendum révocatoire, RCTV se recentrait sur son principal créneau : la programmation de divertissement, aussi bien hollywoodienne que vénézuélienne (essentiellement des jeux télévisés et des feuilletons à l’eau de rose). Sa programmation explicitement politique se limitait aux journaux télévisés du soir et à un programme matinal de débat politique (La Entrevista, présentée par Miguel Ángel Rodríguez).

RCTV fait clairement partie de la vieille élite vénézuélienne, appartenant à une des familles les plus riches du pays, la famille Phelps, qui possède aussi des sociétés de produits de nettoyage, de production alimentaire et de construction. M Eladio Lares, président de RCTV, est lié à M. Henry Ramos Allup, secrétaire général de l’ancien parti gouvernemental Acción Democrática (AD). M Lares a joué un rôle de premier plan pour garantir que la licence de RCTV soit renouvelée en 1987, après qu’elle l’eût presque perdue sous la présidence de Jaime Lusinchi, à la suite de différends entre ce dernier et le directeur de RCTV, Marcel Granier. M. Granier est d’ailleurs parvenu à la direction de RCTV et sa société mère 1BC grâce à son mariage avec Dorothy Phelps, l’une des héritières de la fortune des Phelps [13].

La télévision figurant en deuxième place des chaînes les plus regardées s’appelle Venevisión et appartient au magnat cubano-vénézuélien Gustavo Cisneros [14], l’un des hommes les plus riches de la planète, possédant quelque 70 chaînes de télévision dans 39 pays, dont le réseau hispanophone Univisión au États-Unis, ainsi que d’innombrables sociétés de distribution de produits alimentaires. La rivalité entre Marcel Granier et Gustavo Cisneros a toujours été très forte, les deux étant réputés avoir des aspirations présidentielles. Ironiquement, leurs deux familles sont étroitement liées par mariage, Cisneros étant marié à Patricia Phelps, la sœur de Dorothy, épouse de Granier.

Et Venevisión elle-même était tout autant, si pas plus, impliquée dans le putsch d’avril 2002, avec la diffusion d’interviews exclusives des comploteurs et d’images essentielles utilisées par la suite pour accuser à tort les partisans de Chávez d’avoir tiré sur des manifestants opposants désarmés. Venevisión a aussi participé activement au lockout pétrolier, poussant les gens à entrer dans une grève générale par la diffusion de milliers d’annonces de service public. Tout comme RCTV l’a fait.

Mais la chaîne a changé de ton en juin 2004, deux mois avant le référendum révocatoire du 15 août 2004 contre le président Chávez, alors que celui-ci convenait avec Cisneros d’un cessez-le-feu médiatique, sous les auspices de l’ex-président états-unien Jimmy Carter. Officiellement, les deux hommes s’accordèrent à « respecter les processus constitutionnels et soutenir des conversations futures entre le gouvernement du Venezuela et les médias… » [15]. Selon certaines informations, Cisneros aurait en fait accepté de baisser le ton de sa campagne anti-Chávez en échange de l’aide de ce dernier pour le présenter au président brésilien Lula [16]. Chávez a toujours nié tout autre pacte différent de celui précisé dans la déclaration officielle. Pourtant, Venevisión retira de sa grille le programme « 24 horas », présenté par Napoleón Bravo, l’un des présentateur les plus antichaviste de la télévision, et ses journaux télévisés se firent plus équilibrés.

La troisième chaîne en importance, en termes d’audience, est la station gouvernementale VTV, qui est une chaîne de l’État depuis le début de la démocratie au Venezuela. Sa programmation est contrôlée assez directement par le pouvoir exécutif, qui en nomme le directeur. En tant que telle, il ne s’agit pas d’une télévision publique comme on en trouve dans nombre de pays européens et où les télévisions publiques tendent à être plus indépendantes vis-à-vis des gouvernements. La plupart de la programmation de VTV est politique, avec de nombreuses annonces gouvernementales de service public et des programmes de débat politique où les représentants ou partisans du gouvernement prédominent.

Fondée en 1988, Televen est l’une des chaînes récentes du pays. Contrairement aux autres chaînes de télévision, elle a toujours été un peu plus neutre dans les guerres médiatiques du Venezuela, à l’exception de l’époque où elle employait Marta Colomina pour un programme politique matinal. Mme Colomina est l’une des journalistes les plus virulemment antichaviste du pays, après Napoleón Bravo. Mais son programme n’a plus été diffusé après le référendum révocatoire de 2004. Désormais, la chaîne a repris un certain équilibre et tente toujours d’inviter autant les partisans du gouvernement que les opposants dans ses émissions politiques. Ses intérêts économiques ne sont pas aussi bien définis que ceux de RCTV, Venevisión et Globovisión, car, contrairement à ces trois chaînes, Televen n’est n’a pas de lien avec d’aussi grands groupes économiques privés.

Finalement, il y a Globovisión qui, en tant que chaîne d’information et d’opinion en continu, jouit d’une importance politique qui dépasse de loin sa part d’audience et sa couverture potentielle de diffusion. C’est l’une des chaînes les plus récentes du pays. Elle a été fondée en 1994 par Alberto Federico Ravell (son directeur), Guillermo Zuloaga et Nelson Mezerhane, qui appartiennent tous à l’élite économique du pays. Zuloaga provient d’ailleurs d’une des familles les plus riches du Venezuela (liée notamment à Ana Corina Machado, l’une des dirigeantes de l’ONG d’opposition Súmate). Si la couverture UHF de Globovisión est limitée à trois grandes villes, la chaîne dispose d’accords de coopération avec de nombreuses stations locales privées, de sorte qu’elle peut atteindre une plus grande population en relayant les ondes. Politiquement, Globovision est aussi opposante qu’une chaîne de télévision peut l’être, diffusant en continu, 24 heures sur 24, des opinions analyses antigouvernementales.

Les autres chaînes progouvernementales, comme la plupart (mais pas toutes) des télévisions communautaires, Vive TV, Telesur et ANTV (télévision de l’Assemblée nationale), ont des audiences extrêmement limitées selon les études d’audimat, si bien qu’elles peuvent être omises de cette analyse. Le même constat vaut pour les stations locales privées favorables à l’opposition.

Notes:

[1] Pourtant, nombre de progressistes diraient que les points de vue de l’extrême droite, qui sont racistes ou fascistes, ne devraient pas avoir accès aux ondes hertziennes, même si une majorité devait les partager. Un peu partout, il est d’ailleurs illégal de diffuser de tels points de vue, dans toutes circonstances. C’est une des raisons pour lesquelles, selon certains, RCTV ne mérite pas de disposer d’une licence de transmission.

[2] Plus spécifiquement, seules 3 chaînes de télévision sur les 200 qui diffusent par les ondes appartiennent à l’État (VTV, Vive et Avila TV) ; deux stations de radio sur 426 et aucun journal quotidien. Dans chaque catégorie, les entreprises médiatiques privées sont, dans leur écrasante majorité (peut-être 80%), pro-opposition et anti-Chávez.

[3] Il y a également quelques chaînes nationales thématiques, comme Vale TV (chaîne éducative), Meridiano (sports), Puma (musique) et La Tele (divertissement).

[4] Parts d’audience publiées dans un article de El Nacional du 27 mai 2007. Nous donnons des éventails de pourcentages car les différentes études donnent des résultats légèrement différents.

[5] « Cela a eu lieu avec des journalistes et acteurs [de Venevisión]. Ils ont décidé de se plaindre de la ligne éditoriale de la chaîne de Cisneros et ont été autorisés non seulement à participer aux manifestations ou à exprimer leur solidarité [avec le personnel de RCTV] sur d’autres chaînes, mais peuvent désormais le faire sur leur propre écran ». J.A. Almenar, “Exclusivas de última pagina”, Quinto Día, 1-8 juin 2007.

[6] Il est difficile d’obtenir des données sur le nombre de ménages branchés sur le câble ou le satellite. Toutefois, à en juger par le nombre de connexions illégales au câble réputé exister et le nombre de paraboliques de DirecTV (la plupart couplées à des décodeurs illégaux) dans les barrios, il est raisonnable d’affirmer que la moitié des ménages vénézuéliens reçoivent la télévision par câble ou satellite.

[7] Pour plus d’information sur les actions de RCTV, consulter: Cartoon Coup d’Etat, Venezuela, RCTV, and Media Freedom: Just the Facts, Please , et le Livre Blanc (format PDF en espagnol) publié par le ministère de la Communication et l’Information.

[8] La sentence de la Cour suprême du Venezuela, datée du 23 mai, rejette la suspension du non renouvellement de la licence, mais autorise l’ouverture d’un procès, ce qui laisse encore une possibilité à cet égard. La Cour a simplement déclaré que RCTV n’avait pas fourni de preuve de traitement inéquitable, mais n’a pas dit qu’il n’y avait pas eu traitement inéquitable. Consulter: Supreme Tribunal of Justice Decision of May 23, 2007 (en espagnol) ou Supreme Court Allows RctV Case to Proceed, but Station Must Go off Air, (en anglais) pour un résumé de la sentence.

[9] Consulter: section IV, No.2 of the May 23 rd Supreme Court decision (en espagnol).

[10] Article 14, Loi de responsabilité sociale à la radio et à la télévision.

[11] Article 28, par. 4, Loi de responsabilité sociale à la radio et à la télévision.

[12] La décision est remise en cause non seulement auprès de la Cour suprême du Venezuela, mais aussi auprès de la Cour interaméricaine des droits humains.

[13] Voir : http://www.aporrea.org/medios/a34490.html

[14] [NDLR] Lire Richard Gott, Gustavo Cisneros, le Murdoch du Venezuela, RISAL, 24 novembre 2006.

[15] Selon la déclaration du Centre Carter diffusé après la réunion : http://www.aporrea.org/actualidad/n17674.html

[16] Voir : “Venezuela’s Murdoch” by Richard Gott, New Left Review, mai-juin 2006.

Venezuelanalysis.com, 2 juin 2007.

Traduction : Gil Lahout, pour le RISAL (http://risal.collectifs.net).

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