Religiosité: le Nationalisme religieux contre le Nationalisme politique

I- La Religiosité dans le monde

La religiosité semble présentement en hausse dans certaines parties du monde. Cela peut surprendre, puisque les niveaux d’éducation semblent aussi être en hausse, et l’on sait que les religions se nourrissent de tout temps d’ignorance.

Ce qu’il faut comprendre avec la et les religions, et ce qui pousse les gens à s’y accrocher et à y rechercher une identité et un sens de la communauté, c’est qu’elles sont une forme de nationalisme, c’est-à-dire un nationalisme religieux, qu’il soit chrétien, juif ou islamique, par rapport à un nationalisme politique essentiellement laïque. C’est pourquoi je crois que lorsqu’on enlève aux grandes religions leurs habits théologiques, ce que nous trouvons, ce sont autant de mouvements politiques et sociaux.

Il y a une raison émotionnelle et sociale pour que certaines personnes joignent les religions, en fonction d’un certain instinct naturel d’appartenance et d’adhésion à un groupe, bien au-delà de toute proposition métaphysique. En effet, les êtres humains sont des animaux sociaux et ils ont un penchant naturel à faire partie d’un groupe ou d’une communauté. C’est une condition de survie. Quand l’appartenance à la nation est faible, et que le nationalisme politique est faible, on peut comprendre que les gens peuvent se rabattre sur le nationalisme religieux en tant que substitut.

J’ouvre une parenthèse pour dire que la grande tragédie de notre temps vient du fait que certaines puissances ont trouvé qu’il y allait de leurs intérêts de combattre le nationalisme politique, en particulier au Moyen-Orient, et de le remplacer par un nationalisme d’essence religieuse. En ce faisant, ils ont nourri un monstre qui perturbera le monde pour 100 ans à venir.

En fait, je suis d’avis que les guerres de religion qui s’annoncent vont être beaucoup plus coûteuses que ne le fut la Guerre froide contre l’Union soviétique, laquelle dura presqu’un demi-siècle (1949-1991).

Pourquoi les grandes religions constituent-elles une puissante forme de nationalisme religieux qui transcende les nations et les pays?

En premier lieu, c’est que la plupart des gens joignent les religions, ou sont dans l’obligation de le faire à un tout jeune âge et continuent d’y adhérer par la suite, par inertie, pour des raisons qui sont bien loin de la théologie ou qui sont loin de relever des promesses extravagantes concernant l’après-vie. Ce sont des raisons bien plus terre-à-terre qui poussent certaines personnes vers les organisations religieuses.

Les grandes religions, celles que j’appellerais les religions “impériales”, que certains appellent les religions “abrahamiques”, soit le christianisme et l’Islam par exemple, sont des religions de pouvoir.

Pour le christianisme, cela s’est fait officiellement au 4ème siècle quand cette religion a renié son pacifisme et s’est fusionnée avec l’empire romain, essentiellement militaire, sous les empereurs Constantin et Théodose Ier.

Pour l’Islam, ce fut dès ses débuts une religion politique puisqu’elle proposait de fusionner en un seul le poste de leader politique et celui de leader religieux. En effet, le calife dans l’Islam devait réunir à la fois le pouvoir temporel et le pouvoir spirituel. En Turquie, par exemple, ce ne fut qu’en 1924 que (Mustafa Kemal) Atatürk abolit cette fonction de calife, établissant ainsi une nette séparation entre la religion et l’État.

[De nos jours, certains musulmans rêvent à un éventuel retour d’un grand califat, qui ferait pendant à la Papauté catholique.  On aurait alors un empire religieux catholique et un empire religieux islamique.]

C’est pourquoi, de tout temps, les dirigeants politiques ont vu dans la religion un outil sans pareil pour créer ou imposer la cohésion et l’unité au sein d’un pays ou d’un empire.

C’est aussi une des raisons pour laquelle, dans le passé, les dirigeants politiques ont souvent agi en tant que chefs religieux. Ils y trouvaient légitimité et consacration de leur pouvoir.

Pendant des siècles, ces grandes religions ont été (et l’Islam continue de l’être dans de nombreux pays aujourd’hui) des religions d’état, c’est-à-dire des religions officielles auxquelles les gens n’ont pas le choix de ne pas adhérer sous peine de mort ou d’ostracisme social, et qui ont étendu leur hégémonie par l’épée, et non pas par la qualité de leurs doctrines ou de leurs idéologies. Les guerres de Croisades et les guerres de Colonisation ont souvent précédé l’hégémonie de ces religions impériales, que ce soit en Afrique pour l’Islam ou en Amérique du Sud pour le christianisme.

– Une première conclusion: En grande partie, les grandes religions impériales d’aujourd’hui sont le résultat des guerres passées, donc de la violence.

Il faut se rappeler, par exemple, que la règle islamique rétrograde du “fatwa” est semblable à la règle catholique d’excommunication au Moyen-Âge, laquelle s’accompagnait d’un permis de tuer la personne ainsi désignée. C’est ce qui explique pourquoi des scientifiques comme Galilée durent renoncer à leurs idées scientifiques plutôt que de subir la persécution.

C’est l’avènement de la démocratie constitutionnelle en Europe au 18ème siècle qui a enlevé à l’excommunication catholique son côté sanguinaire. Mais, pour des pays islamiques autoritaires comme l’Iran ou l’Arabie saoudite, cette signification totalitaire demeure toujours. Ces pays, en effet, continuent de condamner à la prison des personnes dont le seul crime est celui de refuser d’adhérer à leur religion officielle. C’est pourquoi de tels pays peuvent être qualifiés de totalitaires.

Donc, une raison fondamentale derrière le pouvoir des grandes religions établies vient du fait que pendant des siècles les personnes ont été forcées d’y adhérer. Et c’est encore le cas pour l’Islam dans plusieurs pays parmi les plus attardés et les plus primitifs.

En deuxième lieu, il faut reconnaître que le nationalisme religieux a eu beaucoup d’attrait historiquement pour des populations qui, pour une raison ou une autre, se sont trouvées coupées du nationalisme politique ou qui ne pouvaient pas s’en prévaloir.

Je donne rapidement trois exemples.

1- L’exemple du Québec après la Conquête britannique, et surtout après l’échec de la rébellion de 1937-39.

Après 1840, et jusqu’en 1940, le Québec a vécu l’expérience de cent ans de théocratie larvée, soit une période qualifiée de la Grande Noirceur dans notre histoire. Il faut comprendre qu’après la révolte manquée contre l’occupant britannique en 1837-39, l’Église catholique devint le centre politique de la population écrasée, et elle prit de facto le contrôle de tout ce qui était important dans la vie collective sociale au Québec, à l’exception de la sphère économique et de la grande politique : éducation (tout en s’opposant à l’école obligatoire), hôpitaux, orphelinats, institutions d’assistance ou de réhabilitation, de sanatoriums et des hospices, … etc.

Et, pour mieux être dans les bonnes grâces de l’empire britannique, les dirigeants de l’église catholique du temps se hâtèrent d’excommunier les leaders patriotes de l’insurrection manquée afin de prendre leur place dans le restant de vie politique autonome que l’occupant voulait bien leur concéder.

Nos évêques indigènes du temps furent alors de fidèles serviteurs de deux empires étrangers : l’empire britannique qui occupait militairement le Québec à ce moment-là et l’empire romain catholique de Rome à qui ils devaient leur première allégeance.

La théorie religieuse de la politique du temps était à l’effet que le pouvoir politique venait de Dieu et que les autorités royales ou impériales en étaient les détenteurs légitimes. Le peuple n’avait aucun droit à l’auto-gouvernance ou à l’auto-détermination. Une telle doctrine appliquée aux États-Unis aurait signifié que les États-Unis n’auraient jamais pu se libérer du joug du roi britannique George III.

C’est ainsi que le 25 juillet 1837, Jean-Jacques Lartigue (1777-1839), premier évêque de Montréal, déclara ce qui suit à l’endroit des Patriotes : “Il n’est jamais permis de se révolter contre l’autorité légitime, ni de transgresser les lois du pays ; …il (n’est pas) permis de se révolter contre le gouvernement sous lequel nous avons le bonheur de vivre…”. Pour lui, c’était clair: «  l’autorité royale vient de Dieu. » —Point à la ligne. Et Dieu aime les rois et les reines !

Ceci explique pourquoi après leur défaite, il se hâta d’excommunier les Patriotes, dont douze furent pendus, ajoutant ainsi l’injure à la trahison.

Par conséquent, le pouvoir politique n’était pas seulement le fait des occupants britanniques. L’église catholique et la hiérarchie catholique canadienne revendiquaient pour elles-mêmes une part importante du pouvoir politique séculier.

Mgr Louis-François Laflèche (1818-1898), bras droit de Mgr Ignace Bourget (1799-1885) fut parmi les premiers à affirmer que les Canadiens français (les Québécois d’alors) constituent une nation catholique, qu’ils ont une mission providentielle à remplir, et qu’en conséquence, ils doivent d’abord à leurs évêques, chefs de droit divin de cette société sacrale, la soumission la plus absolue, tant sur le plan des affaires temporelles que sur le plan proprement spirituel, en-deçà bien sûr de la soumission obligatoire aux occupants militaires.

2- Un deuxième exemple est celui du Sud des États-Unis, après sa défaite lors de la Guerre de Sécession de 1861-66. Le Sud, ayant perdu sa bataille pour le nationalisme et l’autonomie politiques, se réfugia dans le nationalisme religieux. Encore aujourd’hui, les états de la “Bible Belt” sont très religieux, je dirais même extrêmement religieux, et ce nationalisme religieux a servi en quelque sorte de substitut à un nationalisme politique qui leur échappait et qui leur échappe encore, quoique à un degré beaucoup moindre que dans le passé.

3- Finalement, on constate que les ghettos d’immigrants mal intégrés, en Europe bien sûr, mais de plus en plus ici aussi, se regroupent souvent autour de leurs religions d’appartenance comme s’il s’agissait d’autant d’étendards ou de mouvements politiques pour servir leurs intérêts. Les imans et les mullahs deviennent alors des personnages politiques importants, quand ils n’essaient pas d’appliquer leurs lois religieuses au détriment des lois civiles et de la constitution du pays d’accueil.

Par conséquent, on ne doit pas sous-estimer l’aspect organisationnel pratique et d’encadrement politique et social des grandes religions. Même quand les gens ne sont pas ouvertement forcés d’adhérer à une religion en particulier, ils peuvent quand même trouver que c’est dans leur intérêt de le faire selon les circonstances.

Il faut reconnaître que les religions ont joué un rôle important, sinon central, dans l’évolution humaine, et qu’elles continuent à fournir à une foule de gens des points de référence et une forme d’identité ou de communauté, en plus souvent de procurer des services personnels et sociaux importants.

a)- Encore aujourd’hui, dans de nombreuses sociétés, ce ne sont pas les institutions publiques qui sont les organisations sociales les plus importantes, mais ce sont les organisations religieuses. En fait, dans ces sociétés, c’est la religion qui  en plus d’offrir des rites de vie ou de passage (naissance, mariage, mort, etc.), procure des services sociaux de toutes sortes.

Pour certaines personnes, en particulier les pauvres et les défavorisés, une raison importante d’adhérer ou de demeurer membres actifs d’une religion établie est souvent de recevoir des services sociaux concrets et différentes formes d’assistance, à un faible coût.

Lorsque les gouvernements sont corrompus, incompétents ou parfois presque inexistants, il est compréhensible que des religions établies puissent elles-mêmes devenir une forme de gouvernement, dispensant divers services dans les domaines de l’éducation, de la santé ou de l’assistance sociale. Ce sont là des avantages tangibles. Cela n’a rien à voir avec l’idéal métaphysique d’un Au-delà idyllique, mais beaucoup plus à faire avec un soutien social réel.

Par conséquent, et ce sera une deuxième conclusion, à l’effet que dans de nombreux pays, les organisations religieuses sont en concurrence directe avec les institutions publiques officielles, et quand ces dernières sont absentes, incompétentes ou corrompues, l’organisation religieuse prend leur place. Vues sous cet angle, les religions établies sont des organisations éminemment politiques et sociales.

b)- Une autre raison qui pousse certaines personnes vers les religions établies est encore plus émotionnelle, et c’est la promesse, que certains trouvent irrésistible, d’une autre vie après la mort. Et ceci se comprend parfaitement.

L’homo sapiens que nous sommes semble être la seule espèce dont les membres savent qu’ils vont mourir un jour. Ainsi, il est compréhensible qu’il y ait une demande pour toutes sortes de trucs qui peuvent aider à faire face à cette dure réalité. La religion devient ici une forme bon marché d’une thérapie contre l’angoisse. Elle fournit une sorte de sérotonine contre l’angoisse face à la mort. Certains disent même que sous ce rapport les églises, les mosquées et les temples sont des usines de sérotonine! (On retrouve ici l’idée centrale de Karl Marx à l’effet que “la religion est l’opium du peuple”.)

Le cerveau humain a beaucoup de difficulté à accepter l’idée de la mort. Il se révolte même contre cette idée. Le fait d’apaiser cette peur naturelle de la mort est donc une contribution des religions que certains trouvent fort utile. Même s’il s’agit d’une grande supercherie, peut-être la plus grande de toute l’histoire humaine, il faut reconnaître son pouvoir d’attraction. C’est pourquoi, à mon avis, les religions tout comme les vendeurs de poudre perlimpinpin ont encore un avenir prometteur auprès des personnes peu instruites, naïves ou facilement influençables.

c)- Finalement, j’en viens à la  raison morale, laquelle est l’objet principal de mon livre “Le Code pour une éthique globale”. C’est peut-être un motif plus rationnel d’adhérer ou de s’accrocher à la religion : Les gens peuvent avoir des doutes sérieux sur les promesses métaphysiques des religions, mais ils peuvent néanmoins vouloir se raccrocher à la religion parce qu’elle est une source de principes moraux à suivre ou à être enseignés aux enfants.

C’était la position d’Emmanuel Kant sur la religion. Si vous vous souvenez bien, Emmanuel Kant (1724-1804), dans son analyse des religions, est arrivé à la conclusion paradoxale que, même si les fondements philosophiques des religions établies étaient faux, il était néanmoins nécessaire de les accepter (les religions), parce qu’elles étaient une source nécessaire de morale pour les êtres humains.

Je suis d’accord avec Kant que les religions sont généralement basées sur des croyances fausses et sur des mythes irrationnels. Cependant, contrairement à Kant, qui vécut au 18e siècle, mon analyse des codes fondés sur la religion de l’éthique m’a conduit à la conclusion qu’ils sont —ou bien incomplets et déficients —ou bien carrément pervers, pour une humanité qui doit vivre et survivre dans le contexte actuel d’un rétrécissement de la Planète.

C’est à cette supposée contribution des religions que je m’attaque dans mon livre. Au chapitre de l’éthique et de la morale, à tout le moins, je pense qu’il existe des substituts supérieurs à tout ce que peuvent offrir les religions établies.

Les humanistes ont de tout temps prétendu que la morale est une préoccupation strictement humaine et qu’elle doit se concevoir indépendamment des croyances religieuses et de leurs dogmes. Cela ne fait pas disparaître la dure réalité de la mort, ni l’obligation d’avoir des gouvernements compétents en matière sociale, ni celle d’avoir des organisations humanitaires pour encadrer les évènements de la vie, mais au moins, au chapitre de la moralité, je pense que l’humanisme est un substitut supérieur à tout ce que les religions établies peuvent offrir.

–Et, ce sera ma troisième grande conclusion.

II- Les États-Unis d’aujourd’hui et la religion

J’en viens finalement au rôle que jouent les États-Unis dans la promotion des religions dans le monde.

Tout d’abord, disons qu’aux États-Unis, même aujourd’hui et malgré une Constitution américaine d’essence laïque, de nombreux politiciens et évangélistes américains proposent ouvertement que les États-Unis deviennent ce qu’était le Québec au 19ème siècle, soit une société théocratique larvée. Voici ce qu’un vice-président américain déclarait en 1988 :
 
«Je ne pense pas que les athées devraient être considérés comme des citoyens ; ils ne devraient pas être considérées comme des patriotes. Nous sommes une nation sous le regard de Dieu. » George H. Bush, le 27 août 1988

(Il s’agit, bien sûr, d’une déclaration qui est contraire à l’article VI, section iii de la Constitution américaine, lequel stipule qu’ : « Aucun test de foi religieuse ne sera jamais exigé comme condition d’aptitude pour un poste ou une charge publique dans ces États-Unis. ») Dans la pratique, cependant, cet article-clé de la Constitution américaine est constamment violé dans les États-Unis contemporains.

a)- Au chapitre de la religion, constatons qu’il existe une grande différence entre le Canada et les États-Unis en ce qui concerne les connaissances scientifiques et les religions.

La société de sondage Angus Reid a divulgué en juillet dernier (2010), les résultats d’un sondage mené l’an dernier (2009) dans lequel on demandait à des Américains, des Canadiens, et des Britanniques quels étaient leurs points de vue sur les origines et le développement des êtres humains, c’est-à-dire sur l’évolution et sur le créationnisme.

Voici les résultats en résumé : 

CANADA    USA  GRANDE BRETAGNE

Les êtres humains ont évolué

vers des formes plus évoluées

de vie au cours de

millions d’années                             61%             34%           66%

                                                        (Québec 66%)

                                                        (Alberta 51%)

                                                        (Saskatchewan:50%)

Dieu a créé les êtres humains

dans leur forme actuelle au

cours des derniers 10,000 ans                   24%           47%           16%

                                                        (Québec 17%)

                                                        (Alberta 31%)

                                                        (Saskatchewan:39%)

Pas certain                                       15%            18%            15%

Résultats américains par région:

USA Nord-est     Mid-ouest   Sud   Ouest

Les êtres humains on évolué

vers des formes plus évoluées

de vie au cours de

millions d’années                    34%     43%                  37%          27%      38%

Dieu a créé les êtres humains

dans leur forme actuelle au

cours des derniers 10,000 ans   47%            38%         49%          51%        45%

Pas certain                              18%     19%        13%          21%         16%

Source : “Americans are Creationists; Britons and Canadians Side with Evolution”, Angus Reid Public Opinion, 2010


http://www.visioncritical.com/wp-content/uploads/2010/07/2010.07.15_Origin.pdf

En général, plus les personnes sont jeunes et plus elles sont éduquées, plus elles acceptent les connaissances scientifiques sur l’évolution. À l’inverse, par contre, plus les personnes sont âgées et moins elles sont instruites, plus elles acceptent la fable créationiste.

Le phénomène de l’obscurantisme aux États-Unis est un phénomène qui est relativement récent. En effet, on peut dire que c’est dans les années ’50 que les Américains ont commencé à s’éloigner des principes laïques de leur Constitution. En effet, symboliquement, en 1956, sous la pression des Chevaliers de Colomb, ils abandonnèrent leur devise “E Pluribus Unum” (de plusieurs peuples, un seul) qui existait depuis 1782, et adoptèrent une devise religieuse en tant que devise nationale, soit le  ‘In God We Trust”, que l’on retrouve en partie dans le Serment d’allégeance (l’addition de “Under God” dans le Pledge of Allegiance en 1952), et intégralement sur les billets de banque et sur les plaques d’immatriculation des automobiles dans certains états, tels celui de l’Indiana, tandis que le Gouverneur Jeb Bush en fit le motto officiel de la Floride en 2006.

b)- Au plan international, et cela depuis la Deuxième Guerre mondiale et l’administration Truman, avec comme toile de fond la Guerre Froide contre l’Union Soviétique et le communisme, les États-Unis se sont faits les propagateurs de la religion à travers le monde, tout comme d’autres pays, tels l’Arabie Saoudite et l’Iran le font aujourd’hui.

Auparavant, les États-Unis étaient officiellement opposés aux vieux empires coloniaux (anglais, français, hollandais, …etc.) et croyaient vraiment remplacer les pouvoirs coloniaux par la démocratie et le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.

L’avènement de la Guerre Froide dans la deuxième partie du XXème siècle les a amenés à se servir de la religion pour combattre le communisme et le socialisme. Or, après la décolonisation au Moyen-Orient et en Afrique dans les années ’50 et ’60, les nouveaux gouvernements dans cette partie du monde (je pense ici à l’Égypte avec Nasser, l’Iran avec Mossadegh, l’Inde avec Gandhi, le Ghana avec Nkrumah,  le Sénégal avec Senghor, …etc.) étaient tous des gouvernements qui se réclamaient du nationalisme politique et non pas du nationalisme religieux.

Le premier grand tournant dans la politique étrangère américaine se produisit avec le coup d’État que la CIA américaine, dirigée par Allan Dulles, et le MI6 britannique organisèrent contre le régime de Mohammad Mossadegh en Iran en 1953, et qui mit fin à ses tentatives de contrôler les réserves iraniennes de pétrole. Ce fut le premier grand coup des États-Unis contre le nationalisme politique démocratique.

L’autre grand tournant dans la politique étrangère américaine se produisit sous les administrations Carter et Reagan à la fin des années ’70 et au cours des années ’80.Ce fut le soutien américain (financier et militaire) apporté aux groupes terroristes essentiellement religieux, les Mujahideen d’où est sorti le mouvement du réseau terroriste islamiste al-Qaida, avec son chef Oussama ben Laden, et les Talibans musulmans, qui s’opposaient à l’occupation soviétique en Afghanistan. Selon la “Doctrine Reagan”, ces insurgés religieux islamistes étaient des “Freedom fighters”, laissant entendre qu’il s’agissait de groupes présummément enclins à instaurer la démocratie dans leur pays!!!

En effet, (comme je l’explique en large dans mon livre “Le Nouvel Empire américain”, L’Harmattan, 2005) le gouvernement Reagan entreprit alors de fournir gratuitement aux écoles religieuses islamistes de l’Afghanistan sous occupation soviétique des livres d’islamisme terroriste, afin de promouvoir le jihad contre les Russes athées.

Le plan de la U.S. Agency for International Development (USAID) consistait à inonder les écoles religieuses afghanes, les madrassas ou écoles coraniques, avec des millions de livres de classe spécialement conçus dans un langage qui glorifiait la Loi islamique, le jihad, la guerre et le terrorisme contre les infidèles, en l’occurrence les communistes soviétiques. Le petit catéchisme américain du parfait terroriste islamiste contenait non seulement des exhortations à la guerre sainte, mais aussi de nombreux dessins mettant en évidence des soldats, des fusils, des balles, des grenades, des chars d’assaut, des missiles et des mines antipersonnel.

En ce faisant, on peut dire que les États-Unis ont directement financé l’endoctrinement des terroristes musulmans du réseau terroriste d’al-Qaida. Ils en ont été des supporteurs actifs.

Mais, comme d’une preuve qu’on n’apprend jamais rien en certains milieux, le président George W. Bush annonça le 16 mars 2002 que son administration suivrait les traces du gouvernement Reagan et que l’Agency for International Development allait distribuer 10 millions de nouveaux manuels de guerre religieuse en Afghanistan.

Ainsi donc, même si la Constitution américaine défend expressément au gouvernement de faire la promotion d’une religion, et encore moins de dépenser de l’argent à cet effet, les gouvernements de Ronald Reagan, de George H. Bush et de George W. Bush n’en consacrèrent pas moins des millions de dollars à faire la promotion de l’islamisme et du terrorisme en Afghanistan, et dans les régions voisines du Pakistan, au cours des trente dernières années. —Cela est un fait historique.

Les observateurs s’accordent pour dire que l’intégrisme religieux n’était rien en Afghanistan et au Pakistan, avant que le gouvernement américain ne décide de les financer et de leur fournir des armes idéologiques et militaires pour combattre les Soviétiques . En ce faisant, cependant, les gouvernements américains successifs ont nourri un tigre qui est revenu les mordre.

En effet, le 11 septembre 2001, cet « investissement » public américain dans le terrorisme à saveur religieuse fut repayé avec intérêts, quand 19 terroristes islamistes, plusieurs entraînés en Afghanistan, commirent leurs attentats en sol américain, contre des milliers d’Américains innocents.

Et, pour montrer que l’usage de la religion à des fins politiques n’est pas uniquement l’affaire de gouvernements républicains, le gouvernement démocrate de Bill Clinton créa par législation, en 1998, un “Office of International Religious Freedom”, dirigé par un Ambassadeur plénipotentiaire, et dont la véritable mission est de promouvoir les religions à travers le monde, certaines d’entre elles ouvertement anti-démocratiques. Il existe aussi au Congrès américain une Commission bipartisane sur la “Liberté Religieuse Internationale” et à la Maison Blanche, il y a un “Special Adviser on International Religious Freedom” qui est membre d’office du Conseil de Sécurité Nationale. Autrement dit, tout cela fait officiellement partie de la politique étrangère américaine!

Par conséquent, et ce sera ma quatrième grande conclusion: On peut dire que depuis une trentaine d’années, les États-Unis sont presqu’aussi impliqués dans la propagation des religions et du nationalisme religieux anti-démocratique dans le monde que le Vatican, l’Iran ou l’Arabie Saoudite. C’est peu dire.

III- Conclusions générales

Je conclurai avec deux grandes observations.

Premièrement, la nature pas plus que les humains ne tolèrent le vide. Si on croit que les religions impériales font partie des problèmes de l’humanité et non des solutions, et par conséquent qu’il y va de la survie de l’humanité qu’elles soient remplacées, alors il ne suffit pas seulement de montrer leurs travers et les dangers qu’elles représentent; il faut leur opposer des alternatives réalistes et acceptables aux populations. Cela va des règles de moralité de vie en société et d’autres règles de solidarité sociale.

Je crois que l’on peut y arriver par l’éducation et en dénonçant l’immoralité des fanatismes religieux de tout acabit. Mais il faut aussi combattre la corruption politique endémique dans certaines sociétés, y compris la nôtre, laquelle mine la confiance des gens dans les gouvernements.

Deuxièmement, je suis beaucoup moins optimiste quant au rôle que jouent les États-Unis dans tout cela. Je crois que c’est un pays qui a abandonné de grands pans de sa Constitution démocratique et qui est sur une voie d’auto-destruction, tant au plan moral, que politique et économique, et j’ajouterai même, militaire.

Pour nous du Canada, cela exige une vigilance accrue si nous voulons préserver nos libertés, dont celle de ne pas être écrasés par les religions et de ne pas retomber dans une ère d’obscurantisme et d’ignorance.       



Articles Par : Prof Rodrigue Tremblay

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