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Rencontre Abbas, Peres, François: Médiation réelle ou méditation inutile?
Par Chems Eddine Chitour
Mondialisation.ca, 10 juin 2014

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«En ce lieu [de Bethléem], où est né le Prince de la paix, j’offre ma maison, au Vatican, pour accueillir cette rencontre de prière. Tous, nous désirons la paix. Beaucoup de personnes la construisent chaque jour par de petits gestes. (..) Tous les hommes et toutes les femmes de cette terre et du monde entier nous demandent de porter devant Dieu leur aspiration ardente à la paix.»

Pape François

 

Ça y est, la rencontre tant attendue a lieu! Dans un tweet samedi, le pape a exprimé son voeu: «La prière peut tout. Utilisons-là pour porter la paix au Moyen-Orient et dans le monde entier.» Le Vatican a défini la rencontre comme une «invocation pour la paix». On ne prie pas ensemble, on se retrouve pour prier», a insisté le père franciscain Pierbattista Pizzaballa, (…) les présidents Shimon Peres et Mahmoud Abbas se rendront ensemble jusqu’à une pelouse triangulaire près des Musées. Dans un ordre respectant la chronologie, les représentants juifs, chrétiens, puis musulmans auront un temps pour prier tour à tour et chacun sur trois thèmes choisis: celui de la «création» qui les rend tous frères, celui de la «demande de pardon», et enfin celui de «l’invocation pour la paix». Les prières en hébreu, anglais, italien, arabe seront accompagnées d’intermèdes musicaux.(…). Puis le pape et les deux présidents feront chacun leur propre «invocation pour la paix». Les trois devraient se donner la main et planter un olivier. Après une rencontre à huis clos à la Casina Pie IV, un pavillon tout proche, les deux présidents quitteront le Vatican. Le Saint-Siège entend proposer «une pause dans la politique». «Personne n’a l’illusion que dès lundi, la paix s’imposera.» (1)

Souvenons-nous du message: «La rencontre de prière pour la paix, à laquelle le saint-père a invité les présidents d’Israël, Shimon Pérès, et de la Palestine, Mahmoud Abbas, aura lieu le dimanche 8 juin, au cours de l’après-midi, au Vatican. Cette date a été acceptée par les deux parties.» Les deux présidents s’étaient rapidement déclarés disponibles pour aller au Vatican. M.Peres, dont le mandat s’achève dans quelques semaines, avait tardé cependant à donner une date.

Petit rappel: le pape François en Terre sainte

 «Trop court, écrit Stéphanie Le Bars et, pour beaucoup, source de frustrations, le voyage du pape François en Jordanie, Israël et dans les territoires palestiniens, du 24 au 26 mai, relève d’un inconfortable numéro d’équilibrisme diplomatique. Contraint par l’emploi du temps serré qu’il s’est choisi, le pape a aussi fait l’impasse sur la Galilée, berceau du christianisme, suscitant la déception des Arabes israéliens de culture chrétienne qui y vivent. Quant aux Palestiniens, ils recevront le pape à Bethléem pour l’une des trois grandes messes du voyage et un déjeuner avec plusieurs familles. (…) Même le souci affiché du pape pour le dialogue interreligieux, illustré par la seule présence à ses côtés de deux amis argentins, le rabbin Abraham Skorka et le professeur musulman Omar Abboud, président de l’Institut du dialogue interreligieux dans la capitale argentine, a suscité le scepticisme des personnalités religieuses sur place.» (2)

Le voyage de Paul VI précurseur des visites papales

Il y a cinquante ans, le pape Paul VI devenait le premier pape à se rendre en Terre sainte, et le premier depuis bien longtemps à quitter Rome. Alors que le pape François s’apprête à marcher dans ses traces du 24 au 26 mai, retour sur cet événement historique. Vingt siècles. C’est la durée du chapitre qu’a refermé Paul VI en se rendant en Terre sainte, du 4 au 6 janvier 1964. Avant lui, jamais pape ne s’était rendu là où le Christ a vécu. C’était également la première fois depuis bien longtemps que le pape quittait Rome – à l’exception des exils forcés de Pie VI et Pie VII au XVIIIe siècle. Et avec la rencontre entre Paul VI et le patriarche de Constantinople, Athénagoras, ce voyage devait également marquer la reprise du dialogue entre les Églises catholique et orthodoxe, après plus de mille ans de schisme. »(3)

 « Et effectivement, «le voyage de Paul VI fut bref, mais dense», raconte Yves Chiron. «Il a parcouru tous les hauts lieux de la vie du Christ: la grotte de la Nativité à Bethléem, Nazareth, Cana, les bords du lac de Tibériade, Gethsémani, le Calvaire, le Saint-Sépulcre.» C’est le patriarche de Constantinople qui est à l’origine de la rencontre avec Paul VI. La rencontre a été préparée par le P. Duprey envoyé par le pape à Constantinople.» (…) La réunion des responsables des deux Églises, qui n’avait plus eu lieu depuis 525 ans, fut un moment émouvant (…) Peu après cette rencontre, les Églises d’Orient et d’Occident levaient leurs excommunications respectives, des sentences prononcées en 1054.(3)

Ce qui restera du voyage du pape François

Il y a beaucoup de murs à Jérusalem. Des murs d’interdits et des murs de prières. Ils sont incomparables: le mur sacré et le mur de sécurité n’ont strictement rien à voir. Mais lundi matin, François entame son dernier jour de visite en Terre sainte en se recueillant devant le mur occidental, dit mur des Lamentations, symbole absolu du judaïsme dimanche matin, François a fait stopper sa «papamobile» pour aller prier devant un autre mur, le mur de séparation érigé à partir de 2002 à l’initiative d’Ariel Sharon pour lutter contre les attentats. Pour Faadi Jadiou, restaurateur: «Comme Jean-Paul II avant lui, François a affirmé que ce ne sont pas les murs, mais les ponts qui permettent de construire la paix. Palestiniens et Israéliens sont différents, mais ils n’ont d’autre choix que d’apprendre à vivre ensemble.» (4)

Pourquoi cette énième rencontre?

Encore une fois, les négociations israélo-palestiniennes s4e sont achevées sans aucun résultat. Alain Gresh nous rapporte que: «Les émissaires américains eux-mêmes ont été surpris par l’intransigeance de M. Benyamin Netanyahu; pour autant, cela ne remettra pas en cause le soutien de Washington à Tel-Aviv. Impopulaire, le président Mahmoud Abbas s’est résigné à se tourner vers le Hamas pour tenter de reconstruire l’unité palestinienne.

«Les négociations auraient dû commencer par une décision de geler la construction des colonies. Mais nous avons pensé que nous ne pouvions l’obtenir à cause de la composition du gouvernement israélien, donc nous avons laissé tomber.» Interrogé par le célèbre journaliste Nahum Barnea, du quotidien israélien Yediot Aharonot, dans le cadre d’une enquête sur l’échec des négociations israélo-palestiniennes, ce responsable américain resté anonyme poursuit: «Nous n’avions pas réalisé que [le Premier ministre Benyamin] Netanyahu utilisait les appels d’offres de construction dans les colonies pour assurer la survie de son propre gouvernement. Nous n’avions pas non plus réalisé que la poursuite de ces constructions permettait à des ministres de saboter de manière très efficace le succès des négociations. (…) »(5)

« Ce n’est que maintenant, après l’échec des pourparlers, que nous avons appris que ces constructions [de quatorze mille logements] signifiaient l’expropriation de terres à grande échelle. (…) Bien que les sources de Barnea soient anonymes, on sait que l’auteur a eu accès à tous les responsables américains, notamment à M.Martin Indyk, chargé par le président Barack Obama de superviser les négociations israélo-palestiniennes relancées en juillet 2013 et censées s’achever au bout de neuf mois, le 29 avril 2014.  L’argument principal tient en quatre mots: «Nous (les Américains) ne savions pas.» Nous ne savions pas ce que la colonisation signifiait; nous ne savions pas.» (5)

Comment amener Israël à la raison: L’argument économique ?

Les diplomates américains font mine de découvrir la politique du fait accompli menée par Tel-Aviv et les effets destructeurs de la colonisation.  « Pour en finir avec l’impunité d’Israël et faire respecter le droit international, écrit Julien Salingue, une myriade d’acteurs économiques, culturels ou politiques ont désormais recours à d’autres méthodes. Le 4 mars 2013, le Premier ministre israélien s’exprimait, comme chaque année, lors de la convention de l’American Israel Public Affairs Committee (Aipac), le principal lobby pro-israélien aux Etats-Unis. Les sujets abordés par M.Benyamin Netanyahu n’ont guère surpris les observateurs: défense de la sécurité d’Israël, Syrie, nucléaire iranien, exigences vis-à-vis des négociateurs palestiniens, etc. Mais, ce jour-là, un sujet nouveau a occupé un quart du temps de parole de l’intervenant: la campagne internationale Boycott, désinvestissement et sanctions (BDS) menées contre la politique d’Israël » (6)

 « Le sigle fut cité à dix-huit reprises»… «Lancée en juillet 2005 par cent soixante-douze organisations palestiniennes, cette campagne préconise des «mesures de sanction non violentes (…) jusqu’à ce qu’Israël honore son obligation de reconnaître le droit inaliénable des Palestiniens à l’autodétermination et respecte entièrement les préceptes du droit international». Les mesures recommandées sont de trois types: boycott de l’économie et des institutions israéliennes, retrait des investissements étrangers, sanctions contre l’Etat et ses dirigeants. Lors de la conférence de l’Aipac, M.Netanyahu a accusé les promoteurs de BDS de «faire reculer la paix», de «durcir les positions palestiniennes» et de «rendre improbables les concessions mutuelles». Le paradoxe manifeste entre l’attention consacrée à BDS et l’affirmation de son inefficacité ne serait qu’apparent. Les diplomates américains font mine de découvrir la politique du fait accompli menée par Tel-Aviv et les effets destructeurs de la colonisation. Pour en finir avec l’impunité d’Israël et faire respecter le droit international, une myriade d’acteurs économiques, culturels ou politiques ont désormais recours à d’autres méthodes.(6)

 

Les réponses inexorables d’Israël: l’irréversibilité de la colonisation

Chaque fois qu’un prétexte est trouvé, il est exploité sans état d’âme. Ainsi «le ministre israélien du Logement, Uri Ariel, a publié le 5 juin – trois jours avant la rencontre inutile sous l’égide du pape au Vatican-, un appel d’offres pour la construction de 1 100 nouveaux logements dans les colonies de Cisjordanie occupée et de 400 logements à Jérusalem-Est annexée et occupée. Cette annonce vient, disent les Israéliens, en réaction à la formation du nouveau gouvernement palestinien. «Je salue la décision d’apporter une réponse appropriée et sioniste au gouvernement palestinien terroriste. Israël a le droit et le devoir de construire à travers tout le pays», a réagi le ministre, du parti nationaliste religieux pro-colonisation Foyer juif, cité par le site du journal Haaretz. Le nouveau gouvernement palestinien de «consensus national», composé de personnalités indépendantes et soutenu par le Hamas, a prêté serment lundi et a été favorablement accueilli par les Etats-Unis, l’ONU, l’Union européenne et la Russie. (.;) «Avec cette décision, Nétanyahu veut pousser les Palestiniens à la confrontation ou à l’internationalisation du conflit», a déclaré Nimr Hammad, conseiller du président Mahmoud Abbas.»(7)

Politique du fait accompli: une Palestine en peau de chagrin

 «Pendant que le monde célébrait, écrit Mohammed Larbi, le soixante-dixième anniversaire du débarquement allié qui allait signer la victoire en 1945 sur l’Allemagne nazie, Israël annonçait la poursuite de son programme de colonisation des territoires palestiniens. Ce que certaines réactions rapportent très mal, car c’est une déclaration de guerre, et rien d’autre. Au total, ce sont des milliers à être bâtis depuis le début de cette année, alors même qu’une telle politique devait au moins être gelée en raison des pourparlers de paix sous l’égide des Etats-Unis ».(8)

« Des mesures de confiance, c’est ainsi qu’on les appelle. Sauf qu’Israël a approuvé la construction de pas moins de 13.851 logements dans les colonies implantées dans les territoires palestiniens durant les neuf mois impartis aux négociations avec les Palestiniens arrivées à échéance mardi 29 avril, avec l’échec que l’on connaît. Soit encore une moyenne de 50 logements approuvés par jour, (…) l’Europe, par exemple, qui dit à peine sa déception, a les siennes. les plus récentes d’entre elles, dénonçant, le 29 mars dernier, «l’accélération sans précédent» de la colonisation intervenue en plein processus de paix. (…) C’est aussi un déni de droit s’agissant de l’application des résolutions de l’ONU, reconnaissant au peuple palestinien de disposer d’un Etat dans des frontières clairement définies. Après dix navettes, le secrétaire d’Etat américain a accusé, le 8 avril dernier, Israël d’avoir entravé le processus de paix avec les Palestiniens jugeant que l’annonce de plus de 700 nouveaux logements à El Qods-Est et le refus de libérer des prisonniers palestiniens avaient précipité le processus de paix dans une impasse.» Tout est dit! Pas une virgule de plus! » (8)

La reddition de Abbas concernant le «crime odieux» de la Shoah

Mahmoud Abbas a beau reconnaitre d’une façon explicite la Shoah, il n’est pas pour autant pris au sérieux : « La clarification apportée par le président palestinien intervient alors que le processus de paix avec Israël est à l’arrêt. «Le plus odieux des crimes commis contre l’humanité à l’époque moderne.» À la veille de la journée consacrée au souvenir de la Shoah, le président Mahmoud Abbas a condamné dimanche l’extermination des juifs avec une fermeté inédite pour un responsable palestinien, avant d’exprimer sa «sympathie» aux familles des victimes. Selon le professeur Mohammed Dajani, qui enseigne à l’université al-Qods de Jérusalem et cherche à promouvoir l’étude de l’Holocauste dans les Territoires palestiniens, «il s’agit probablement de la position la plus claire jamais exprimée à ce sujet par un dirigeant arabe». Une initiative d’autant plus remarquable que le chef de l’OLP (Organisation de libération palestinienne) a souvent été taxé de négationnisme. La clarification livrée par le président palestinien a, sans surprise, été fraîchement accueillie en Israël. Sept ans après leur divorce sanglant dans les rues de Ghaza, le Hamas et l’OLP ont signé mercredi un «accord de réconciliation» Mahmoud Abbas a promis que ce cabinet obéirait à sa politique, précisant: «Je reconnais l’État d’Israël, je rejette la violence et le terrorisme et je respecte les engagements internationaux.» Une nouvelle fois, il a, en revanche exclu de reconnaître le caractère juif de l’État d’Israël.» (9)

Peine perdue ! Même cette rencontre n’aboutira à rien de tangible, d’ailleurs, le président Peres est sur le départ. La colonisation continue et cerise sur le gâteau Israël félicite le président Al Sissi pour sa  brillante réélection… L’utopie d’un Etat palestinien s’éloigne de plus en plus.

Professeur Chems eddine Chitour

Ecole Polytechnique enp-edu.dz

1.http://www.lesechos.fr/monde/afrique-moyen-orient/0203550725405-proche-orient-rencontre-historique-de-priere-au-vatican-avec-abbas-et-peres 1010656.php?kIG0 3zdSAms WF7Td.99

2.Stéphanie Le Bars Le pape François en Terre sainte Le Monde 24.05.2014

3.1964: Paul VI en Terre sainte, un pèlerinage fondateur la Croix 23/5/14

4.http://www.lefigaro.fr/international/2014/05/25/01003-20140525ARTFIG00141-proche-orientinvitation-historique-du-pape.php r Cyrille Louis, Jean-Marie Guénois

5.Alain Gresh: Ce qui est à moi est à moi. Ce qui est à toi est négociable Le Monde diplomatique juin 2014

6.Julien Salingue: Boycott, désinvestissement et sanctions Le Monde Diplomatique juin 2014

7.Israël va construire 1 500 nouveaux logements dans les colonies Le Monde.fr avec AFP 05.06.2014

8.http://www.elwatan.com/edito/triste-record-07-06-2014-260246_171.php

9.http://www.lefigaro.fr/international/2014/04/27/01003-20140427ARTFIG00155-abbas-condamne-le-crime-odieux-de-la-shoah.php

 

 

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