René Préval et la liberté d’expression en Haïti
Haïti vient de faire ses adieux à l’un de ses dignes fils et ardent serviteurs. Le 3 Mars 2017, le président René Préval, qui a dirigé le pays en deux occasions (1996-2001 et 2006-2011), a rendu l’âme suite à un malaise, jusqu’à présent, de nature inconnue. La disparition de l’ancien président a suscité une pluie d’hommages tant en Haïti qu’à l’étranger. Six jours de deuil national ont été décrétés par le gouvernement Haïtien, et la communauté internationale a été au rendez-vous pour saluer le départ de l’ancien président et présenter leurs sympathies au peuple Haïtien. Dès la propagation de la nouvelle, politiciens, directeurs d’opinions, et même le simple citoyen se sont tous versés dans une tentative de portraiturer le président, son caractère et l’héritage politique qu’il a légué au pays. Pour avoir été le seul président haïtien de l’histoire moderne à avoir achevé deux mandats, plusieurs ont fait l’éloge du personnage comme étant le père de la stabilité politique en Haïti. Certains l’ont acclamé comme étant un pacifiste qui a su, d’une façon exceptionnelle, maîtriser la sociologie politique haïtienne. D’autres, cependant, l’ont dépeint comme un « anarchiste » qui n’a rien fait pour solidifier les institutions étatiques ou comme un leader malhabile qui, après le séisme de 2010, a laissé passer une occasion en or de refonder son pays. Entre les éloges, critiques, et analyses, il a un aspect de l’héritage de l’ancien président qui n’a pas suscité beaucoup d’attention. Il s’agit de sa contribution à l’avancement et à l’épanouissement du droit à la liberté d’expression en Haïti.
Tout d’abord, il s’avère impératif de rappeler que la liberté d’expression n’a pas toujours été garantie en Haïti. Même quand les droits fondamentaux des citoyens ont toujours été prescrits dans les grands textes de lois, la pratique ou l’application de ces lois ont toujours été une utopie. Quelques décennies de cela, le citoyen Haïtien ne pouvait s’exprimer en toute liberté, surtout en ce qui a trait à la politique. Tout débat à caractère politique ou sociale était déconseillé et ceci même dans le confort de sa maison. Le droit de réunion et de manifestation publique était strictement interdit. Les émissions de libre tribune, qui dominent les ondes radiophoniques aujourd’hui, n’existaient pas. Toute critique ouverte contre un chef de l’État, des membres de son gouvernement, ou proches de politiciens au pouvoir pouvait avoir des conséquences néfastes sur toutes personnes ou représentants d’institutions de la société civile qui osent s’aventurer dans de telles initiatives. Plusieurs ont disparus, jetés en prison, torturés, ou exilés en raison de leurs activités politiques.
Peu importe la façon d’aborder la question, il est impossible de soutenir que la liberté d’expression en Haïti ait fait l’objet d’une quelconque menace durant la présidence de Préval. Tout au long de ses deux mandats, les répressions politiques et atteintes à la liberté de la presse, pourtant très présentes dans l’histoire d’Haïti, ont été quasiment inexistantes. Les citoyens ont pu s’exprimer librement sans crainte de représailles ou persécution politique contre leur personne ou membres de leurs familles. Certains attribuent cette occurrence au caractère apaisé du président. Comme en a témoigné plusieurs de ces amis, c’était un homme tranquille et très discret, même quand parfois cela lui faisait perdre la face aux yeux de ces constituants. Quoi qu’il en soit, qu’il ait agi délibérément ou par hasard, René Préval, à travers sa politique de décontraction et son tempérament détendu, a fortement contribué à l’épanouissement de la liberté d’expression en Haïti. Ses années à la présidence du pays ont donné aux Haïtiens un léger avant-goût d’une société libre ou le droit à la parole joue pleinement son rôle de fil conducteur, et son comportement conciliant à l’égard de ses opposants, à jamais, servira d’exemples pour les futurs chefs d’états et leaders politiques.
En conclusion, grâce à Préval et certains activistes politiques qui ont combattu avant lui au prix du sacrifice ultime, Haïti a fait des progrès énormes en qui a trait la liberté d’expression. Un exemple vibrant a été l’expression ouverte de mécontentements de certains participants aux funérailles de l’ancien chef de l’État face au discours de l’actuel président, Jovenel Moise, surtout lorsque celui-ci s’est brièvement écarté de son discours officiel pour parler de ses promesses de campagne. Sans aucune crainte, beaucoup ont élevé la voix pour rappeler au Président Moïse qu’il s’agissait d’une cérémonie funèbre et non d’un rassemblement politique. Peu importe son appartenance politique, on doit reconnaître qu’un tel scénario n’aurait jamais été possible trente ans de cela! En dépit des progrès réalisés, il reste beaucoup à faire en vue d’aboutir à une société démocratique ou la liberté d’expression et les droits humains fondamentaux sont pleinement garantis. Il demeure à jamais un impératif de poursuivre la lutte permanente pour l’établissement d’un état de droit réel et de s’opposer à toutes sortes d’atteintes à la liberté d’expression et aux droits individuels. Beaucoup d’Haïtiens ont tout sacrifié y compris leurs vies pour l’établissement et la préservation des acquis démocratiques. Le pays dans tout son ensemble ne doit tolérer une quelconque marche arrière.
Boaz Anglade
Boaz Anglade est un chercheur postdoctoral en économie appliquée. Ses intérêts de recherche portent sur l’économie du développement et des ressources naturelles. Suivez-le sur Facebook:www.facebook.com/boanglade