Roman Abramovich reconnait avoir versé des millions pour obtenir des passe-droits de nature politique
Main basse sur la richesse minérale de l’ex-URSS
Roman Abramovich a payé des oligarques ‘vétérans’ afin d’obtenir une tranche généreuse des capitaux des sociétés ex-nationales ex-soviétiques du pétrole et de l’aluminium
Roman Abramovich, propriétaire du Chelsea Football Club, a reconnu avoir payé des milliards de dollars pour acquérir des passe-droits de nature politique ainsi que de hautes protections, qui lui ont permis de faire main basse sur la richesse minérale de l’ex-URSS.
La méthode énigmatique ayant permis au petit marchand des rues sans le sou d’amasser une fortune estimée à 11,4 milliards de £ est expliquée, pour la toute première fois, par lui-même, dans des documents judiciaires dont The Times a eu connaissance.
. Abramovich a payé des oligarques seniors afin d’obtenir une part généreuse des capitaux fixes de la Russie dans les secteurs du pétrole et de l’aluminium, et afin de se tirer indemne du dépeçage effroyable de l’économie russe, dans la période postcommuniste. On le sait : il est ressorti, triomphant, des « guerres pour l’aluminium », durant lesquelles plus de cent personnes ont sans doute été assassinées par des luttes entre gangs, pour le contrôle des lucratives fonderies. Il a échappé au sort d’un oligarque concurrent, qui tapait sur les nerfs du Kremlin, lequel a fini déporté en Sibérie, où il a été interné durant dix ans.
Si M. Abramovich (41 ans) a été contraint de raconter sa vie, c’est parce qu’il fait l’objet d’un procès dont l’enjeu est de 4 milliards de dollars par son mentor Boris Berezovsky (62 ans), réfugié en Grande-Bretagne, devant le Tribunal de Commerce de Londres [London Commercial Court].
Ce réfugié affirme que M. Abramovich est devenu un exécutant de Vladimir Poutine, ayant fait adopter de fausses menaces de confiscation – et l’incarcération d’un ami – afin de le contraindre à vendre à prix cassés d’anciennes sociétés d’Etat. M. Abramovich a répondu à ces accusations dans un rapport en défense de 53 pages, qui accuse M. Berezovsky, ainsi qu’un autre oligarque, géorgien, d’avoir exigé de lui des sommes astronomiques pour l’aider à s’élever au-dessus du commun.
Le Géorgien en question, Arkady (dit ‘Badri’) Patarkatsishvili, émerge du document en tant qu’intermédiaire-clé, transmettant des messages entre les deux ex-potes. M. Patarkatsishvili s’était vu offrir 500 millions de dollars par M. Abramovich, reconnaît le rapport en défense, pour le protéger, dans les guerres de l’aluminium.
Le Géorgien fut retrouvé mort, dans la chambre à coucher de sa maison de campagne, à Leatherhead, dans le Surrey (Grande-Bretagne), voici de cela cinq mois. Des examens ont montré qu’il souffrait d’une grave maladie cardiaque. Il était âgé de 52 ans.
M. Abramovich inaugure sa défense par une riposte glaciale à son ancien pote. Les déclarations de la plainte déposée par M. Berezovsky affirment que le patron de l’équipe de foot (Abramovich, ndt) avait été, dans le temps, un « ami en lequel il avait entière confiance, et un associé intime, en affaires ». M. Abramovich rejette toute allégation de confiance entre eux. « Mis à part le fait que le défendant (M. Abramovich, ndt) et M. Berezovsky étaient amis, aucune de ces allégations n’est reconnue », affirme-t-il.
L’énorme fortune d’Abramovich est fondée sur la compagnie pétrolière sibérienne Sibneft, qui fut privatisée par le président (russe) Eltsine, en 1995, lors d’une vente aux enchères soupçonnée d’avoir été bidonnée par certains experts. Le propriétaire de l’équipe de foot de Chelsea reconnaît aujourd’hui avoir payé M. Berezovsky, surnommé à l’époque le « Parrain du Kremlin » en raison de son influence sur le président Eltsine, afin de s’accaparer cette compagnie pétrolière.
« Avant le décret d’août 1995, le défendant (Abramo, ndt) a informé M. Berezovsky qu’il souhaitait acquérir un capital de contrôle dans la Sibneft, dès sa création [comprendre : privatisation, ndt], affirme le rapport en défense. « En échange de l’acceptation par le défendant (Abramo, ndt) de fournir à M. Berezovsky des fonds dont il avait besoin pour assurer le cash flow de sa chaîne de télévision privée ORT, M. Berezovsky a accepté d’user de son influence personnelle et politique afin de soutenir le projet, et d’aider à faire adopter les mesures législatives nécessaires, conduisant à la création de [la compagnie pétrolière russe privatisée] Sibneft. »
La cible suivante du propriétaire de l’équipe de Chelsea fut l’industrie de l’aluminium. Après la privatisation, des directeurs de fonderies, des traders de métaux et des journalistes auraient été assassinés, tandis que divers groupes se battaient, afin de s’assurer du contrôle de ce secteur [juteux].
M. Abramovich reconnaît aujourd’hui devoir son succès à l’oligarque géorgien disparu. « M. Patarkatsishvili a… fourni une assistance au défendant (Abramo, ndt), dans l’acquisition par celui-ci de capitaux dans l’industrie russe de l’aluminium », écrit-il.
Le Géorgien avait une réputation d’entremetteur avec le crime organisé. Il était employé par un constructeur automobile afin d’assurer le recouvrement des impayés et de fournir une protection contre les gangsters, d’après un ancien chef du Service de la Sécurité Présidentielle russe. Aleksandr Korzhakov est cité, dans le livre Godfather of the Kremlin [Le Parrain du Kremlin], disant : « Badri a un pseudo, comme tout gangster « qui se respecte ». Dans le monde succube de la criminalité, il est connu sous le nom de « Badar » ».
L’acte d’accusation du procès intenté par M. Berezovsky accuse M. Abramovich d’être « proche du Président Vladimir Poutine ». Dans la première déclaration publique faite par Abramovich au sujet de ses relations avec l’ancien président russe, il affirme qu’ « il a eu, et continue à avoir, de bonnes relations de travail avec M. Poutine ». Toutefois, il nie catégoriquement être un ami intime de celui-ci.
M. Berezovsky s’est enfui de Russie après avoir critiqué M. Poutine. M. Abramovich affirme que M. Berezovsky lui aurait demandé d’acheter sa propre part du capital de l’ORT, pour un montant de 150 millions de dollars. « Le défendant (Abramo, ndt) a accepté de le faire, bien que ce montant soit allé jusqu’à environ 175 millions de dollars, ce qui était un prix surévalué, par rapport à la valeur réelle de ces immobilisations. » Aucune explication n’est fournie, en revanche, quant à la raison pour laquelle il a accepté de payer une telle somme, bien qu’elle n’eût pas été justifiée.
M. Abramovich révèle qu’il y a eu une altercation, à l’aéroport de St Moritz, en Suisse, en 2001, après que M. Patarkatsishvili lui eu demandé de verser 1,3 milliard de dollars à M. Berezovsky. « Le défendant (Abramo, ndt) a accepté de verser cette somme, étant entendu qu’il s’agirait de la dernière exigence de paiement émanant de M. Berezovksy, et que celui-ci, ainsi que M. Patarkatsishvili cesseraient de s’afficher en public en sa compagnie (celle d’Abramo, ndt), ainsi qu’en association avec ses intérêts économiques. » Ce paiement fut dûment honoré.
M. Abramovich acceptait, par ailleurs, de payer une dernière fois M Patarkatsishvili. Il affirme qu’il a accepté de lui verser 585 millions de dollars « pour solde de tout compte ».
M. Abramovich nie avoir fait main-basse sur les intérêts de M. Berezovsky dans la Sibneft et dans le secteur de l’aluminium, ou avoir menacé un ami de l’exiler. « L’idée que M. Abramovich ait été responsable, ou complice, des menaces ou de l’intimidation coercitive explicite ou implicite alléguées, doit être rejetée », affirme-t-il, [parlant de lui-même].
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Article original en anglais, Roman Abramovich admits paying out billions on political favours, le 5 juillet 2008
Traduit de l’anglais par Marcel Charbonnier.