Route de la soie polaire et géopolitique arctique sino-indienne
Au XXIe siècle, la région arctique est devenue très importante en termes de stratégie, de géopolitique et d’économie. La science joue un rôle important dans l’Arctique, en sensibilisant le monde à son écosystème distinct et aux manœuvres géopolitiques en cours des États arctiques et non arctiques.
Les chercheurs ne se contentent pas de découvrir les complexités de l’environnement de la région, ils fournissent également des données essentielles. La recherche scientifique a joué un rôle essentiel dans l’exploitation des ressources naturelles de la région. Les États arctiques dépensent des millions pour établir leurs frontières territoriales et les États non arctiques, comme la Chine et l’Inde, renforcent également leurs revendications.
L’Arctique, longtemps décrit comme la dernière frontière du monde, est devenu la première frontière, une région largement sous-développée, riche en ressources inexploitées et en potentiel économique. Le changement climatique réduisant la couverture glaciaire, la région devient de plus en plus accessible, ce qui en fait une cible privilégiée pour les activités économiques. L’Arctique devient rapidement une région critique dans la géopolitique mondiale en raison de ses vastes ressources inexploitées et de son importance stratégique émergente.
On estime que la région renferme 13 % du pétrole conventionnel non découvert dans le monde, soit environ 90 milliards de barils, 30 % du gaz naturel conventionnel et des minéraux d’une valeur d’environ 1 000 milliards de dollars. Avec l’accélération du réchauffement climatique, la perspective d’un Arctique libre de glace d’ici 2040 pourrait ouvrir de nouvelles routes maritimes, réduisant considérablement le temps de voyage entre l’Asie et l’Europe. Ce potentiel a poussé des pays comme la Chine et l’Inde à intensifier leur intérêt pour l’Arctique, cherchant à renforcer leur influence géopolitique, ce qui entraîne une concurrence potentielle dans la région. La Chine, en particulier, a pris des mesures importantes dans l’Arctique. Sa première politique arctique, publiée en 2018, décrit les objectifs stratégiques de Pékin, notamment l’intégration de la Route maritime du Nord (NSR) à son initiative Belt and Road (BRI), une initiative appelée « Route de la soie polaire ». La Route de la soie polaire fait référence aux voies navigables de la mer Arctique qui relient l’Amérique du Nord, l’Asie de l’Est et l’Europe occidentale à travers le cercle polaire. La NSR, qui passe par la zone économique spéciale de la Russie, offre une route maritime qui contourne le détroit de Malacca, un point d’étranglement entouré d’États alliés de l’Occident. Cette route réduirait le temps de transit entre la Chine et l’Europe d’environ 40 % par rapport au canal de Suez. La Chine a également beaucoup investi dans les brise-glaces, essentiels pour naviguer dans les eaux arctiques. Son quatrième brise-glace, le Jidi, a considérablement renforcé sa capacité à gouverner et à surveiller les chenaux de l’Arctique.
En revanche, l’Inde a pris du retard dans ses activités arctiques. Initialement, la politique arctique 2022 de l’Inde était axée sur l’exploration scientifique, en particulier sur l’étude de l’impact de l’Arctique sur la mousson indienne. Cependant, les progrès de la Chine ont incité l’Inde à repenser sa stratégie. Si le NSR n’offre pas d’avantages commerciaux directs à l’Inde en raison de sa géographie, il présente un risque stratégique en réduisant potentiellement l’influence de l’Inde dans la région de l’océan Indien (RIO). En réponse, l’Inde a cherché à améliorer sa connectivité maritime, comme en témoigne le protocole d’intention signé en 2019 par le Premier ministre Narendra Modi pour explorer un corridor maritime entre Chennai et Vladivostok, dans l’Extrême-Orient russe. Ce corridor sert à la fois de route commerciale et de contre-mesure stratégique à la présence croissante de la Chine dans l’Arctique. La course aux ressources de l’Arctique intensifie encore la concurrence géopolitique entre l’Inde et la Chine, toutes deux grandes importatrices de combustibles fossiles. La Russie, lourdement sanctionnée par l’Occident, est avide d’investissements étrangers pour développer ses ressources arctiques, qui représentent 20 % de son PIB. La Chine a déjà établi une forte présence dans l’Arctique russe, avec 359 entreprises d’État qui y opèrent et près de 90 milliards de dollars investis dans des projets énergétiques, miniers et principalement de gaz naturel liquéfié (GNL). Toutefois, la Russie craint de devenir trop dépendante de la Chine et s’est tournée vers l’Inde pour équilibrer sa dépendance. Des entreprises publiques indiennes telles que Oil and Natural Gas Corporation (ONGC) ont exprimé leur intérêt pour de nouveaux investissements dans l’Arctique, en plus de leur participation actuelle dans le projet pétrolier Sakhalin-1.
La dynamique géopolitique de l’Arctique est encore plus complexe du fait de l’entrée de la Suède et de la Finlande dans l’OTAN, qui, avec d’autres États arctiques membres de l’alliance, représente un défi pour les ambitions de la Chine dans la région. Entre-temps, la coopération croissante entre la Chine et la Russie, associée aux investissements chinois au Groenland et en Islande, a suscité des inquiétudes en Occident. Toutefois, cette situation pourrait constituer une opportunité pour l’Inde. Contrairement à la Chine, qui se concentre principalement sur l’Arctique russe, l’Inde entretient des relations cordiales avec les États-Unis et la Russie, ce qui lui permet d’explorer l’Arctique de manière plus large. Grâce à des initiatives telles que les sommets indo-nordiques, l’Inde s’est engagée dans une coopération multilatérale avec les États nordiques, qui sont membres permanents du Conseil de l’Arctique.
Malgré une asymétrie matérielle entre l’Inde et la Chine, l’Inde s’est positionnée comme un acteur important dans l’Arctique grâce à une diplomatie habile et à des partenariats stratégiques. De même, en étant propriétaires de l’Alaska, les États-Unis ont constamment souligné leur présence dans l’Arctique, mettant en évidence leurs intérêts significatifs dans la région. La politique arctique 2024 des États-Unis, qui vise à contrer l’influence de la Russie et de la Chine dans la région, pourrait offrir à l’Inde de nouvelles possibilités de s’affirmer en tant qu’acteur indépendant. En s’engageant à la fois avec les États-Unis et la Russie, l’Inde pourrait éviter une dépendance trop importante à l’égard d’une seule puissance et éventuellement jouer le rôle de médiateur entre les deux puissances dans les conflits de l’Arctique.
La concurrence stratégique émergente dans l’Arctique, motivée par les intérêts des grandes puissances, a attiré l’attention du monde entier. Si les investissements précoces de la Chine lui ont donné une longueur d’avance, l’Inde tire parti de ses liens diplomatiques et stratégiques pour rattraper son retard. Cependant, la concurrence pour les ressources dans l’Arctique, associée au risque de dégradation de l’environnement, pose des défis importants. Le rôle du Conseil de l’Arctique dans l’établissement de protocoles clair pour gérer cette concurrence sera décisif pour assurer le développement durable et pacifique de la région.
Mirza Abdul Aleem Baig
Article original en anglais : Polar Silk Route And Sino-India Arctic Geopolitics – OpEd, Eurasia Review, le 18 septembre 2024.
Traduction : Mondialisation.ca
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Mirza Abdul Aleem Baig est boursier du président de la CAS-TWAS à l’Université des sciences et technologies de Chine (USTC).