Ruée vers l’or extractiviste en Amérique latine
La fuite en avant extractiviste de la presque totalité des pays d’Amérique latine ne cesse de s’amplifier. À tel point que le thème s’est invité au 9e sommet des chefs d’état de l’Alliance bolivarienne des Amériques (ALBA), tenu à Guayaquil, en Équateur, du 28 au 30 juillet dernier.
Dans leur déclaration finale, les présidents des neuf pays membres (les plus à gauche de l’Amérique latine : Cuba, Venezuela, Bolivie, Équateur, Nicaragua, etc.) prennent la peine de rejeter « la position extrémiste de groupes déterminés qui, sous le mot d’ordre d’anti-extractivisme, s’opposent systématiquement à l’exploitation de nos ressources naturelles ».
Deux semaines plus tard, le 15 août, le président équatorien, Rafael Correa, mettait fin au moratoire pétrolier dans le parc national Yasuni, moratoire en échange duquel Quito demandait à la communauté internationale une compensation de 3.6 milliards de dollars, soit la moitié des revenus que l’exploitation pétrolière aurait rapporté au gouvernement.
>Le président a accusé d’hypocrisie les pays riches qui profitent de la biodiversité du parc Yasuni, mais refusent de payer pour sa sauvegarde. Il a certainement raison, mais l’hypocrisie tombe bien car, six mois auparavant, le gouvernement équatorien avait conclu des accords d’investissements pétroliers records d’une valeur de 1,7 milliard de dollars!
Le 12 juillet, le président bolivien, Evo Morales, annonçait un projet de loi soustrayant les activités de prospection et d’exploration minières à l’obligation de consultation préalable auprès des populations indigènes prévue dans la Constitution du pays.
De plus, le projet limite à quatre mois le processus de consultation préalable pour le volet exploitation et stipule que, si, au bout de ce délai, une communauté n’est pas parvenue à un accord (et on sait combien les compagnies minières peuvent diviser une communauté!), la décision d’implanter un projet minier revient au ministère des Mines.
En Argentine, la présidente Cristina Fernandez annonçait, le 16 juillet, un important accord avec nulle autre que la transnationale états-unienne Chevron, la même qui, aujourd’hui, dépense 400 millions de dollars et emploie 900 avocats pour renverser une sentence des juges équatoriens la condamnant à verser des milliards de dollars à l’Équateur pour avoir affecté la santé de 30 000 personnes en déversant 63 milliards de litres d’eau toxique en Amazonie.
Le gisement pétrolier de Vaca Muerta, dans la province de Neuquen, est concédé à Chevron pour 35 ans alors que la Constitution argentine limite la durée des concessions minières à 25 ans. À la fin de ces 35 ans, explique le journaliste argentin Facundo Gutierrez Galeno, Chevron aura investi 8,25 milliards de dollars, mais aura récupéré 61,3 milliards pour une rentabilité minimale de 742%!
La présidente a aussi récemment conclu un accord avec Monsanto pour la création d’une «semence transgénique nationale de soja» et mis son véto à une loi de protection des glaciers jugée trop radicale.
En 2002, au début de l’ère des Kirchner, il y avait 18 projets miniers dans le pays contre 614 en 2011!
Depuis le 7 juillet, les paysans et petits producteurs agraires de presque toutes les provinces colombiennes ont mené sans interruption une « grève agraire nationale » contre l’ensemble de l’œuvre du gouvernement Santos, incluant son projet principal de «locomotive minière» de l’économie colombienne.
Au cours des vingt dernières années, plus d’un million de paysans ont été déplacés par la violence étatique et paramilitaire en Colombie, pour faire place à des projets extractivistes.
Au Mexique, le président du PRI Enrique Pena Nieto envoyait au Sénat, le 12 août, un projet réformant les articles 27 et 28 de la Constitution mexicaine pour «ouvrir le secteur énergétique (pétrole et électricité) au capital privé national et étranger».
L’ouverture concerne au premier chef la pétrolière PEMEX, nationalisée en 1938 par le président Lazaro Cardenas, et qui, selon l’anthropologue mexicain Arsinoé Orihuela, finance le tiers des dépenses publiques actuelles du gouvernement mexicain.
Cette réforme a une seule fin, écrit Orihuela: « Le transfert à des firmes privées étrangères de la puissance, de la propriété et de la rente qui, constitutionnellement, appartiennent à la nation. Cela poursuit le processus historique monumental de dépouillement des ressources naturelles, territoriales (Californie, Texas, etc.) et humaines du Mexique ».
Partout ailleurs, l’extractivisme prend les airs de ruée vers l’or.
Au Pérou, le président Humala doit concrétiser un pacte d’investissements miniers d’une valeur de 60 milliards de dollars conclu avec la puissante oligarchie de ce secteur.
Au Guatemala, nous dit le Projet Accompagnement Québec-Guatemala, les concessions minières sont passées, entre 2005 et 2013, de 111 à 379, alors que 656 autres demandes sont en attente de traitement par le gouvernement. Même le gouvernement haïtien de Michel Martelly prépare une «loi attrayante» pour attirer les investisseurs du secteur minier.
Selon la CEPAL (Commission économique pour l’Amérique latine), 71.2% des exportations de toute l’Amérique latine provient aujourd’hui des secteurs énergétique (44,5%) et minier (26,7%).
Les initiatives d’extraction ou de monocultures ont de forts impacts sur la vie des populations là où elles s’implantent, générant de nombreux conflits sociaux. Le 31 mai 2013, l’Observatoire des conflits miniers en Amérique latine (OCMAL) en dénombrait 172, répartis dans dix-huit pays de la région et, cela, pour le seul secteur minier.
Dans les pays progressistes, dit le sociologue vénézuélien, Emiliano Teran Mantovani, les politiques assistancialistes de redistribution de la richesse sont financées par l’extractivisme. Elles amènent la modernité capitaliste (autoroutes, centres d’achat, mode de vie et valeurs consuméristes) dans de nouveaux territoires, dissolvent communautés, savoirs, cultures, économies ancestrales, etc., et découragent fortement les économies productives.
L’augmentation de la consommation et de l’individualisme qu’apporte l’extractivisme est une bombe à retardement qui a commencé d’exploser dans des pays comme le Venezuela et l’Argentine, où une importante partie de la population est prête à voter pour l’opposition de droite à la moindre difficulté économique réelle ou inventée que traverse le pays.
Malgré une décennie de soi-disant rupture avec le néolibéralisme, continue Mantovani, tous les gouvernements de la région sont plus que jamais en position de grande dépendance envers les exportations de ressources naturelles non transformées.
Non seulement les pays d’Amérique latine se font-ils déposséder de richesses, dont leur population aura grand besoin plus tard, mais en confiant une importante partie de leur économie à des transnationales étrangères et en s’insérant toujours davantage dans la globalisation capitaliste, ils deviennent vulnérables à toutes sortes de chantages.
Mantovani donne l’exemple des pénuries alimentaires qui touchent le Venezuela. Celles-ci sont d’autant plus facilement orchestrées par la droite, soutient-il, que le pays ne produit pas la plupart des aliments qu’il consomme et importe ceux-ci de l’étranger.
De plus, l’embellie causée par les prix élevés des ressources naturelles a déjà commencé à décliner, tirant vers le bas les taux de croissance des pays de la région. Or, ces pays n’ont prévu aucune alternative aux importantes baisses de revenus provenant de l’extractivisme!
On s’attend certes à cela de régimes néolibéraux qui pensent à court terme (Colombie, Mexique, Pérou, Chili, etc.) mais, dans le cas des gouvernements populaires, on ne peut manquer d’être complètement abasourdi par un manque de planification aussi suicidaire.
André Maltais