Russie : Il y a vingt ans, l’Octobre sanglant

Moscou 21 septembre-5 octobre 1993

Il y a des anniversaires d’exploits historiques que leurs acteurs eux-mêmes préfèrent taire, et que leurs sympathisants n’évoquent qu’avec discrétion et « nuance », les bilans à terme s’avérant moins éloquents que prévu.

Ainsi, il y a vingt ans, ce début de guerre civile à Moscou ! C’était, pour la Russie, « le grand tournant décisif », politiquement plus décisif même, pour la Russie, que la dissolution de l’URSS fin 1991, vu que ce tournant de septembre-octobre 1993 mettait un terme au « pouvoir soviétique », sous toutes formes qu’il ait pris depuis 1917, la dernière étant démocratisée et parlementaire depuis 1989, le nouveau président Boris Eltsine substituant à cette nouvelle démocratie post-soviétique un régime présidentiel autoritaire, en vigueur depuis vingt ans. Il naquit dans un bain de sang, au nom de la « véritable Démocratie » telle qu’on la conçut alors, tant au Kremlin qu’en Occident. Sans prévoir pour autant l’usage qu’en ferait le successeur, Vladimir Poutine.

Ce tournant eut lieu sur fond de « thérapie de choc » néolibérale qui plongeait des dizaines de millions de gens dans la misère et le désarroi – mais, certes, quel festin du côté des « oligarques » montants, de la jeunesse dorée de Moscou, de tous leurs admirateurs en Occident, n’était-ce pas « le Marché en plein épanouissement » ?! Il n’y a pas à dire : il s’est épanoui. Les pénuries de l’ère soviétique ont bien fait place à l’abondance de l’offre. Et si l’épargne populaire de plusieurs décennies s’envola en quelques jours grâce à la libération des prix, des fortunes fabuleuses ont pu s’édifier grâce à la même « libération » et à l’exportation également « libérée » des matières premières vers les zones à devises fortes. Les compressions des dépenses publiques ont permis de rembourser, partiellement, les prêts que le Fonds Monétaire International concédait à la Russie à la condition qu’elle « libère » les prix, comprime les subventions aux industries, aux écoles, à la santé, engage un grand programme de privatisation des biens collectivisés depuis 1917-1927.

L’auteur de la thérapie de choc, Egor Gaïdar, a remarquablement bien défendu sa cause dans un ouvrage paru peu avant sa mort. Libéralisation des prix, privatisations, stabilisation monétaire : sur ces trois fronts, la stratégie mise en œuvre a atteint ses objectifs, du moins le « point de non retour » qui a rendu irréversible le processus de « sortie du communisme ».  L’Occident peut lui en être infiniment reconnaissant.  La société russe n’en éprouve pas la même gratitude. Qu’a-t-elle donc à reprocher à ce tournant décisif sans lequel, qui sait, les « rouges et bruns » auraient pris leur revanche, restauré l’URSS ?!

Le très nouveau Parlement russe (né en 1989) mensongèrement présenté chez nous comme « communiste et conservateur », avait élu Boris ELtsine à sa présidence puis l’avait promu à celle de la Russie,  non sans ardemment soutenir ses réformes « de Marché » contre le président soviétique Mikhaïl Gorbatchev jugé « indécis », de même qu’il a  voté la dissolution de l’URSS. On ne saurait donc présenter le conflit ultime de 1993 comme un affrontement entre un parlement de « nostalgiques de l’URSS » et  les antisoviétiques du pouvoir exécutif.

Ce parlement originellement « eltsinien » était entré en conflit avec le président au vu des conséquences sociales catastrophiques des « réformes », et des méthodes autoritaires de l’exécutif « démocrate ». Il y avait  au sein de ce nouveau « front du refus », des démocrates déçus, des communistes qui s’étaient « ravisés », des nationalistes effarés par l’effondrement du pays – une majorité désormais acquise, non à un « retour en arrière », mais à une politique économique de régulation du marché et de protection des masses paupérisées, voire de réaction antilibérale et antioccidentale, vu le rôle joué dans la catastrophe par le FMI et les conseillers américains des « Chicago boys » de Moscou. La contestation était menée par deux fidèles lieutenants de Boris Eltsine, du moins jusqu’en 1992, le vice-président Alexandre Routskoï, et le président du Soviet Suprême de Russie, le Tchétchène Rouslan Khasboulatov. (Un Tchétchène à la tête du Parlement russe, voilà qui peut paraître, avec le recul, assez paradoxal !)

Dans le climat néolibéral de l’époque, il suffisait de dire que « le marché devait être réglementé » pour se faire traiter de « communiste conservateur » dans une presse russe aux mains de nouveaux groupes financiers en train de faire main basse sur les biens publics – 1993 était l’année du début des « grandes privatisations ». Beaucoup de Russes faisaient encore confiance au président Eltsine et il ne manquait pas de travailleurs pour croire que les privatisations allaient donner la propriété aux « collectifs de travail » et non aux directeurs et aux groupes financiers. Le parlement (Soviet Suprême) pouvait s’appuyer, lui, sur des sondages d’opinion qui montraient l’opposition d’une majorité de la population aux grandes privatisations et au démantèlement des services publics. Il y avait sans doute une grande confusion : hostiles au néolibéralisme (une « inconnue » totale en URSS !) qui n’avait pas encore montré l’entièreté de son visage, beaucoup de Russes croyaient encore aux promesses « de Justice sociale » dont ne cessait de les abreuver Eltsine. Mais dès le 1er mai, de violents affrontements entre manifestants et forces anti-émeutes installèrent un climat de pré-guerre civile dans les rues de Moscou. Les conseillers occidentaux du Kremlin, et certains de nos « kremlinologues » encourageaient le président russe à trancher dans le vif, à en finir avec ce parlementarisme soudainement perçu comme entrave à la « démocratie de Marché ».

Le Parlement fut dissous le 21 septembre par le président Boris Elstine. En réplique à la dissolution, le parlement destitua Eltsine et accorda la présidence au vice-président Routskoi. En réplique à la réplique, Eltsine organisa le blocus militaire du parlement. Ses partisans affluèrent au secours des assiégés, certains étaient armés.

En réponse, des troupes d’élite mitraillèrent les manifestants et le bâtiment abritant le parlement, la « Maison Blanche » sur les quais de la Moscova (où siège désormais le gouvernement) fut bombardée le 5 octobre par les tanks de la Division Taman.

L’épreuve se conclut donc par un massacre – plus de 150 morts selon une estimation officieuse prudente et invérifiable- suivi, à Moscou, du premier « nettoyage ethnique » anticaucasien de l’histoire de la Nouvelle Russie.  Et l’année suivante, de la première guerre en Tchétchénie.  Une Constitution présidentielle fut adoptée en décembre, toujours en vigueur. Voilà ce que nos médias unanimes, il y a vingt ans, nos gouvernements, nos grands partis démocratiques, suivant en cela les Etats-Unis (Bill Clinton) et le FMI, ont présenté comme un affrontement entre « démocrates » eltsiniens et  « conservateurs-communistes-rouges-bruns-fascistes etc… » se soldant par une grande « Victoire de la Démocratie ». Les écoles de journalisme devraient passer en revue les infos et commentaires des journaux et télés de l’époque, comme exercice sur le thème « objectivité et impartialité des médias ».

Les libéraux russes les plus radicaux, qui en appelaient depuis des années à un « Pinochet russe pour faire gagner les réformes », assument sans gêne aucune ce coup de force de même qu’ils présentent Pinochet comme « ayant sauvé le Chili du communisme ». Les libéraux assagis, qu’ils soient au pouvoir avec Poutine ou contre lui dans l’opposition, de même que nos milieux académiques liés aux opposants libéraux professent aujourd’hui des visions plus nuancées : le bain de sang d’octobre 1993 ne fut pas glorieux, et il n’a pas vraiment, totalement assuré « la victoire de la Démocratie ».

Mon sentiment, ma conviction dès cette époque et à fortiori vingt ans plus tard est qu’au contraire, les cent fleurs de la démocratisation écloses lors de la Glasnost des années 80 furent anéanties en quelques jours par un coup de force foncièrement antidémocratique.

Qu’on me permette ici une parenthèse personnelle. Journaliste à la RTBF[1], j’étais de longue date publié, dans divers pays, comme « spécialiste de l’URSS » mais ignoré en tant que tel par mon principal employeur jusqu’au printemps 1987, date de mon premier reportage à Moscou pour le Journal Télévisé[2]. C’est que je proposais l’image d’une « société en mouvement », bouillonnante de débats internes alors qu’il  était convenu de la décrire comme un totalitarisme pris dans les glaces éternelles. « Mon heure » vint lorsque les médias quasi-unanimes prirent le tournant suite à la reconnaissance, par la CIA, en 1986, qu’il y avait  vraiment « des changements en URSS ». Je fis alors un bref passage « dans l’air du temps », puisque favorable aux réformes de Gorbatchev comme tout le monde, quoique pour des raisons propres à ceux (dont j’étais) qui en espéraient l’avènement d’une « véritable démocratie » fondée sur plus de justice sociale. L’écart se fit dès que le cours réformateur effectua, en 1989, son tournant néolibéral et à fortiori lorsque le leader « séparatiste » (Eltsine) de la Nouvelle Russie adopta la politique dite de « thérapie de choc » inspirée par le FMI et les « Chicago boys » et autres « experts de Harvard » dont la « science » avait déjà servi au Chili  sous Pinochet, en Grande-Bretagne sous Margaret Tatcher et avec Ronald Reagan aux Etats-Unis.

Le bain de sang de 1993 fut l’aboutissement de cette « Démocratie de choc »…et dès ce moment, ce que je pouvais en dire sur antenne devint inaudible, car trop décalé par rapport à la « norme », soit à la propagande pro-eltsinienne que subissait quotidiennement nos opinions publiques, y compris dans les milieux de gauche qu’effrayait plus que tout un éventuel « retour des communistes » au pouvoir à Moscou. Que pouvait-on expliquer dans les « deux minutes » imparties au JT, à contre-courant du flot d’éloges des « réformes russes » qui déferlait dans l’ensemble des médias depuis deux ans ! Conscient d’être en porte-à-faux avec le discours dominant j’ai renoncé à encore intervenir sur les questions russes au  Journal télévisé  et, en général, j’ai vu se fermer bien des portes qui m’avaient été ouvertes à la fin des années 1980. Ce fut une expérience – une de plus – du mensonge persistant de « l’objectivité » et de « l’indépendance » des grands médias de masse. Je n’avais déjà plus la naïveté d’en être surpris. Fin de parenthèse personnelle.

A l’époque,  notre association « Maison Commune »[3] à Bruxelles publia une brochure sur les événements et les commentaires de presse que l’on pourrait exhiber sans fausse honte vingt ans plus tard ! La comparaison serait éloquente !

La fin de la première république parlementaire de l’histoire russe

Le Parlement de la Fédération de Russie étranglé par le pouvoir exécutif était l’un des produits de la Perestroïka de Mikhaïl Gorbatchev. Elu dans des conditions semi-démocratiques sans précédent, il s’appelait encore « Soviet Suprême » et comptait une majorité de députés issus du Parti Communiste d’Union Soviétique – un « argument » dont on se servit contre eux, alors que d’évidence, la plupart des responsables russes, y compris les plus radicalement libéraux, étaient issus de la même et unique « cuisse de Jupiter » et qu’en l’occurrence bon nombre d’entre eux avaient choisi la lutte contre le « communisme » établi et en faveur d’idées aux antipodes du socialisme. Le dit Parlement, et les nombreux soviets locaux renouvelés en 1989-90, s’étaient détachés de Gorbatchev, lequel hésitait encore entre réformes libérales et « choix socialiste », au profit d’un Boris Eltsine batailleur, qui leur promettait des réformes radicales « de Marché » mais également « de Justice » et « de Progrès ». On promettait même aux ouvriers qu’ils allaient devenir « propriétaires collectifs » des usines privatisées. Eltsine avait le soutien de nouveaux syndicats « libres » impatients de se débarrasser des « bureaucrates » soviétiques et d’instaurer « l’autogestion » rendue possible, à leurs yeux, par la désétatisation de l’économie. Libéraux, « gauchistes » et libéral-libertaires se rejoignaient dans la célébration des « libertés », l’anticommunisme, les séductions du consumérisme, de l’individualisme, de la « société civile » affranchie de la tutelle de l’état.

Dans un contexte de dislocation de l’URSS, l’heure était du reste à la défense des intérêts de la Russie et non plus au raccommodage de l’URSS. Bien des  nationaux-démocrates ralliés à Eltsine étaient alors soucieux de se débarrasser du « poids des républiques », objectif également prioritaire pour ceux qui, aux commandes des secteurs d’exportation des hydrocarbures, entendaient monopoliser à leur profit ces activités juteuses entre toutes.

Ce consensus s’est progressivement effrité à mesure que la dislocation de l’URSS, précipitée fin 1991, et la « thérapie de choc » amorcée en janvier 1992 montrèrent leurs effets désastreux sur le niveau de vie, la santé, les relations inter-ethniques, alors que les guerres civiles ravageaient déjà la Géorgie et le Tadjikistan et que le conflit armé menaçait entre Arménie et Azerbaïdjan.

Malgré tout, le Président obtint le vote de confiance d’une majorité de votants (mais non d’électeurs inscrits ) lors d’un référendum en avril 1993. La grande masse de la population était plus abasourdie et plongée dans des stratégies de survie qu’intéressée au débat politique, et le régime soviétique ne l’avait certes pas éduquée à la protestation collective. Nombre d’ex-Soviétiques croyaient encore qu’il ne s’agirait que d’une « mauvaise passe » de quelques années. Les sondages montraient cependant qu’en même temps qu’une cote favorable à Eltsine se maintenait, une majorité s’opposait aux privatisations de la grande industrie et au démantèlement des protections sociales, aux coupes sombres dans la santé publique. D’aucuns attendaient du président qu’il « corrige le tir ». N’avait-il pas souligné le besoin d’une approche plus « sociale » des réformes ? Mais la paupérisation et la désespérance gagnaient du terrain. Ils ne trouvaient pas d’expression politique (méfiance envers les communistes) ni syndicale (absence ou « libéralisation » des syndicats), seul le Parlement faisait entendre une voix rebelle, mais ce parlement était aussi sans réelle base sociale, trop compromis dans les jeux politiciens qui, depuis 1991, éveillaient suspicion ou indifférence au sein d’une population complètement aotomisée.

Aux démocrates libéraux et pro-occidentaux au pouvoir s’opposait désormais un front du refus parlementaire éclectique, composé de démocrates eltsiniens déçus, de sociaux-démocrates en quête de « troisième voie », de communistes et de nationalistes pris de colère en voyant le pays s’effondrer. Des groupes de combat armés, communistes et néofascistes (dont la milice de l’Unité Nationale Russe arborant la swastika) vinrent au secours des députés soumis au blocus militaire dans le parlement (la Maison Blanche) où ils s’étaient retranchés, privés d’eau, d’électricité et de téléphone. Refusant toute négociation, Eltsine décida d’en finir au moyen des armes, faisant appel aux blindés de la Division d’élite Taman et postant ses snipers  sur les toîts des immeubles d’où ils canardèrent les manifestants.

Le choix de l’Occident et de l’oligarchie naissante

Le président avait obtenu l’aval de ses pourvoyeurs de fonds du FMI et de ses « mentors » étatsuniens.  Son choix était logique et rationnel.  L’appui enthousiaste de l’Occident et de ses « chiens de garde » médiatiques n’était pas moins motivé de leur point de vue. Il faut se souvenir qu’à cette époque, la diplomatie russe que dirigeait Andrei Kozyrev s’était alignée sur les Etats-Unis, pour qui la Russie était la locomotive espérée de leur pénétration dans le continent eurasiatique.

La thérapie de choc – libéralisation des prix, compression drastique des dépenses publiques, privatisations prévues pour 80% de l’économie – n’aurait pu se poursuivre sans briser cette résistance. L’oligarchie financière et médiatique n’aurait pu s’emparer des secteurs-clé, notamment pétrolier, sans un changement radical du rapport des forces. Il n’y avait d’autre issue, pour les « démocrates », que la canonnade. Une négociation, que tentait l’Eglise Orthodoxe, aurait nécessairement remis en cause les plans radicaux d’Egor Gaïdar, Anatoli Tchoubaïs, et de l’élite oligarchique alors personnalisée par feu Boris Berezovski et Vladimir Goussinski. Et qui sait, les « collectifs de travailleurs » et les mouvements sociaux qui avaient le vent en poupe à la fin des années 80 auraient peu redonner de la voix, intervenir dans le débat sur le grand repartage de la propriété ? Impensable pour les élites du pouvoir, qu’il s’agisse de la nouvelle oligarchie financière ou de la nomenklatura bureaucratique recyclée dans les affaires ou dans l’appareil présidentiel.

Le régime présidentiel instauré en décembre 1993 – entériné par un référendum aux résultats très controversés – consacra l’avènement d’un régime autoritaire qui allait engager, l’année suivante, la première guerre en Tchétchénie.  On évita cependant une dictature « à la Pinochet » comme le proposaient certains idéologues démocrates des plus radicaux. A la répression d’Octobre répondit une victoire inquiétante, aux élections législatives de décembre, des forces nationalistes pseudo-oppositionelles [4] et communistes. Une opposition restait donc tolérée, mais le nouveau parlement (la Douma) n’avait plus qu’un rôle réduit.

Les nombreuses initiatives sociales autonomes qui avaient jailli à la fin des années 1980 et donné lieu à des mouvements ouvriers, intellectuels, écologistes réellement indépendants du pouvoir ont été littéralement anéanties. L’objectif même des « réformes » n’était-il pas de faire naître « une classe de propriétaires » garante de la « nouvelle Démocratie » mais dans la servitude du grand nombre et l’éradication des idées socialistes toujours vivaces ?

L’expérience ultralibérale aboutira au krach financier de 1998, qui fut aussi, en Russie, la défaite des idées libérales et des formations politiques eltsiniennes.

A ce moment-là, la même presse qui chez nous avait encensé Eltsine se mit à décrire la Russie sous des traits apocalyptiques. Or, la crise de 1998 fut aussi l’occasion, pour le nouveau gouvernement (éphémère) d’Evgueny Primakov, une sorte de social-démocrate, de réorienter la politique dans un sens plus régulateur. Il tenta en vain d’écarter des centres du pouvoir les oligarques dominants, ce qui lui valut d’en être lui-même évincé. Lui succéda un Vladimir Poutine, premier ministre puis président, très lié aux dits oligarques qu’il écartera plus tard, « sauveur du régime » mais initiateur d’une restauration de l’état et de la souveraineté nationale qui lui voudra les hostilités des plus radicalement libéraux et de l’Occident.

C’est alors que prit son essor une « société civile » oppositionnelle d’un autre genre, composée pour l’essentiel d’ONG (en Russie, on fit « organisations non commerciales » NKO) financées par des fondations étatsuniennes très militantes…et nullement intéressées par une démocratisation sociale telle qu’il s’en ébaucha avant 1993. Mais c’est déjà une « autre histoire ».

Cette histoire « d’après le choc » est aussi celle des bilans. La réussite de Gaïdar évoquée plus haut est indéniable. La Russie, et les autres pays de l’espace ex-soviétique, se sont bien engagés, de façon irréversible, dans la voie du capitalisme. Après une décennie d’ effondrement, l’économie et la puissance russes ont retrouvé le chemin du redressement, fût-il limité à la croissance d’une puissance exportatrice d’énergie et à son redéploiement militaire. Ce qu’il en a coûté socialement, culturellement est une façon de voir que les réformateurs « économicistes » ont souvent balayé d’un revers de la main. D’autres penseurs libéraux, peu suspects de nostalgies socialistes, n’en estiment pas moins que la « stratégie du choc » destructrice du potentiel hérité de l’URSS a été fatale pour la « modernisation de la Russie » telle qu’eux, libéraux éclairés, l’envisagent.  Loin de ce que leur mentor Georges Soros, après le krach de 1998 qui lui coûta deux milliards de dollars, a qualifié lui-même de « capitalisme de prédation ».

Jean-Marie Chauvier

Septembre 2013

 



[1] Radio-Télévision belge d’expressionb française.

[2] Précédemment, en 1983, j’avais obtenu, de haute lutte contre l’autorité du Journal Parlé où j’étais affecté, l’autorisation d’accomplir un reportage télévisé en URSS pour l’émission « A suivre » d’Enquêtes et Reportages, où je fus affecté par la suite. A l’époque,  les autorités soviétiques (avant Gorbatchev) n’étaient pas moins réticentes à me voir enquêter sur ce que j’avais nommé, comme titre de l’émission de 1983, « Le Jour d’Avant » – … me sirtuanbt donc « avant « les changements que je me permettais de supputer alors qu’ils paraissaient à la plupart invraisemblables. Nul ne savait (et moi non plus) à quel point ils étaient imminents et formidables, nul n’imaginait que les dirigeants soviétiques eux-mêmes allaient conduire l’URSS à sa perte en l’espace de quelques années ! De 1993 à 1991 : huit années !

[3] Association bruxelloise, animatrice de débats sur les changements à l’Est et dans le Nouvel Ordre Mondial. (1991-1993)

[4] Parmi celles-ci, le Parti Libéral-Démocratique de Vladimir Jirinovski servait en fait à drainer des voix nationalistes au profit d’une politique de complaisance envers le Kremlin.



Articles Par : Jean-Marie Chauvier

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