« Sanctions de l’Union européenne irraisonnées et dans le sillon de Washington »

Interview de Seyed Mohammad Ali Hosseini, ambassadeur d’Iran à Rome

Un groupe d’inspecteurs de l’Agence internationale pour l’énergie atomique (Aiea) a commencé dimanche une visite en Iran : conduite par le directeur-adjoint Herman Nackaerts, la mission tentera d’affronter les doutes que l’Aiea a soulevé dans son rapport de novembre dernier quand, sur la base d’informations recueillies par les services secrets d’autres pays, elle avait pointé les soupçons sur certaines expérimentations iraniennes qui pourraient avoir une « importance militaire ». La visite a commencé dans les déclarations optimistes du côté iranien : « cela nous aidera à clarifier la nature pacifique des activités iraniennes », a dit hier (lundi 30 janvier 2012, NdT) le ministre des affaires étrangères iranien, Ali Akbar Salehi. Pour l’agence officielle Irna les inspecteurs visiteront selon toute probabilité le site atomique de Fordow, creusé dans les montagnes des environs de Qom, qui a suscité un grand scandale quand l’Iran en a révélé l’existence il y a trois ans ; et quand, le mois dernier, il a annoncé que ce site souterrain est un second site d’enrichissement d’uranium. Hier justement le ministre Salehi a déclaré que le combustible (uranium enrichi à 20%) est désormais prêt et sera transféré au réacteur de recherche de Téhéran le mois prochain.

Ces dernières semaines, les Etats-Unis d’abord puis l’Union européenne ont déclaré de nouvelles sanctions envers l’Iran. L’Union européenne en particulier a  décidé d’interrompre depuis le 1er juillet l’acquisition de pétrole d’Iran, dont elle achète (cependant, NdT) aujourd’hui encore environ 450mille barils quotidiens. Le ministre des affaires étrangères britannique William Hague a qualifié l’embargo pétrolier de «mesure pacifique et légitime » pour pousser l’Iran à la négociation. Mais avec cet embargo unilatéral les Européens se sont placés dans le sillon américain (étasunien, NdT), nous a dit l’ambassadeur de la République islamique d’Iran en Italie, Seyed Mohammad Ali Hosseini : « Comment peut-on qualifier de « mesure pacifique et légitime » l’embargo contre une nation, qui est en contradiction flagrante avec les lois et le droit international ? Ces sanctions sont en contradiction avec la « Convention internationale pour les droits économiques, sociaux et culturels » et avec la « Déclaration sur le droit au développement », qui font partie des droits fondamentaux des nations. Observez les sanctions imposées ces dernières décennies : il en ressort une claire tendance étasunienne à les utiliser pour imposer unilatéralement ses propres politiques. De 1922 à 1996 les Etats-Unis ont imposé 61 embargos unilatéraux contre au moins 35 pays équivalant à 42% de la population mondiale. La décision de l’Union européenne se place dans le sillon des politiques américaines, avec des intentions politiques bien précises. La politique des sanctions contre une nation qui persévère dans ses propres droits naturels et légitimes est irraisonnée ».

Les sanctions commencent à peser : croyez-vous qu’elles pousseront l’Iran à modifier sa politique ?


Dans les 32 dernières années les Etats-Unis et certains pays européens ont de plus en plus alourdi leurs sanctions pour maximaliser la pression sur le peuple et le gouvernement de la République islamique de l’Iran : mais cela finira au contraire par renforcer la cohésion nationale et l’unité des Iraniens dans la sauvegarde des conquêtes scientifiques et technologiques. Non, elles ne provoqueront aucun changement réel dans les politiques stratégiques du pays
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Combien pèsent les sanctions internationales, en particulier sur la Banque Centrale et sur le pétrole, sur l’économie iranienne ?

 
Cela fait désormais trente ans que nous sommes confrontés aux sanctions et je suis certain que nous saurons dépasser aussi  cette vague-ci. En attendant nous observons les premières conséquences de l’embargo pétrolier justement sur les marchés des pays qui l’ont imposé : de la part de l’Union européenne, le délai semestriel de l’embargo n’est pas un signe de bienveillance envers l’Iran mais de préoccupation pour les conséquences négatives que celui-ci aura  sur les économies de certains pays européens. La multiplication des contacts et visites entre pays européens et certains pays producteurs de pétrole sont des signes évidents de cette appréhension. Les sanctions dans certains cas ont créé des difficultés, certes, mais sans ralentir sensiblement notre développement. Enfin, l’embargo pétrolier pourrait représenter pour l’Iran une occasion de diminuer notre dépendance au secteur pétrolier et accélérer la potentialisation d’autres secteurs.

On entend de plus en plus parler d’une attaque possible d’Israël contre les sites nucléaires iraniens, et aux Etats-Unis aussi on parle d’ « option militaire ». Croyez-vous que le risque d’affrontement militaire soit plus réel que par le passé ?


Le scénario déraisonnable des sanctions contre l’Iran a été pris en considération depuis longtemps et il n’est pas à mettre en relation avec d’autres questions.  Je considère comme peu probable l’affrontement militaire. Les entités à qui vous faites référence sont encore aux prises avec les résultats de leurs aventures militaires ambitieuses et désastreuses de ces dernières années.

L’Italie et l’Iran ont une histoire de bonnes relations. Croyez-vous que cela va changer dans le cadre actuel ?


Nous sommes convaincus que les bons rapports entre les deux pays, enracinés dans l’histoire, la civilisation et la culture de l’Iran et de l’Italie, continueront à  croître et se développer. De nombreuses occasions de collaboration entre les deux pays, si elles se réalisaient, pourraient transformer les relations bilatérales en un exemple pour d’autres pays de l’Union européenne. A mon avis il est possible, avec une lucidité et une bonne détermination, en tenant compte des intérêts communs et à travers des consultations plus actives entre les responsables des deux pays, de dépasser la situation actuelle déterminée surtout par des impositions extérieures
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Edition de mardi 31 janvier de il manifesto

http://www.ilmanifesto.it/area-abbonati/in-edicola/manip2n1/20120131/manip2pg/08/manip2pz/317282/


Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio

Post scriptum de la traductrice.

Marina Forti a fait en quelques jours deux interviews à des diplomate ou ex-diplomate iraniens. Comme dans tout journal indépendant, le nombre de signes accordés à chaque rédacteur est très calculé, au manifesto.

J’ai fait quelques calculs sur les deux interviews (après traduction et hors commentaires).

Pour la première interview, samedi 28 janvier, de l’ex-ambassadeur Hossein Mousavian (aujourd’hui en vacance à Princeton, interview réalisée par email), nombre total de signes : 7.299 ; nombre de signes de l’intervention proprement dite de Hossein Mousavian : 5.270.

Pour la deuxième interview, mardi 31 janvier, de l’ambassadeur Ali Hosseini (actuellement en poste à Rome : l’auteur ne dit pas si l’interview a été faite par email, par téléphone ou en allant tout simplement le voir en voisin), nombre total de signes : 5.040 ; nombre de signes de l’intervention proprement dite de Ali Hosseini : 2.706 (un tout petit peu plus que la moitié de l’article).

Je laisse au lecteur le soin de faire la comparaison des ratios d’espace accordé par il manifesto aux diplomates iraniens selon qu’ils sont en poste en Italie ou en « vacance » aux Etats-Unis (voir interview précédente sur les sites francophones habituels).

 Je laisse aussi au lecteur le soin de vérifier ce qui est annoncé en introduction et ne manquerai pas de traduire toute interview de il manifesto à l’ambassadeur israélien à Rome (ou ex-ambassadeur en « vacance » aux Etats-Unis), posant des questions -comme celles ci-dessus ou d’autres- sur le développement de la puissance nucléaire militaire ou civile de son pays. Sans parler de visites d’inspecteurs et directeur-adjoint de l’Aiea dans l’entité non signataire du Traité de Non Prolifération.



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