Sardaigne, nouvelle porte de l’émigration africaine

Sassari
Depuis l’antique Ippona en Algérie, qui s’appelle aujourd’hui Annaba, il y a cent vingt-cinq miles marins pour rejoindre la côte occidentale sud de la Sardaigne. Un passage court, au-delà duquel une armée de migrants cherche les portes du paradis, le salut contre la faim et les guerres. Les petites barques de bois et de vitro résine chargées de gens désespérés accostent à Porto Pino, une longue plage de sable très blanc et fin, enchâssée dans le vert d’une pinède.  Un vrai paradis, presque toujours fermé l’hiver parce qu’il se trouve à l’intérieur  de la base de Cap Teulada, et sur sa grève clapotent les quilles des engins des marines militaires des pays de l’Otan, qui s’entraînent au débarquement en terres ennemies.

En été, par contre, on peut y prendre le soleil, à Porto Pino ; depuis l’an dernier on y a même ouvert un camping. C’est ainsi que les clandestins de Annaba, les « harraga » (brûleurs de routes ») comme on les appelle en Algérie, terminent leur voyage entre baigneurs et touristes. Depuis juin, il en arrive désormais tous les jours, par petits groupes : vingt, cinquante, cent. En général ils sont bloqués avant, au large, par les garde-côtes ou la douane. Affamés et déshydratés par le soleil et la soif qu’ils ont endurés pendant la traversée. La police et les carabiniers les emmènent à Carbonia, à Iglesias, à Sant’Anna Arresi et à Sant’Antioco pour un repas chaud  et une visite médicale. Après Lampedusa, la « porte » sarde est dorénavant  le principal canal d’entrée de l’immigration africaine en Italie. Pour comprendre ce qui arrive il faut quitter les plages candides de la Sardaigne pour les criques algériennes qui ponctuent la côte entre Annaba et Banzart (Bizerte, autrefois) : Sidi Salem, Ain Achir, Rafès Zahouane, Cap Rose. Les barques partent de là, coquilles de noix d’à peine 4-5 mètres avec des moteurs de vingt chevaux.

Qui monte sur ces barques et pourquoi ? Beaucoup d’Algériens, qui cherchent à quitter leur pays pour trouver ailleurs des conditions de vie meilleures. Mais autant de migrants  embarquent après un long voyage par la terre, qui les a amenés sur les côtes algériennes depuis le Maroc, le Mali, le Niger et le Soudan. L’Algérie, donc, comme débouché vers l’Europe d’un flux migratoire qui prend son origine dans le malaise économique et social, non seulement dans l’aire nord-africaine mais aussi au sud du Sahara. Immenses territoires appauvris par les processus de la globalisation qui jettent des populations entières dans la misère, avec, souvent, les circonstances aggravantes de conflits sanglants armés sanglants

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Jusqu’à il y a quelques années, ceux qui fuient l’enfer cherchaient à rejoindre les côtes européennes par Gibraltar. On accédait au rocher en embarquant clandestinement à Melilla et surtout à Ceuta, les deux enclaves espagnoles en territoire marocain. Puis Zapatero a blindé la frontière. Par là, on ne passe plus. Les « brûleurs de routes » ont alors mis en service deux autres voies : de Titwan (Tétouan) au Maroc, vers Almeria et Carthagène, en Espagne ; et d’Annaba vers les côtes sardes. Ceux qui arrivent à Porto Pino ont comme objectif  préférentiel la France, à rejoindre par la Corse. Mais d’après les fonctionnaires de la préfecture de Carbonia, nombre d’entre eux visent aussi Naples et Rome.

Selon la Gendarmerie nationale algérienne, le flux migratoire a enregistré ces dernières années une forte augmentation : au cours de l’année 2005 ont été arrêtés, avant qu’ils ne quittent les eaux territoriales, 403 immigrés provenant pour la plupart du Maroc, du Mali et du Niger. Mais d’après les données de cette année, il s’avère que le chiffre a quasiment doublé. Si on ajoute aux « harraga » que la Gendarmerie arrête avant qu’ils n’entrent dans les eaux internationales, ceux qui sont bloqués en Italie et en Espagne et ceux qui, au contraire, réussissent  à ne pas se faire prendre et à disparaître dans le vide, on  comprend  que l’affaire est très sérieuse. A Alger, d’autre part, la vraie préoccupation est liée à la constatation  que pendant les cinq dernières années le nombre de citoyens algériens qui prennent la mer augmente de façon régulière. Ce n’est pas un hasard si El Watan, le plus grand quotidien national, a intitulé une enquête récente «  Les Algériens, nouveau boat people ».

Mais en Sardaigne aussi les problèmes ne manquent pas. Ce mardi (21 août, NDT) les maires du Sulcis ont rencontré à Rome Marcella Lucidi, sous-secrétaire à l’Intérieur déléguée aux questions de l’immigration. Les administrateurs sardes demandent qu’on ne les laisse pas seuls. Les débarquements de clandestins sont désormais quotidiens et ceux qui s’occupent de la première assistance sont les municipalités de la zone, qui pourtant n’ont ni infrastructures ni fonds appropriés. L’aide de la Croix-Rouge, de Caritas (très ancienne, et puissante, association de secours catholique, NDT) et d’autres associations de volontaires ne suffit pas.

Les maires demandent au gouvernement l’application de l’accord entre l’Algérie et l’Italie sur l’immigration, qui prévoit de plus grands contrôles au départ. Accord en vigueur  depuis 2006 et jamais rendu opérationnel. Mais ceci n’est qu’un aspect du problème. Au delà  de tout accord bilatéral, il faut une politique active d’insertion de ceux qui arrivent de toutes façons en Italie et veulent construire un projet de vie ou chercher de nouvelles chances  dans d’autres états européens. Ce qui n’a pas lieu. Ceux qui débarquent en Sardaigne, après avoir reçu de la préfecture une ordonnance de rapatriement, sont tenus de rentrer chez eux dans un délai de cinq jours. Et jusqu’en avril de cette année c’était pire parce que les migrants, après trois ou quatre jours, étaient embarqués sur des avions militaires et emmenés au Centre de permanence de Crotone. Et puis il y a le problème des migrants qui arrivent de pays en guerre, pour lesquels la feuille de rapatriement signifie le retour à des situations de grand danger. « Nous ne demandons pas qu’on ouvre un Cpt (centre de permanence temporaire) dit Torre Cherchi, maire Ds (Démocrates de gauche, le parti du ministre des Affaires étrangères D’Alema, NDT) de Carbonia ; « Nous sommes contre les Cpt, précise Cherchi. Mais il faut  par contre des ressources financières et des moyens pour affronter de façon efficace le problème de l’assistance aux migrants qui atteignent nos côtes, en attendant  qu’ils puissent rentrer dans leurs pays d’origine s’ils le désirent, ou qu’ils arrivent à trouver une insertion en Italie ». La position de Cherchi, contre les Cpt, a le soutien de nombreux groupes de base, à commencer par le Social Forum de Cagliari. Les logiques  répressives ou de pure et simple contention n’ont pour le moment pas beaucoup d’écho en Sardaigne.

Une autre question ouverte est celle des manipulateurs du trafic des irréguliers. La magistrature de Cagliari soupçonne qu’il y ait derrière ces débarquements en Sardaigne une organisation criminelle qui rassemble les bosses algériens et le milieu sarde. Les barques auraient, au large, un appui de gros navires  marchands. La voie serait la même que celle empruntée par le trafic de drogue. Une coïncidence, apparemment, mais sur laquelle on enquête désormais depuis une année.

Edition de jeudi 23 août 2007 de il manifesto

http://www.ilmanifesto.it/Quotidiano-archivio/23-Agosto-2007/art35.html


Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio

Merci à Tahar H.  pour ses corrections et indications linguistiques .



Articles Par : Constantino Cossu

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