Scandale à Bangkok : des médicaments gratuits

La Thaïlande est devenue un véritable scandale pour les laboratoires pharmaceutiques mondiaux, à cause de sa politique d’émettre des « licences obligatoires » pour des médicaments qu’elle considère indispensables au service sanitaire national ; elle contourne ainsi les brevets – et réduit de façon drastique ses dépenses. Le dernier cas remonte aux mois de décembre 2006 et janvier 2007, quand le ministère de la santé thaïlandais a annoncé des « licences obligatoires » pour trois médicaments importants, tous catalogables comme essentiels » : l’Efavirenz, produit par Merck, et le Kaletra des Laboratoires Abbott, tous deux anti-rétroviraux (utilisés donc dans les thérapies anti-HIV), et le Plavix (un anticoagulant) produit par Sanofi-Aventis. Licence obligatoire signifie que le gouvernement de Bangkok a suspendu  l’effet du brevet sur ces médicaments et a autorisé la Governmental Organization (Gpo), une industrie pharmaceutique d’état, à produire ou importer son médicament « générique ».

Protéger la propriété intellectuelle (les brevets) est une des obligations à laquelle est tenu tout pays adhérant à l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC/Wto), et la Thaïlande en fait partie.  Mais le brevet, qui couvre un médicament  pendant 20 ans, en attribuant à l’entreprise qui l’a créé le monopole  sur sa production pour 20 ans, est la principale raison pour laquelle  les médicaments coûtent si chers. Avec la décision de  ne pas respecter le brevet, Bangkok cependant ne fait rien d’ « illégal » : les accords sur la « propriété intellectuelle » (les Trips « Trade-related intellectual property rights ») autorisent chaque pays individuellement à donner une « licence obligatoire » à des industries nationales pour produire ou importer  des médicaments génériques « disjoncteurs » en cas de graves urgences sanitaires : la pandémie du virus Hiv, et du syndrome  d’immunodéficience acquise (Sida) est sans aucun doute une urgence. La Thaïlande a donc décidé d’utiliser  ce droit de dérogation. Il était nécessaire, avait déclaré le ministre  de la santé Mongkol na Songkla aux médias : « Nous n’avons pas  assez d’argent  pour acheter les médicaments nécessaires et sûrs pour nos citoyens ». Du reste, la banque mondiale elle-même avait conseillé  au gouvernement de Bangkok  de faire usage  des licences obligatoires pour continuer son programme sanitaire. En Thaïlande ; en effet, où environ 570 mille personnes vivent avec le sida, le système sanitaire national est arrivé à soigner gratuitement 82 mille personnes – et environ 20 mille patients de maladies cardiovasculaires. Mais ceci pèse sur les caisses de l’Etat, et la différence de prix entre le médicament breveté et son générique est abyssale.  L’Efavirenz coûtait, avant la licence obligatoire, 1.500 bath (41 dollars) la dose mensuelle ; le Gpo thaïlandais est en train de s’équiper  pour produire le générique mais, entre temps, il l’importe d’Inde à 22 dollars la dose mensuelle. Quant au Plavix le ministère de la santé dit que la réduction de prix (de70  à 6 bath le comprimé) permettra au service sanitaire d’élargir le nombre de patients soignés gratuitement.

La politique des licences obligatoires a déclenché l’alarme chez les laboratoires pharmaceutiques. La Thaïlande en effet constitue un double précédent : c’est le premier grand marché d’un pays « émergent » qui recourt à cette sauvegarde : prévue par les traités internationaux sur le commerce mais jusqu’ici  jamais utilisée (parce que, aussi, les pays les plus forts comme les Etats-Unis ont fait des pressions très fortes sur de nombreux pays  africains et asiatiques plus pauvres et politiquement vulnérables pour qu’ils renoncent à ce droit, sous peine de perdre les bénéfices des accords commerciaux bilatéraux avec les Etats-Unis).

En second lieu, c’est le premier pays qui se sert des licences obligatoires non seulement pour les médicaments nécessaires pour faire face à des « urgences », comme le sida, mais aussi pour des situations sanitaires plus normales, comme les maladies cardiovasculaires. C’est pour cela aussi que le geste du gouvernement  de Bangkok a été  applaudi par des organisations comme Médecins sans frontières qui luttent pour l’accès aux médicaments essentiels. Si l’exemple de la Thaïlande  était suivi par d’autres pays, ce serait un coup pour les laboratoires pharmaceutiques.  Et ceux-ci ont mis en train des pressions très fortes sur le gouvernement thaïlandais pour le convaincre de les retirer. Abbott, par exemple, en mars 2007, a menacé de retirer toutes les demandes présentées en Thaïlande pour enregistrer  (et donc mettre sur le marché) ses propres médicaments, y compris une nouvelle version du Kaletra appelée Aluvia, qui a l’avantage de pouvoir se conserver à température ambiante. En même temps pourtant ces mêmes laboratoires  ont commencé à offrir des « ristournes ». En avril Abbott a offert à la Thaïlande et à  une quarantaine de pays à bas et moyen revenu, de fournir le Kaletra à 1.000  dollars par patient par an, contre les 2.200 dollars courants (en vieille version cependant, pas pour la nouvelle). Merck a offert l’Efavirenz à 23 dollars le flacon (se rapprochant des 20 dollars de son générique indien). De toute évidence, Sanofi aussi préfère faire quelque réduction plutôt que de perdre le marché thaïlandais. Jusqu’à présent Bangkok ne s’est pas déclarée satisfaite et n’a pas révoqué ses licences  obligatoires : « nous voulons voir les laboratoires pharmaceutiques baisser ultérieurement leurs marges de profit, pour distribuer les médicaments à davantage de gens », commentait en avril le ministre Songkla. Il faut dire une chose : sans « licence obligatoires » aucun laboratoire pharmaceutique ne se serait senti en devoir de faire des réductions.

Edition de mercredi 24 octobre 2007 de il manifesto

http://www.ilmanifesto.it/Quotidiano-archivio/24-Ottobre-2007/art30.html


Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio



Articles Par : Marina Forti

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