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Singularité technologique : Où s’arrête l’humain, où commence le cyborg ?
Par Chems Eddine Chitour
Mondialisation.ca, 26 juillet 2014

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« Même la bête  la plus féroce connait des moments de pitié, Je ne suis pas une bête je n’ai pas de pitié »

Shakespeare  (Richard III (Acte I, Scène II)),

 

Les derniers «événements de Gaza, dans toute leur horreur, nous confortent que la bestialité est à l’état latent chez l’homme et que de plus, le vernis d’humanisme vole en éclats à chaque crise grave. L’Occident donneur de leçons d’humanisme, de droits de l’homme a montré qu’il n’en était rien. Que l’homme a été, est et restera sauvage. Dans le futur on parle de plus en plus de singularité, de symbiose homme-robot et qu’à terme, nous ne saurons pas dans l’homme réparé quelle est sa part réelle et sa part artificielle. Espérons maintenant que l’on n’apprendra pas aux robots à être aussi sanguinaires que les humains qui dépassent certaines fois en cruauté les animaux

Qu’est-ce que l’humain?

Notre tradition culturelle posait une barrière quasiment étanche entre l’animal et l’humain. Nous savons aujourd’hui que nous partageons avec nos cousins les plus récents l’immense majorité de notre matériel génétique. Alors qu’est-ce qui spécifie l’humain? Katherine Pollard, biostatisticienne à l’université de Californie, à San Francisco, écrit à ce propos: «La comparaison du génome des hommes à celui des chimpanzés a révélé des séquences d’ADN spécifiques de l’homme (…) Nous avons découvert que l’homme et le chimpanzé ont 99% de leur ADN en commun. En d’autres termes, sur les trois milliards de lettres qui composent le génome humain, seulement 15 millions (moins de 1%) ont changé au cours des six millions d’années environ qui se sont écoulées depuis que l’homme et le chimpanzé ont divergé.» (1).

L’humanité est un combat, il n’est pas donné une bonne fois pour toute. Pour le philosophe Richard Gildas :

«l’homme n’est pas immédiatement humain, mais il a le devenir (…) Mais qu’il s’agisse de devenir pleinement humain, ou de le redevenir, le sens de la tâche assignée à l’homme demeurait essentiellement le même: contrairement à l’animal, dont la réalité présente correspond une fois pour toutes à ce qu’il doit être, l’homme ne possède pas son humanité comme un donné fixe et définitif, mais comme une possibilité qu’il lui appartient de réaliser ou non ». (…)

« Autrement dit, il nous faut constater que l’idée classique énoncée ci-dessus, selon laquelle l’humanité de l’homme est le résultat d’un devenir, tend de plus en plus à se confondre avec l’affirmation qu’il peut y avoir passage progressif du non-humain à l’humain, de l’animalité à l’humanité (…)Entre l’être qui est incapable de pensée et de langage (l’animal), et celui qui en est capable (l’homme), la différence n’est pas simplement de degré mais d’essence, ce qui interdit tout «passage» de l’un à l’autre. Par contre, entre l’être qui ne pense ni ne parle encore, (le bébé) ou qui ne pense ni ne parle plus, (le vieillard) mais qui a en lui la capacité, et l’être qui pense et parle effectivement, la différence n’est pas d’essence, mais seulement de degré.» (2)

L’épopée de l’homme depuis son avènement

Pour pouvoir nous rendre compte de la révolution immense qui a lieu à bas bruit tant il est vrai qu’elle problématise la condition humaine, nous donnons la parole à Jean-Philippe Bocquenet qui nous raconte la saga de l’homme préhistorique à travers la fabrication des outils et montre à quel moment il y eut la fameuse bifurcation homme-singe. Il écrit:

«Si on attribue à l’homme des capacités et des aptitudes spécifiques qui le différencient du règne animal tel que le langage, et le développement cérébral, il ne faut pas oublier ses capacités à fabriquer des outils. Les plus anciens outils retrouvés ont été fabriqués en Afrique il y a environ 2.7 millions d’années, au Paléolithique archaïque. (…) De l’usage d’outils primaires, utilisés aussi dans le règne animal, tel chez les chimpanzés, ils vont passer à l’emploi d’un outil pour en fabriquer un autre. Ce sont des outils dit secondaires. Viendront ensuite les outils composites constitués de plusieurs éléments ne formant qu’un seul outil, tel que les arcs, les haches et les sagaies. Après avoir façonné les matériaux trouvés dans son environnement immédiat, l’Homme va accomplir un saut technologique décisif en transformant la matière elle-même, avec l’invention du cuivre, puis du bronze et du fer.» (…)

«Aux environs de 12.000 B.C. poursuit l’auteur, l’édification des premiers édifices religieux à Göbekli Tepe en Turquie, va entraîner un développement de la population qui va se regrouper en communautés sédentaires, possédant des terres et des troupeaux. Cette richesse amassée va attiser les convoitises. Des conflits vont naître de la volonté de s’approprier les possessions d’autrui. Dans la recherche de la domination de l’autre, l’Homme va faire preuve d’une grande intelligence pour inventer les premières armes. (…) Il a fallu des centaines de milliers d’années pour passer du paléolithique au néolithique, quelques dizaines de siècles pour passer de ce dernier à la société industrielle, et quelques décennies pour atteindre le stade de la société de l’information.» (…)

«Dans cette course à l’amélioration de ses outils et de ses machines, en ce début de XXIe siècle, l’humanité est au commencement de la plus grande transformation de son histoire. Nous entrons dans une nouvelle ère où la définition même de l’être humain va fortement évoluer et s’enrichir. Après avoir travaillé avec des outils qui permettaient de modifier l’environnement, l’homme s’attache désormais à fabriquer des outils pour s’améliorer lui-même. (…) C’est tout l’enjeu de notre confrontation avec les machines. Notre espèce va se libérer des bases de sa génétique et réaliser des prouesses inimaginables en termes d’intelligence, de progrès matériel et de longévité. Dans cette union de l’homme et de la machine, le savoir et les compétences implantés dans nos cerveaux se combineront aux capacités infinies de nos créations technologiques. L’homme va céder sa place, dans un futur proche, à des créatures de son invention, mi-machine, mi-homme, voire mi-animal. Au croisement des bio- et nanotechnologies, de l’intelligence artificielle et de la robotique, la science-fiction d’hier devient chaque jour réalité. Une réalité tendant vers la transcendance, à savoir une élévation à une nature radicalement supérieure. Cette volonté de puissance à déjà été décrite par Nietzsche. Pour Charles Darwin, «il devint très probable que l’humanité telle que nous la connaissons n’en soit pas au stade final de son évolution, mais plutôt à une phase de commencement.» (3)

Nous arrivons à la frontière: le manifeste du transhumanisme

 « Le transhumanisme poursuit l’auteur est une approche interdisciplinaire dont l’objectif est de surmonter les limites biologiques humaines par le progrès technologique. (…) La maladie, la vieillesse et la mort ne sont plus une fatalité. Les technologies peuvent nous aider à endiguer ou à retarder ces «maux», à rester en bonne santé, tout en nous permettant d’augmenter nos capacités physiques, intellectuelles et émotionnelles. Ces principes sont précisés dans le manifeste transhumaniste qui énonce que: l’avenir de l’humanité va être radicalement transformé par la technologie. Il est envisagé la possibilité que l’être humain subisse des modifications comme son rajeunissement, l’accroissement de son intelligence par des moyens biologiques ou artificiels, la capacité de moduler son propre état psychologique, et l’abolition de la souffrance. Ceux qui le désirent ont le droit moral de se servir de la technologie pour accroître leurs capacités physiques, mentales ou reproductives, donc la maîtrise de leur propre vie. Les êtres humains doivent pouvoir s’épanouir en transcendant leurs limites biologiques actuelles. » (…)

Les thématiques transhumanistes sont assez nombreuses et touchent des domaines variés: c’est ce que l’on appelle la convergence Nbic pour Nanotechnologies, Biotechnologies, Informatique et sciences Cognitives. (…) Si le corps humain a toujours été en transformation, son amélioration s’est considérablement accélérée ces dernières années. (…) Face au défi médical de la mortalité cardiovasculaire, les prothèses de l’appareil circulatoire ont connu un développement constant depuis deux décennies: valves cardiaques, greffes du coeur, assistance ventriculaire, stimulateurs du rythme cardiaque, stents et prothèses vasculaires constituent des avancées biomédicales notables Dans les années 1970, une chirurgie reconstructrice des vaisseaux se développe. Quand une artère est lésée, on peut la remplacer par une autre, (…)»

«Parallèlement, certains appareils électroniques peuvent jouer un rôle de prothèse, alors qu’ils n’ont pas été conçus pour cela. Ainsi, la cyborg-anthropologue Amber Case considère que l’une des prothèses hors-corps les plus importantes de ces 10 dernières années est le smartphone. (…) De leur côté, les montres connectées permettent déjà de lui envoyer des informations concernant l’état de notre santé. (…) Mêlant encore plus intimement la «chair et le métal», certains chercheurs ont commencé à incorporer ce genre d’appareillage électronique directement dans le cerveau (…) Ainsi, de nouveaux implants devraient être disponibles avant 2020 pour augmenter les capacités de stockage de l’information du cerveau (…) Les progrès sont tout aussi fulgurants en ce qui concerne les prothèses hors du corps. D’autant que la démocratisation des imprimantes 3D permet maintenant à tout un chacun de se fabriquer à moindre coût le membre qui viendrait à lui manquer.»(…)

«La recherche s’est emparée aussi des cellules souches qui promettent de recréer toutes sortes d’organes. Celles-ci, dites totipotentes, constituent les éléments précurseurs de toutes les cellules de l’organisme humain lorsqu’il est au stade embryonnaire. (…) L’espoir mis dans les cellules souches tient au fait que celles-ci possèdent la capacité de se reproduire et de réparer, ou de remplacer, d’autres tissus de l’organisme humain, du moins potentiellement. (…) Mais il y a aussi le dossier de la reproduction. «Il y a déjà 5 millions de Terriens issus d’une FIV dans le monde. (…) L’utérus artificiel serait aussi la porte ouverte de manière irréversible vers la création de corps définitivement post-humains. Toutes ces avancées biologiques promettent d’aller encore plus loin avec la possibilité de modifier le génome. Le premier génome humain a été séquencé en avril 2003 après des années d’efforts, et pour 2,7 milliards de $; dix ans plus tard, la même opération peut être conduite en quelques heures, et pour un coût inférieur à 1000 $» (3)

La singularité technologique: utopie ou réalité de demain?

La singularité technologique suppose que la technologie améliore la capacité d’élaborer une technologie plus avancée qui à son tour améliore etc. Le progrès doit suivre une loi exponentielle faisant que d’ici quelques dizaines d’années la nanotechnologie et les puissances de calculs seront telles qu’il sera possible de contrôler au niveau cellulaire la totalité d’un corps humain et de construire des ordinateurs conscients qui, à leur tour concevront des ordinateurs encore plus intelligents qui etc. La maladie, la vieillesse et la mort ne sont plus une fatalité. Les technologies peuvent nous aider à endiguer ou retarder ces «maux», de rester en bonne santé tout en augmentant nos capacités intellectuelles, physiques et émotionnelles. L’avenir de l’humanité va être radicalement transformé par la technologie. Nous envisageons la possibilité que l’être humain puisse subir des modifications telles que son rajeunissement, l’accroissement de son intelligence par des moyens biologiques ou artificiels, la capacité de moduler son propre état psychologique, l’abolition de la souffrance et l’exploration de l’univers ». (4)

Les androïdes, nos futurs compagnons

L’avenir sera de plus en plus robotisé et les robots feront partie de notre quotidien. Le combat homme-robot n’est pas loin Les robots aussi vont devenir plus intelligents, dit Hiroshi Ishiguro, un des grands spécialistes nippons de la robotique. Si nous avons assez de connaissances sur les hommes, alors nous pourrons créer plus de robots d’aspect humain»,. Et demain, des scientifiques nippons en sont persuadés, il y aura des humanoïdes serveurs dans des cafés, des androïdes de ménage ou hôtesses d’accueil. Mais, aux confins de la science et de la fiction, où s’arrêtent l’illusion et l’exploit technique, où commence l’anthropomorphisme? Mieux encore, le savant fait cette inquiétante prophétie: «Une fois que nous serons devenus amis, alors la frontière entre l’homme et le robot disparaîtra». Et c’est là que les problèmes moraux et/ou éthiques vont s’imposer à l’humain. « On hésitera à les débrancher», dit Ishiguro qui pousse la réflexion encore plus loin: «Imaginez que vous perdiez votre fille dans un accident de la route et que je créé un androïde à son image. Vous allez probablement l’aimer et l’accepter comme un être humain», prédit-il. » (5)

Que devient l’éthique et l’humanité telle que nous la connaissons?

Mais pourquoi cette course effrénée conclut l’auteur avec pour seul but de nous maintenir en vie et en bonne santé?

« Cependant, tout cela reste insuffisant pour certains qui envisagent de se passer totalement du corps, cet organisme biologique trop fragile. (…) Si cette perspective fait rêver ceux qui souhaitent s’affranchir de notre condition humaine imparfaite, limitée et mortelle, elle en inquiète d’autres… Peut-on concevoir une humanité élargie incluant les animaux et les machines? Quelle place restera-il à cet humain, ni animal ni machine, revendiquant sa complexité et son intériorité comme attribut de sa liberté? (…) Plus largement, quelles incidences sur la société cela pourrait-il avoir de vivre jusqu’à 500 ans, voire davantage? Et quelles conséquences pour la planète?

Autant de questions qui dérangent. Dans ce cadre, le jeudi 30 mars 2006 s’est tenu à l’Unesco un colloque ayant pour thème «L’espèce humaine peut-elle se domestiquer elle-même?». Le directeur général de l’Unesco, M.Matsuura, a posé la problématique de la condition humaine en termes d’enjeu scientifique, et d’enjeu éthique: «Pour la première fois de son histoire, l’humanité va donc devoir prendre des décisions politiques, de nature normative et législative, au sujet de notre espèce et de son avenir. Elle ne pourra le faire sans élaborer les principes d’une éthique qui doit devenir l’affaire de tous. Car les sciences et les techniques ne sont pas par elles-mêmes porteuses de solutions aux questions qu’elles suscitent.

Face aux dérives éventuelles d’une pseudoscience, nous devons réaffirmer le principe de dignité humaine. Il nous permet de poser l’exigence de non-instrumentalisation de l’être humain.» Sans garde-fous éthiques, voire religieux, nul doute que les apprentis sorciers risquent de précipiter l’humanité à sa perte (6).

Où s’arrête l’humain ?  Où commence le cyborg ? La question reste posée car en absence d’une  éthique et d’une définition claire de ce que c’est que l’humain, en absence d’une éthique de la vie à la  fois philosophique et /ou religieuse  le mythe prométhéen. ne peut être contenu sans justement  une éthique à toute épreuve. Il pourrait amener l’humanité à une dérive de tous les dangers.

Professeur Chems Eddine Chitour

Ecole Polytechnique enp-edu.dz

1.Katherine Pollard: Qu’est-ce qui nous rend humains? Pour la Science N°382 – août 2009

2.Richard Gildas   http://philo.pourtous. free.fr /Articles/Gildas/non_humain.htm

3. Jean Philippe Bocquenet 18/05/2014 http://post.sapiens.free.fr/?p=9462

4.Jean Philippe Bocquenet 27/12/2011 http://post.sapiens.free.fr/?p=175

5.http://tempsreel.nouvelobs.com/sciences/20140717.OBS4051/a-l-avenir-tout-le-monde-au-japon-aura-un-androide.html?cm_mmc=EMV-_-NO-_-20140720_ NLNOACTU17H-_-a-l-avenir-tout-le-monde-au-japon-aura-un-androide#xtor=EPR-3-[Actu17h]-20140720

6.http://www.lexpressiondz.com/chroniques/analyses_du_professeur_chitour/160668-la-destinee-humaine-a-l-epreuve-des-apprentis-sorciers.html

http://www.lexpressiondz.com/chroniques/analyses_du_professeur_chitour/199071-ou-s-arrete-l-humain-ou-commence-le-cyborg.html

 

 

 

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