Situation en Algérie. Le «Hirak» et l’élection présidentielle

« Le Hirak est bénéfique à l’Algérie ; donnons-nous la chance d’avoir un pays dirigé par des Algériens, avec un agenda algérien ». Ce sont là les propos tenus par l’universitaire- chercheur Ahmed Bensaada, ce dimanche matin 1er décembre 2019, dans l’émission Invité de la rédaction de la radio chaîne 3.
Depuis l’apparition du mouvement du 22 février, plus connu sous le vocable de « Hirak », je n’ai pas cessé d’écouter, de lire et de discuter des points de vue des uns et des autres, pour essayer de mieux comprendre ce que nous a légué le président déchu, Abdelaziz Bouteflika : une bombe à retardement qui, grâce notamment à la corruption généralisée, aux passe-droits, aux manœuvres, à la bataille entre les clans (classes sociales) pour maintenir le pouvoir, pour les uns, ou pour récupérer/ arracher le pouvoir, pour les autres, ainsi qu’aux allégeances passées et présentes, risquerait de nous plonger dans une nouvelle longue nuit : la nuit néocoloniale, la nuit des nouveaux seigneurs grassement enrichis sur le dos de l’Etat algérien et de ses richesses.
Aujourd’hui, j’ai encore suivi attentivement la prestation de M. Bensaada sur les ondes de la radio ; j’ai apprécié et compris la mise au point (précision) qu’il a faite, à propos de son statut de « scientifique » qui a étudié le phénomène de la « printanisation » dans le monde arabe et qui partage les résultats de ses travaux, qui « ne fait pas de la politique » en disant certaines vérités pouvant fâcher (par exemple le financement de certaines organisations algériennes telles que RAJ ou la LADDH par des organismes américains ayant des intentions malsaines vis-à-vis de l’Algérie, SANS analyser MALHEUREUSEMENT les raisons de l’acceptation de l’argent par ces associations/organisations nationales), et qui n’a « jamais été contre le Hirak ». Bien au contraire, M. Bensaada, l’auteur de nombreux ouvrages dont « Arabesques. Enquête sur le rôle des Etats-Unis dans les révoltes arabes » (éditions ANEP, Alger 2016), estime que « Le Hirak est bénéfique à l’Algérie » pour permettre au pays de recouvrer véritablement sa souveraineté nationale.
Mais, M. Bensaada – comme tant d’autres que j’ai écoutés- m’a laissée sur ma faim, parce qu’il n’a pas (vraiment) abordé tous les côtés qui continuent, après plusieurs mois, à révolter le gros de la population (et là, je parle bien de tous ces Algériens et Algériennes attachées à leur pays, qui n’ont pas un fil à la patte et qui aspirent à une ère différente de la précédente, qui aspirent à une vie décente, digne et juste pour toutes et tous, des Algériens et Algériennes qui aspirent à une vie différente de celle des secrets pour « raisons d’Etat » alors qu’ils sont souvent connus à l’étranger, des manipulations et des menaces à peine voilées, de l’humiliation et des divisions), de ce qui s’en est suivi après la grande colère suscitée par l’annonce d’un 5ème mandat pour Bouteflika, et après le soulèvement populaire du 22 février dernier.
Réfléchissons. QUEL EST L’ETAT DES LIEUX ?
Nous sommes face :
-à un gouvernement anticonstitutionnel (une situation des plus précaires et dangereuse pour l’Algérie, Etat et nation, si elle venait à s’éterniser) qui, au lieu de se charger des « affaires courantes » dans la période précédant la tenue d’élections, s’entête à prendre des décisions qui engagent l’Algérie dans les années à venir ;
-à un personnel qui a applaudi et/ou cautionné par son silence la politique de Bouteflika, qui a cautionné son 4ème mandat et qui était sur le point de cautionner également le 5ème mandat… Un personnel qui se retrouve à la tête de l’Etat et de ses institutions (institution judiciaire comprise), pour gérer la période actuelle et pour organiser l’élection présidentielle, fixée au 12 décembre prochain ;
-à l’absence regrettable d’une véritable médiation, fort essentielle en période de conflits et de troubles, devant être composée de personnalités crédibles qui n’ont pas (ou qui n’ont pas eu) de liens d’allégeance au pouvoir algérien ;
-à la présence de candidats à la présidentielle ayant déjà occupé des postes de Premiers ministres et de ministres, qui ont donc cautionné des politiques passées du système politique, dont celles conduites notamment par Bouteflika ;
-à l’absence de mesures d’apaisement, pourtant promises, en procédant à l’emprisonnement des jeunes manifestants des 2 sexes, à l’emprisonnement de chefs de partis politiques qui pouvaient ou qui allaient présenter leur candidature à la présidentielle (dont je ne suis pas nécessairement une fan), et aussi la détention pour port du drapeau amazigh et ce, SANS FAIRE l’effort d’une communication claire et rassembleuse autour de notre appartenance au monde amazigh, mais également autour de la défense du drapeau algérien, pour lequel nos aïeux, nos parents, nos frères et sœurs ont payé le prix fort. Le drapeau vert, blanc et rouge est à la fois : la preuve irréfutable de notre combat libérateur contre la soumission et la dépendance étrangère et de notre appartenance à la nation ALGERIENNE ;
-et au verrouillage médiatique et à l’arrestation de journalistes qui revendiquent une information juste et crédible.
DEVANT CETTE SITUATION, QUELS SONT LES SCENARIOS QUI POURRAIENT SE POSER A SEULEMENT PLUS D’UNE SEMAINE DE LA DATE DE L’ELECTION PRESIDENTIELLE ?
Dans ces conditions, les Algériens et Algériennes sont face à leur propre conscience et aux choix qu’ils doivent prendre… rapidement, c’est-à-dire :
-Participer à « leur » élection et voir émerger un nouveau président de la République qui va travailler à la pérennisation du système politique (et de sa logique antidémocratique et prédatrice) et qui va peut-être maintenir ou approfondir davantage le cap libéral de l’économie algérienne ;
-Barrer la route à cette élection par tous les moyens, y compris par LES MOYENS VIOLENTS, et laisser place à L’AVEUGLEMENT et à la VENGEANCE, au risque de contribuer à l’effondrement de l’Algérie du pays et de la société, et de réveiller les vieux démons des CLIVAGES et de la DIVISION : FRACTURE (et haine) entre les Algériens (nes) « pro-élection » présidentielle et ceux qui s’y opposent.
A CE PROPOS, il est plus que nécessaire de clarifier la chose suivante : contrairement aux déclarations de certains HAUTS RESPONSABLES algériens et aux informations diffusées par des médias lourds, publics et privés, ceux que l’on désigne comme des opposants à l’élection présidentielle sont dans leur majorité des personnes qui ne se sont jamais opposé à la tenue d’une telle élection : ils sont juste contre un scrutin organisé de cette façon « déloyale ».
-Boycotter l’élection du 12 décembre et laisser faire, en abandonnant le « Hirak » et en assistant à un plus grand affaiblissement de l’Etat (illégitimité de ses hommes) et à la disparition du « peu » qui reste de l’Etat national, à la grande satisfaction, d’abord, des serviteurs nationaux prêts à s’échiner devant les puissances régionales et occidentales.
-Agir en CITOYEN (E) conscient (e) des enjeux géopolitiques et de recomposition à l’échelle mondiale et régionale, mais aussi des batailles qui sont menées (autour du pouvoir et sur les questions de souveraineté nationale) sur la scène algérienne, en ALLANT VOTER ou en S’ABSTENANT DE VOTER, en entretenant la pression du mouvement populaire, après le 12 décembre, sur le nouveau président et en veillant à imprimer à l’Etat la direction à prendre, une direction juste, sûre et favorable aux Algériens (nes) ayant voté ou non : celle de la défense des intérêts supérieurs du pays (il n’est pas à exclure que dans le cas d’un faible score aux élections, d’importantes pressions extérieures seraient exercées sur les dirigeants algériens… le « Hirak » doit être prêt pour défendre l’ETAT algérien) et des intérêts des citoyens (nes), à commencer par les catégories les plus défavorisées.
ON NE PERD JAMAIS UNE BATAILLE, comme disait Nelson Mandela. Oui et il ne faut pas oublier que la lutte, la vraie, est un travail de grande haleine.
Le « Hirak » nous offre une occasion inespérée de franchir le seuil supérieur, AU-DESSUS des considérations subjectives, régionales, politiques ou religieuses, de nous démarquer des éventuels provocateurs ou semeurs de haine, de rester toujours unis (autour de notre « Algérianité » payée avec le sang de nos martyrs, passés et présents) malgré nos divergences d’opinion et de culte.
Cela, pour l’Algérie de demain, pour notre jeunesse, pour apprendre enfin le « vivre-ensemble ».
Hafida Ameyar, journaliste
Alger, le 1er décembre 2019