Skripal, le retour : le mystère s’épaissit

Le moment où « Boshirov et Petrov » auraient été présents à Salisbury pour commettre l’attentat se situe entièrement dans les limites de la période de quelques heures où, selon toutes les sources officielles, les Skripal avaient quitté leur domicile avec leur téléphone portable éteint.

Une lacune importante dans le récit du gouvernement britannique sur les empoisonnements de Salisbury a été comblée : l’absence de suspects. Et elle a été comblée d’une manière apparemment convaincante – ces deux hommes semblent avoir voyagé à Salisbury au bon moment pour être impliqués dans la tentative d’assassinat.

Mais ce qui n’a pas été établi, c’est l’identité des hommes, le fait que ce soient des agents de l’État russe, ou simplement ce qu’ils ont fait à Salisbury. S’il s’agit d’agents russes, ce sont des assassins remarquablement incompétents. Parallèlement, les nouveaux indices communiqués par les médias jettent dans la confusion dans la succession des événements précédemment établie – et démolissent les théories avancées par les « experts » sur les raisons pour lesquelles la dose de « Novichok » n’a pas été fatale.

Ce reportage de la BBC donne un résumé très utile de la chronologie des événements.

Le dimanche 4 mars à 9h15, la voiture des Skripal a été prise par la vidéosurveillance à trois reprises à des endroits différents de Salisbury. Les deux Skripal avaient éteint leurs téléphones portables et les avaient laissé éteints pendant plus de quatre heures, ce qui a empêché leur géolocalisation.

Aucune vidéo de surveillance n’indique que les Skripal soient rentrés chez eux après leur sortie matinale de leur demeure. On a donc supposé depuis le début qu’ils avaient touché la poignée de porte pour la dernière fois vers 9 heures du matin.

CCTV4 = image des deux suspects à la gare de Salisbury à 11h48 le 4 mars 2018 (Source: Police métropolitaine)

Mais la police métropolitaine déclare que Boshirov et Petrov ne sont arrivés à Salisbury qu’à 11h48, le jour de l’empoisonnement. Cela signifie qu’ils n’auraient pas pu appliquer un agent neurotoxique sur la poignée de porte des Skripals avant midi au plus tôt. Or, rien n’indique que les Skripals soient rentrés chez eux au cours de l’après midi du dimanche 4 mars. S’ils l’ont fait, ils et/ou leur voiture ont évité d’une manière ou d’une autre toutes les caméras de vidéosurveillance. Rappelons-nous qu’ils ont été filmés par trois caméras de vidéosurveillance à leur départ, et Boshirov et Petrov ont été filmés par plusieurs caméras de vidéosurveillance, dès leur arrivée à Salisbury.

Les Skripal ont ensuite été filmés par la vidéosurveillance à 13h30, en voiture sur Devizes Road, [qui mène au centre-ville, NdT]. Ensuite, leurs déplacements ont été à peu-près documentés ou reconstitués jusqu’à leur admission à l’hôpital.

Donc, même si les Skripal sont rentrés de façon « invisible » avant d’être filmés sur Devizes Road, cela signifie qu’ils auraient pu toucher la poignée de porte au plus tard à 13h15. Entre le moment où le « novichok » aurait été placé sur la poignée de porte et celui où les Skripal l’auraient touchée, l’écart aurait été au plus d’une heure et 15 minutes. Souvenons-nous de tous ces « experts » qui ont bondi pour nous expliquer doctement que l’agent neurotoxique « dix fois plus mortel que le VX » n’avait pas été mortel cette fois-là parce qu’il s’était dégradé pendant la nuit sur la poignée de porte ? Eh bien, cela ne peut pas être vrai. Le temps entre l’application et le contact était compris entre une minute et (au plus) un peu plus d’une heure, d’après les nouveaux éléments [en admettant que les Skripal soient bien rentrés chez eux avant d’emprunter la route vers le centre-ville où ils ont été filmés, NdT].

En général, il convient d’observer que les Skripal, et les pauvres Dawn Sturgess et Charlie Rowley, ont tous réussi à se rendre presque totalement invisibles aux caméras de surveillance dans leurs allers-retours dans et autour de Salisbury aux moments clés, alors que « Petrov et Boshirov » ont été filmés en haute définition à de nombreuses reprises au cours de leur brève visite.

C’est particulièrement remarquable dans le cas de la localisation des Skripal vers midi le 4 mars. Le gouvernement est obligé d’affirmer qu’ils sont rentrés chez eux à ce moment-là, car ils insistent sur le fait qu’ils se seraient empoisonnés avec la poignée de porte. Mais pourquoi leur voiture a-t-elle été filmée quittant les lieux, mais pas lors d’un supposé retour ? Il semble beaucoup plus probable qu’ils soient entrés en contact avec l’agent neurotoxique ailleurs, pendant leur balade.

« Boshirov et Petrov » sont clairement intéressants dans cette affaire. Mais seule Theresa May a déclaré qu’il s’agissait d’agents russes : la police ne l’a pas fait et a déclaré ne pas penser que leurs identités soient véritables. Nous ne savons pas qui sont Boshirov et Petrov. Il semble très probable que leur arrivée à Salisbury, ce jour-là, ait été liée aux Skripal. Mais ils les ont peut-être rencontrés à l’extérieur de la maison. Les indices pointent dans cette direction plutôt que sur des poignées de porte. Une réunion comme celle-là pourrait expliquer pourquoi les Skripals avaient éteint leurs téléphones portables – pour tenter d’échapper à toute surveillance.

Il faut également noter que la police n’a porté aucune accusation contre eux dans le cas de Dawn Sturgess, alors que ce serait au minimum un homicide involontaire, du moins si la version gouvernementale est vraie.

Si « Boshirov et Petrov » sont des agents secrets, leur incompétence est stupéfiante. Ils ont utilisé les transports publics plutôt qu’un véhicule de location et ont laissé l’empreinte la plus claire possible sur les caméras de vidéosurveillance. Ils ont échoué dans leur tentative d’assassinat. Ils ont laissé des traces de novichok partout et auraient facilement pu s’empoisonner tous seuls, et ils ont abandonné « l’arme du crime » derrière eux, ce qui allait forcément la faire découvrir. Leurs horaires à Salisbury étaient extrêmement serrés – et dépendaient du service ferroviaire britannique dominical.

Il y a d’autres possibilités d’identité pour « Boshirov et Petrov » que la Russie, par exemple de façon évidente, l’Ukraine. Une chose que j’ai découverte lorsque j’étais ambassadeur britannique en Ouzbékistan était qu’un important groupe de scientifiques ukrainiens ethniques travaillait dans le centre soviétique d’essais d’armes chimiques de Noukous. Et il y a encore beaucoup d’autres possibilités.

Les éléments d’hier sont certainement à verser au dossier de l’affaire Skripal. Mais ils soulèvent autant de nouvelles questions qu’ils n’apportent de réponses.

Craig Murray

Article original en anglais:
Paru sur le blog de l’auteur sous le titre Skripals – The Mystery Deepens 

Traduction : Entelekheia

Photo : Basil Rathbone dans le rôle de Sherlock Holmes

 

Craig Murray est historien et militant des droits de l’homme. Il a été ambassadeur du Royaume-Uni en Ouzbékistan.



Articles Par : Craig Murray

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