Sombres magouilles et orage à l’horizon pour la maison des Saoud

Abruptement, la matrice idéologique de toutes les formes de djihadisme salafiste a été saluée par l’Occident en tant que modèle de progressisme – parce que les femmes saoudiennes seront enfin autorisées à conduire. Seulement l’année prochaine. Et seulement quelques femmes. Et avec encore beaucoup de restrictions.

Ce qui est certain, c’est que le moment de l’annonce – qui arrive après des années de pressions libérales des USA – a été calculé avec précision, intervenant seulement quelques jours avant la visite du roi mafieux Saoud à la Maison-Blanche de Trump. Cette action de pure communication a été coordonnée par le prince Mohammed ben Salmane Al Saoud, 32 ans, alias MBS, le destructeur du Yémen. Le roi n’a fait qu’apposer sa signature.

Cette tactique de diversion masque de sérieux problèmes à la cour. Une source du monde du business dotée d’une connaissance intime de la maison des Saoud après avoir assisté à bon nombre de réunions personnelles avec ses membres, a dit à Asia Times que « les familles Fahd, Nayef et Abdullah, descendants du roi Abdelaziz ben Abderrahmane Al Saoud, dit Ibn Séoud, et de sa femme Hassa bint Ahmed Al Soudayri, sont en train de former une alliance contre l’accession au trône de MBS. »

Rien d’étonnant à tout cela, étant donné que le prince héritier destitué Mohammed ben Nayef Al Saoud – très estimé à Washington, tout particulièrement par Langley (NdT : « Langley » est une autre façon de dire CIA) – est assigné à résidence. Son réseau massif d’agents installés au Ministère de l’intérieur a été « relevé de ses fonctions ». Le nouveau ministre de l’intérieur, Abdulaziz ben Saoud ben Nayef, 34 ans, est l’aîné des fils du gouverneur de la province de l’est du pays, une région majoritairement chiite qui concentre tout le pétrole. Étrangement, le père rend aujourd’hui compte au fils. MBS est entouré de princes inexpérimentés dans la trentaine, et se fait des ennemis d’à peu près tous les autres.

L’ancien roi Abdelaziz avait prévu une succession au trône fondée sur l’aînesse ; en théorie, s’ils vivaient tous le même nombre d’années, chacun des héritiers aurait son tour sur le trône, évitant ainsi les bains de sang fratricides typiques des successions des clans arabes.

Aujourd’hui, selon la source, « un bain de sang est, paraît-il, imminent. » Notamment parce que la CIA est outrée par l’abrogation du compromis trouvé en avril 2014, alors que le plus grand facteur antiterroriste du Moyen-Orient, Mohammed ben Nayef, a été arrêté. » Cela peut entraîner « une action vigoureuse contre MBS, possiblement au début d’octobre. » Et cela pourrait également coïncider avec la réunion Salman-Trump.

Daech joue le jeu selon les règles (saoudiennes)

La source du monde du business de Golfe d’Asia Times souligne que « l’économie saoudienne est sous une pression extrême à cause de leur guerre du prix du pétrole avec la Russie, et ils sont en tard dans leurs paiements à quasiment tous leurs sous-traitants. Cela pourrait mener à la banqueroute de plusieurs des principales entreprises saoudiennes. Dans l’Arabie saoudite de MBS, le prince héritier achète un yacht de 600 millions de dollars et son père dépense 100 millions dans des vacances d’été qui font la couverture du New York Times, pendant que le royaume souffre sous leur tutelle. »

Le projet-fétiche de MBS, la sur-médiatisée Vision 2030, a théoriquement pour but de diversifier l’économie saoudienne de sa dépendance au seuls profits du pétrole à quelque chose de plus moderne (et à une politique étrangère plus indépendante). C’est complètement erroné, selon la source, parce que « le problème de l’Arabie Saoudite est que les compagnies du pays ne peuvent pas fonctionner avec des employés locaux et dépendent d’expatriés, qui représentent quelque chose comme 70% de leurs équipes. Donc, vendre 5% d’Aramco pour diversifier ne résoudra pas le problème. S’il veut une société plus productive, et moins de subventions et d’emplois gouvernementaux fictifs ou inutiles, il doit d’abord éduquer et employer sa population. »

La tout aussi applaudie introduction en bourse d’Aramco, originellement prévue pour l’année prochaine et probablement la plus importante vente d’actions de toute l’histoire, a encore été reportée – « possiblement » pour la seconde moitié de 2009, selon des officiels de Riyad. Et personne ne sait où les actions seront vendues ; le New York Stock Exchange est loin d’être assuré.

En parallèle, la guerre de MBS contre le Yémen, et le soutien saoudien au changement de régime en Syrie et à la recomposition du Grand Moyen-Orient ont viré à de spectaculaires désastres. L’Égypte et le Pakistan ont refusé d’envoyer des troupes au Yémen, où des bombardements saoudiens incessants – avec des armes américaines, britanniques et françaises – ont accéléré la malnutrition, la famine et le choléra, et ont créé une crise humanitaire de masse.

Le projet de l’État islamique avait été conçu comme l’outil parfait pour forcer l’Irak à imploser. Il est aujourd’hui du domaine public que les fonds de l’organisation provenaient principalement d’Arabie Saoudite. Même l’ex-imam de la Mecque, Adel Al kalbani, a publiquement admis que les leaders de Daech « tirent leurs idées de ce qui est écrit dans nos livres, de nos propres principes. »

Ce qui nous amène à la contradiction saoudienne ultime. Le djihadisme salafiste est en pleine forme dans le royaume, alors même que MBS tente de faire croire à un tournant libéral (l’opération de com’ sur les femmes au volant). Le problème est que congénitalement, Riyad ne peut pas se libéraliser ; la légitimité de la Maison des Saoud tient uniquement à ces « livres » religieux et à ces « principes ».

En Syrie, mis à part le fait que la très vaste majorité de la population ne veut pas vivre dans un Takfiristan, l’Arabie Saoudite soutenait Daech alors que le Qatar soutenait Al-Qaïda (le Front Al-Nosra). Cela a fini en tir croisé, avec tous ces « rebelles modérés » inexistants soutenus par les USA réduits à des dommages collatéraux.

Et ensuite, nous avons le blocus économique contre le Qatar – un autre idée brillante de MBS. Cela n’a servi qu’à améliorer les relations de Doha avec Ankara et Téhéran. L’émir qatari Tamim ben Hamad Al Thani n’a pas été renversé, que Trump ait réellement dissuadé Riyad et Abou Dhabi de mettre en œuvre des « options militaires » ou non. Il n’y a pas eu d’asphyxie économique : Total, par exemple, est sur le point d’investir 2 milliards de dollars pour développer la production de gaz naturel qatari. Et le Qatar, via son fonds souverain, a contre-attaqué avec le coup de com’ ultime – il a acheté l’icône mondiale du foot Neymar pour le PSG. Le blocus a sombré sans laisser de traces.

« Ils volent leur propre population »

Dans Enemy of the State, le dernier polar de Kyle Mills, le président Alexander, à la Maison-Blanche, s’exclame, « Le Moyen-Orient est en train d’imploser parce que ces fils de pute saoudiens colportent leur fondamentalisme religieux pour cacher le fait qu’ils volent leur propre population. » C’est une bonne appréciation.

Aucune dissension n’est autorisée en Arabie Saoudite. Même l’analyste en économie Isam Az-Zamil, bien qu’il soit très proche du trône, a été arrêté au cours de la campagne de répression actuelle. Ce qui signifie que l’opposition à MBS ne vient pas seulement de la famille royale ou de quelques clercs de haut rang – bien que selon la version officielle, seuls sont ciblés ceux qui soutiennent le « terrorisme » des Frères musulmans, de la Turquie, de l’Iran et du Qatar.

En ce qui concerne les desiderata de Washington, la CIA n’aime pas MBS, c’est le moins qu’on puisse dire. Ils veulent le retour de leur homme Nayef. Et pour l’administration Trump, la rumeur veut qu’elle soit « prête à tout pour l’argent saoudien, notamment pour des investissements pour des infrastructures dans la Rust Belt. »

La comparaison entre ce que Trump soutirera à Salman et ce que Poutine arrivera à en tirer sera très éclairante : le roi souffreteux sera en visite à Moscou à la fin d’octobre. Rosfnet souhaite acheter des parts d’Aramco quand l’introduction en bourse aura lieu. Riyad et Moscou envisagent un accord d’extension de l’OPEC et une plateforme de coopération OPEC-non-OPEC qui incorporerait le Forum des pays exportateurs de gaz (FPEG).

Riyad a compris la nouvelle donne : La montée du capital stratégique/politique de Moscou sur de nombreux fronts, de l’Iran, de la Syrie et du Qatar à la Turquie et au Yémen. Cela ne fait pas plaisir à l’État profond américain. Même si Trump passe quelques accords pour sa Rust Belt, une question demeure : est-ce que la CIA peut s’accommoder de MBS sur le trône saoudien ?

Pepe Escobar
Paru sur Asia Times sous le titre Wheels and deals: trouble brewing in the House of Saud, le 29. septembre 2017

Traduction Entelekheia
Photo Pixabay



Articles Par : Pepe Escobar

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