Soros et les poids lourds des médias s’en prennent à l’influence du lobby pro-israélien sur la politique américaine

La controverse qui mijotait depuis quelque temps autour de la politique américaine vis-à-vis d’Israël et du rôle joué par la communauté juive dans la définition de ladite politique a explosé avec la force d’une bombe nucléaire, cette semaine.

Plusieurs des commentateurs de la politique étrangère américaine les plus connus ont tiré des salves contre les lobbyistes pro-israéliens, et les défenseurs d’Israël ont répliqué avec une furie encore jamais vue.

En trois jours, des critiques impitoyables du lobbying juif ont été publié par le milliardaire controversé George Soros, l’éditorialiste lauréat du prix Pulitzer Nicholas Kristof, le vénérable hebdo britannique de l’économie The Economist et un site ouèbe très populaire : Salon.

Les répliques furent furieuses. Le New York Sun a accusé Kristof et Soros de diffuser une « énième diffamation sanglante ». Le directeur de l’American Jewish Committee, David Harris, a écrit dans une tribune d’opinion du Jerusalem Post que Kristof souffre de « cécité partielle » et qu’il a « fait la leçon à Israël d’une manière scandaleusement autoritaire ».

Le rédacteur en chef de The New Republic, Martin Peretz, a renouvelé ses attaques contre Soros, qu’il avait entamées depuis un mois déjà, en qualifiant ce survivant de l’Holocauste d’origine hongroise de « dent dans la roue d’engrenage hitlérienne ».

Le tollé autour de la décision politique concernant le Moyen-Orient avait été déclenché en partie par la conférence annuelle, tenue à Washington la semaine dernière, de la centrale énergétique du lobbying pro-israélien, l’American Israel Public Affairs Committee [Aipac]. Cet événement très médiatisé avait eu le don de mettre l’influence pro-israélienne sous les projecteurs.

Une parade d’hommes politiques, notamment de candidats à la présidence des Etats-Unis, étaient venu y assister, déclarant leur soutien indéfectible à Israël, tandis que le lobby lui-même réaffirmait son agenda inflexible, incluant la coupure de tous liens avec le nouveau gouvernement palestinien [d’union nationale, ndt] par les Etats-Unis.

En même temps, les dernières attaques et contre-attaques représentaient également une continuation – et une escalade – d’un débat en cours à Washington autour du rôle supposé du lobby pro-israélien dans la détermination de la politique américaine au Moyen-Orient, qui fait l’objet d’un débat de plus en plus vif.

Ces attaques atteignirent un apex de venimosité, l’an dernier, avec la publication d’un document controversé par deux spécialistes majeurs des sciences politiques, Stephen Walt, de l’Université d’Harvard, et John Mearseheimer de l’Université de Chicago, qui accusèrent un « lobby israélien » puissant et envahissant d’avoir poussé les Etats-Unis dans le conflit en Irak.

Parmi le dernier groupe des détracteurs [dudit Lobby], Soros, le milliardaire philanthrope et trader de devise, fut le plus dur. Dans un article de la New York Review of Books, publié lundi dernier, il avance que les Etats-Unis rendent à Israël un très mauvais service en l’autorisant à boycotter le gouvernement palestinien Hamas-Fatah d’union nationale et de rejeter l’initiative de paix saoudienne. Or, a-t-il écrit, on n’assiste à aucun débat sensé sur ce type de politique.

« Alors que d’autres régions à problèmes du Moyen-Orient sont discutées ad libitum, la critique de notre politique vis-à-vis d’Israël est, de fait, totalement occultée », a ainsi écrit Soros, ajoutant que les activistes pro-israéliens ont été « remarquablement efficace à étouffer dans l’œuf toute critique ».

Soros a pointé un doigt accusateur contre l’Aipac, source clé du problème, accusant ce lobby de promouvoir un programme faucon sur les questions israélo-palestiniennes. « L’Aipac, sous sa direction actuelle, a manifestement outrepassé sa mission. Loin de garantir l’existence d’Israël, il l’a mise en danger », a-t-il écrit.

L’article de Soros est remarquable notamment en ceci qu’il brise sa pratique de longue date consistant à éviter de s’identifier publiquement avec les causes juives. Alors qu’il a distribué des centaines de millions de dollars, au cours de la décennie écoulée, à des fins de démocratisation de l’ex-bloc communiste, il n’a pratiquement rien donné aux causes juives.

Dans son article de la semaine passée, toutefois, il a déclaré – apparemment, pour la première fois – qu’il a « beaucoup de sympathie pour ses coreligionnaires juives » et qu’il est « profondément soucieux de la survie d’Israël ».

Il a précisé que tout en ayant désapprouvé la politique israélienne par le passé, il ne s’était pas manifesté car il « ne voulait pas apporter d’eau au moulin des ennemis d’Israël ». Toutefois, a-t-il dit, la gestion calamiteuse des événements récents, tant par Washington que par Jérusalem, exigeait un débat réellement public, lequel, a-t-il estimé, est étouffé par des associations (de lobbying) telle l’Aipac.

Il a aussi volé au secours de ses amis juifs libéraux, critiquant un essai sur « La Pensée juive de gauche », écrit par l’historien Alvin Rosenfeld, de l’Université de l’Indiana et publié par l’American Jewish Committee, en raison de ses attaques contre les détracteurs d’Israël.

Soros écrit notamment qu’il n’est pas « suffisamment engagé dans les affaires juives pour être impliqué dans la (nécessaire) réforme de l’Aipac », et il a exhorté la communauté juive américain à « reprendre le contrôle d’une organisation qui se targue de la représenter. »

Un porte-parole de l’Aipac a fait savoir que l’organisation ne ferait aucun commentaire sur les observations de Soros.

Un argument se faisant l’écho de celui de Soros a été affiché, le lendemain, sur le site ouèbe populaire Salon, sous la forme d’un article : « Les juifs américains sont-ils susceptibles de débrancher le lobby israélien ? ».

Son auteur, Gary Kamiya, y exhorte les juifs américains à « se lever », à dire « pas en notre nom ! » et à contester l’idée que les opinions exprimées par l’Aipac seraient représenteraient celles de la communauté juive dans son ensemble.

Moins ciblée, mais bien plus largement diffusée, est la critique du processus de décision politique publiée dimanche dernier par l’éditorialiste d’opinion Nicholas Kristof dans le New York Times.

Ce journaliste bardé de décorations, célèbre pour sa couverture déterminée du génocide au Darfour, y avance que les hommes politiques américains se « sont eux-mêmes muselés » dès lors qu’il s’agit d’Israël et qu’il n’y a « aucun débat politique sérieux, ni chez les démocrates, ni chez les républicains, au sujet de notre politique envers les Israéliens et les Palestiniens. »

Tant Kristof que Soros ont comparé la discussion politique de l’Amérique au sujet du Moyen-Orient en des termes très défavorables, en comparaison avec le débat extrêmement vif, en Israël, autour de la politique gouvernementale. Les deux auteurs ont affirmé qu’alors que les Israéliens se sentent les coudées franches pour critiquer leur gouvernement et remettre en question sa politique, les hommes politiques américains sont effrayés à la seule idée de l’aborder.

The Economist, cet hebdomadaire britannique internationalement respecté, a résumé, vendredi dernier, dans un article prémonitoire, le « changement de climat » auquel est confronté le lobby pro-israélien. Il a mentionné les défis lancés à l’Aipac par les Américains d’origine arabe, les juifs de gauche certains experts ès politique étrangère préoccupés par le prestige des Etats-Unis dans le monde arabe.

« L’Amérique a besoin d’un débat ouvert autour de son rôle au Moyen-Orient, et l’Aipac doit adopter une position positive dans ce débat, s’il veut rester une force aussi puissante qu’actuellement dans le monde politique américain », conclut l’article.

Cette explosion de critiques contre le lobby israélien et son rôle dans la détermination de la politique américaine vis-à-vis d’Israël a été immédiatement contrée par des articles allant dans le sens opposé de la part de partisans de l’Aipac et de la politique pro-israélienne (actuelle) des Etats-Unis.

Un édito du New York Sun, publié lundi dernier, fut la plus dure de toutes ces ripostes. Il compare les critiques formulées par Soros et Kristof à ce qu’il est convenu d’appeler les « diffamations sanglantes » lancées contre des juifs, dans l’Europe médiévale.
 
« Le fait est qu’ils écrivent juste en un temps où une guerre contre les juifs est en cours », écrit ainsi The Sun. « C’est une guerre dans laquelle le peuple américain s’est tenu aux côtés d’Israël, depuis trois générations… La raison en est que les Américains sont assez intelligents pour comprendre quel camp, dans la guerre contre les juifs, partage nos valeurs – et pour faire le tri entre la vérité et les diffamations. »

Mais le détracteur le plus acharné de Soros est sans conteste le rédacteur en chef de New Republic, qui a publié seulement une brève réaction à l’article de Soros sur son blog perso, promettant de développer sa pensée à son retour d’un déplacement à l’étranger.

Peretz avait attaqué Soros, en février, pour avoir dit que les Etats-Unis auraient besoin d’une « bonne dénazification » après le départ du président George Deubeuliou Bush, Peretz accusant Soros lui-même d’avoir collaboré avec les nazis, alors qu’il n’avait pas encore vingt ans, en Hongrie.

Soros avait répondu, dans le même magazine, que cette accusation était totalement fausse, et Peretz avait quelque peu reculé. Mais c’est fini, maintenant : il s’est juré de revenir à la charge tous flingues dehors, à son retour de voyage outre-Atlantique.

« Etant donné qu’il s’est lui-même arraché la croûte de son propre bobo, cette fois-ci, je ne serais pas aussi gentil », a ainsi averti Peretz.

David Harris, directeur de l’American Jewish Committee s’est lui aussi mêlé au débat, dans une tribune d’opinion publiée dans le Jerusalem Post. Harris a rendu hommage au talent largement célébré de Kristof en tant que grand reporter, mais en faisant la réserve qu’il aurait « une macula aveugle » en ce qui concerne Israël, ajoutant qu’ »Israël n’a pas besoin des leçons de journalistes bien intentionnés, en ce qui concerne le besoin d’une paix. Ce dont Israël a besoin, en revanche, c’est de partenaires de paix qui le soient, eux, bien intentionnés ! »

Le round actuel de la controverse sur le lobby pro-israélien est d’ores et déjà en train de déborder dans le système politique. Le candidat à la présidence Barack Obama, considéré jusqu’ici comme soutenu financièrement par Soros, a pris ses distances du milliardaire, à la suite de son article attaquant l’Aipac.

« Sur cette question, Soros et le sénateur Obama ne sont pas d’accord », a indiqué une déclaration émanant mardi dernier du staff de campagne d’Obama. Il est désormais peu clair de savoir dans quelle mesure les candidats démocrates qui y étaient prêts vont accepter des contributions financières de Soros à leur campagne, bien que celui-ci soit un des plus généreux sponsors des groupes de relations publiques favorables au parti démocrate.

Tandis que ce débat est en passe d’atteindre le degré d’ébullition dans la sphère publique, le travail, sur le terrain, en vue de créer un nouveau réseau de lobbying, cette fois-ci d’organisations et de personnalités juives pacifistes semble considérablement ralenti.

L’initiative avait été initialement baptisée par des articles de presse du nom de « Lobby Soros », le financier ayant assisté à une réunion exploratoire [à cet effet], à l’automne dernier, à New York. Depuis cette réunion, toutefois, Soros n’avait pas manifesté d’intérêt ultérieur pour cette action, ont fait savoir ses organisateurs.

« Il s’est joint à nous une seule fois, et puis ce fut terminé… » a dit Jeremy Ben-Ami, un des principaux protagonistes de cette initiative. Ben-Ami a souligné le fait que Soros n’avait pas encore promis une quelconque aide financière au nouveau groupe de relations publiques et que l’initiative avait encore besoin de donateurs. Beaucoup, dans cette association en formation, la désignent désormais, en plaisantant : « Le lobby sans Soros »…

Article original en anglais: Forward

Traduction: Marcel Charbonnier



Articles Par : Nathan Guttman

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