En faisant du dollar non plus une monnaie forte, mais un instrument de combat géopolitique en raison de la position dominante de cette monnaie dans les échanges internationaux, les Etat-Unis sont en train de scier la branche de leur hégémonie. Déjà de nombreux pays remettent en cause l’utilisation du dollar dans leurs échanges, la Russie entame elle aussi la dé-dollarisation de son économie, afin de restaurer sa souveraineté monétaire dans ces temps de tornades géopolitiques.
La question de la dé-dollarisation de l’économie n’est pas nouvelle, mais elle s’accélère ces dernières années avec l’intensification des pressions politiques américaines sur les pays dépendants de cette monnaie. En 2006 déjà, le
Brésil et l’Argentine avaient décidé de poser les bases de leur souveraineté monétaire, de renoncer au dollar dans leurs échanges intérieurs au profit du peso argentin. Il est vrai que depuis ces pays ont été touchés par des
mouvements populaires qui ont entraîné des changements significatifs de ligne politique. Ces dernières années, la vague de dé-dollarisation a touché des pays pauvres et politiquement instables comme Haïti ou le Congo, mais aussi le Pakistan, l’Iran, la Chine etc.
L’Afrique, suite à l’implantation grandissante de la Chine, remplace le dollar par le
yuan. Le sommet de
l’Organisation de coopération de Shangai de 2018 a, pour sa part, été marqué par la volonté des Etats de revenir à l’utilisation des monnaies nationales.
Suite à l’annonce du renforcement des sanctions américaines (
voir notre texte ici) pouvant aller à l’exclusion de la Russie de l’économie dollarisée, à l’interdiction de vol des compagnies aériennes russes aux Etats-Unis, voire à la rupture de relations diplomatiques, pour ne pas reconnaître sa responsabilité dans l’affaire Skripal et ne pas passer ses installations militaires chimiques sous contrôle international, la Russie se prépare. Cela intervient alors que
Trump annonce la possibilité de passer au stade supérieur, qu’il adopte un
décret prévoyant la possibilité de sanctions si l’ingérence russe est prouvée et que l’UE reconduit évidemment ses sanctions antirusses.
D’une manière générale, la
Russie se défait de ses bons du Trésor américain et les remplace par l’or, à une vitesse qu’elle n’avait plus connue depuis 12 ans, la plaçant au 6e rang mondial des pays détenteurs d’or. A terme, le rouble pourrait à nouveau être
convertible en or et serait alors totalement indépendant du dollar. Nous avions déjà annoncé que l’armée se prépare à dé-dollariser ses contrats (
voir notre texte ici), ce qui est
confirmé aujourd’hui. Une grande partie des contrats conclus avec des Etats étrangers ont déjà été sortis du dollar et convertis en une autre monnaie nationale, qu’il s’agisse du yuan, de la roupie, de la drachme ou du rouble. Dans le domaine de la construction aéronautique, la plupart du temps le rouble est utilisé: les banques russes établissent des contacts directs avec les banques centrales des pays concernés et leurs grandes institutions bancaires. Rosatom, pour sa part, reste encore très dépendant du dollar, mais il tente de passer à la monnaie nationale, notamment dans ses rapports avec l’Iran ou l’Egypte. Pour sa part, Alrosa a pour la première fois effectué ses ventes de diamants en rouble.
Selon
Kostine, le directeur de la grande banque russe VTB, le cours de la dé-dollarisation est accéléré, mais surtout les grands holdings russes vont rentrer sous juridiction russe. Et ici, les Etats-Unis ont réussi en quelques mois à faire ce que les présidents russes n’ont pu depuis la chute de l’URSS: faire rentrer les capitaux. Et Kostine de déclarer:
« Avec nos collègues qui sont tombés sous le coup des sanctions d’avril, ce même Rusal, nous avons compris que l’enregistrement à l’étranger compliquait nos opérations »
La troisième phase de dé-dollarisation concerne les placements des bons européens: sortir des circuits habituels de la société internationale de dépôt et de règlement
Euroclear pour directement réaliser ces dépôts sur les places financières russes. Par ailleurs, les acteurs des places financières russes devront obtenir une licence, afin d’harmoniser les règles de fonctionnement.
Le passage pourra être, à court terme, un peu tendu, mais il va permettre de renforcer profondément la Russie tant à l’intérieur, que sur la scène internationale. En revanche, c’est une opération totalement perdante pour les Etats-Unis, dont le prestige et le poids s’effritent parallèlement à la montée internationale de la méfiance en le dollar.
Karine Bechet-Golovko