Stocks Nucléaires Mondiaux
Le secret excessif qui entoure le nucléaire militaire empêche le public de connaître le nombre exact d’armes nucléaires dans le monde. Chaque nation protège les détails de son propre arsenal nucléaire, et ne connaît généralement qu’un minimum de détails précis sur la taille et la composition des stocks nucléaires des autres pays.
Malgré les incertitudes, nous savons que le total mondial des armes nucléaires entreposées est considérablement inférieur à ce qu’il était pendant le pic de la Guerre Froide en 1986 avec 70 000 têtes nucléaires. Par le biais de toute une série d’accords sur le contrôle des armes et des décisions unilatérales, les états possédant des armes nucléaires ont réduit le stock mondial à son niveau le plus bas en 45 ans. Au cours de la même période, le nombre d’états puissances nucléaires est passé de 3 à 9.
Nous estimons que 9 états possèdent environ 27 000 têtes nucléaires intactes, dont 97% font partie des stocks des Etats-Unis et de la Russie. Environ 12 500 de ces têtes nucléaires sont considérées comme étant opérationnelles, le reste étant en réserve ou en attente d’être démantelée parce que plus opérationnelles. Nous sommes à même de faire nos évaluations en surveillant tous les développements sur les armes nucléaires, en étudiant les tendances à long terme et en traquant la mise en application des traités de contrôle des armes.
Cela pose des difficultés spécifiques pour évaluer la taille des arsenaux des plus petites puissances nucléaires – Israël, l’Inde, le Pakistan et la Corée du Nord – du fait de leur petitesse comparée aux stocks de la Russie et des Etats-Unis. L’Inde et le Pakistan ont à eux deux environ 110 têtes nucléaires, moins que le nombre de têtes nucléaires transportées sur un seul sous marin Us Trident, et les nord coréens pourraient en avoir environ 10. Bien qu’Israël n’ait pas reconnu être en possession d’armes nucléaires, la DIA (Défense Intelligence Agency – Agence de Défense du Renseignement) estime qu’il a entre 60 et 85 têtes nucléaires
Depuis 1945, plus de 128 000 têtes nucléaires ont été construites selon nos propres calculs, et toutes sauf environ 3% ont été fabriquées par les Etats-Unis (environ 55%) et l’Union soviétique/Russie (environ 43 %). Depuis la fin de la guerre froide, les Etats-Unis et la Russie ont changé le statut d’un pourcentage croissant de leur têtes nucléaires de celui d’opérationnel à tout une gamme de statuts tels que, en réserve, inactif, ou de secours, car les accords sur le contrôle des armes n’ont traditionnellement pas obligé les parties contractantes à détruire leurs têtes nucléaires. Par exemple, le « Traité de Moscou » ( Strategic Offensive Reduction Treaty – Traité de Reduction d’Offensive Stratégique) ne contient aucune provision portant sur la vérification et ignore à la fois les têtes nucléaires non opérationnelles et celles non stratégiques. Avec un certain nombre de têtes nucléaires ayant un statut indéterminé, les stocks d’armes nucléaires deviennent plus opaques et difficiles à décrire avec précision. C’est une situation qui ne fera qu’empirer après 2009 si les Etats-Unis et la Russie ne prolongent pas le Traité I Stratégique de Réduction d’Armement, qui exige un rapport bi annuel sur le statut des missiles balistiques intercontinentaux, les missiles balistiques lancés à partir de sous marins et de bombardiers.
Etats-Unis
Le Pentagon a la responsabilité d’approximativement 10 000 têtes nucléaires stockées, dont environ 5735 sont considérées comme actives ou opérationnelles. Le reste est catalogué comme étant en réserve ou inactives. Des détails d’un plan du Département à l’Energie de 2004 portant sur les stocks indique que quelque 4000 têtes nucléaires seront probablement retirées du circuit, renvoyée, et placées sous contrôle de ce Département et démantelées à l’usine de Pantex près d’Amarillo au Texas, bien que cette tâche pourrait prendre de nombreuses années. La rénovation et l’actualisation des têtes nucléaires existantes auront la priorité sur le travail de désassemblage en terme d’heures de travail et de main d’œuvre dans le futur immédiat.
Dés plus de 70 000 têtes nucléaires fabriquées par les Etats-Unis depuis 1945, plus de 60 000 ont été démantelées à la mi 2006. Plus de 13 000 ont été démontées depuis 1990, mais le Département de l’Energie conserve plus de 12 000 bâtons de plutonium intacts provenant de têtes nucléaires démantelées et les stockent à Pantex.
Russie
Moscou a livré peu d’information concernant la taille de ses stocks et ses plans futurs ne sont pas non connus avec certitude. Nous estimons que depuis 1949 l’Union Soviétique/Russie a produit quelque 55 000 têtes nucléaires et qu’environ 30 000 existaient en 1991 à la fin de la Guerre Froide. Quelques rares communiqués de fonctionnaires russes fournissent un occasionnel point de référence pour aider à calculer approximativement la taille des stocks et leurs types. Mais ces communiqués manquent typiquement de détails et les dates de références sont souvent ambiguës. En 1993, Victor Mikhailov alors ministre à l’énergie atomique a révélé qu’en 1986 l’Union Soviétique avait 45 000 têtes nucléaires en stock. Une décennie plus tard, Mikhailov a dit que près de la moitié de ces têtes nucléaires avaient été démantelées. (1)
Le Département de la Défense et la CIA ont estimé que la Russie a démantelé un peu plus de 1000 têtes nucléaires par an pendant les années 90, bien que la fiabilité de ces estimations n’est pas certaine. Des 16 000 têtes nucléaires intactes que nous estimons que de la Russie possède aujourd’hui, environ 5830 sont considérées comme opérationnelles. Parce que la Russie a retiré des têtes nucléaires de ses forces déployées et opérationnelles plus rapidement qu’elle ne pouvait les démanteler, il y a un surplus de têtes nucléaires qui attendent d’être démantelées. Le Traité de Moscou limite la Russie a n’avoir pas plus de 2200 « têtes nucléaires stratégiques opérationnellement déployées » mais son arsenal pourrait chuter en dessous de cette limite car la production russe de nouveaux systèmes a été lente et ce n’est pas sûr que la Russie puisse maintenir une telle quantité de têtes nucléaires à cause des limites en matière de financement. La Russie avait auparavant fait pression pour que la limite soit de 1500 têtes nucléaires stratégiques et opérationnelles comme partie du traité, mais les Etats-Unis ont rejeté cette limite.
Grande Bretagne
Depuis 1953, la Grande Bretagne a produit environ 1200 têtes nucléaires, selon nos estimations. L’arsenal britannique a atteint son maximum dans les années 70 avec 350 têtes nucléaires et depuis a en grande partie diminué. L’actuel stock comprend environ 200 têtes nucléaires stratégiques et « sub – stratégiques » délivrables avec le Trident II SLBMs, à bord de sous marins de type Vangard pouvant lancer des missiles balistiques nucléaires (SSBNs). Le gouvernement travailliste a déclaré en juillet 1998 qu’il maintiendrait « un peu moins de 200 têtes nucléaires opérationnelles à disposition » dont 48 seraient à tout moment à bord d’un seul SSBN en patrouille.
France
Les stocks actuels français comprennent environ 350 têtes nucléaires moins qu’en 1992 où il y en avait 540. Nous estimons que la France a produit plus de 1260 têtes nucléaires depuis 1964. La dernière décennie, la France a démantelé ses missiles balistiques terrestres et enlevé ses bombes nucléaires prévues pour être larguées par des avions de combat de portes avions. La France avait au début prévu d’armer ses missiles balistiques M51 lancés par des bateaux de guerre , prévus pour être déployés en 2010, avec une nouvelle tête nucléaire (TNO — Tête Nucléaire Océanique) mais le missile sera équipé avec une tête plus robuste existant déjà probablement du type TN -75.*
Chine
Nous estimons que la Chine a un arsenal de quelque 200 têtes nucléaires, alors qu’elle en avait 435 en 1993. Ce changement est du à une nouvelle information sur l’arsenal. On pense que la Chine a produit quelque 600 têtes nucléaires depuis 1964. Les renseignements américains et des agences de la Défense prédisent que dans la prochaine décennie la Chine augmentera le nombre de têtes nucléaires dirigées principalement contre les Etats-Unis de 20 à 70-100.
Inde et Pakistan
Ni l’Inde ni le Pakistan n’ont divulgué d’information officielle au public sur la taille de leur arsenal nucléaire. Ensemble, on pense qu’ils possèdent au moins 110 têtes nucléaires, dont certaines ne sont peut être pas opérationnellement déployées. Des experts indépendants estiment que l’Inde a produit suffisamment de matériau fissile pour la fabrication de 60 à 105 têtes nucléaires mais n’en a peut être assemblées que 50 à 60. Par contraste, ces experts croient que le Pakistan a produit suffisamment de matériau fissile pour fabriquer entre 55 et 90 têtes nucléaires et qu’il en a assemblées 40 à 50. (2) On pense que ces deux pays sont entrain d’augmenter leurs stocks de têtes nucléaires.
Israël
Bien qu’Israël n’ait jamais confirmé ou nié posséder des armes nucléaires, le DIA a conclu en 1999 qu’Israël avait produit 60 à 80 têtes nucléaires. On estime qu’Israël a produit suffisamment de matériau fissile pour assembler de 110 à 190 têtes nucléaires (concernant Israël le chiffre couramment avancé est de 200 têtes nucléaires dont certaines seraient en kit ndlt). Le DIA a prévu une faible augmentation d’ici à 2020.
Corée du Nord
La Corée du Nord a un réacteur électrique régulé au graphite de 5 mégawatts (MWs) et refroidit au gaz qui a commencé à être opérationnel en 1986. Des experts indépendants estiment qu’elle a produit environ 43 kgs de plutonium séparé, donnant ou prenant 10 kg. (3) Selon les capacités techniques des nords coréens, et le désir de produire une bombe, Pyongyang pourrait avoir un minimum de 6 têtes nucléaires ou un maximum de 15. 10 têtes semblent être une estimation raisonnable, auxquelles s’ajoute une tête par an. On ne sait pas par exemple si la Corée du Nord a transformé ses capacités nucléaires en armes, si elle a fabriqué une arme pouvant être fixée sur un missile capable de les délivrer. Si la Corée du Nord complète dans quelques années son réacteur de 50MWs en construction, elle pourrait produire 60 kg de plutonium par an lui permettant potentiellement d’augmenter ses stocks de 10 à 15 têtes nucléaires par an.
Le Futur
L’ensemble des cinq puissances nucléaires du début ;continuent d’insister sur le fait que les armes nucléaires sont essentielles à leur sécurité, ce qui se traduit en stocks mondiaux importants d’armes nucléaires pour le futur immédiat, et la possibilité que plus de nations veuillent aussi la bombe. L’Inde s’est orientée vers la possession d’une triade de forces nucléaires comprenant des missiles balistiques terrestres, des avions de combat pouvant transporter des armes nucléaires, et des missiles transportés par mer, ce qui équivaut probablement à un arsenal de 100 à 150 têtes nucléaires. Pour ne pas se laisser distancer, le Pakistan probablement se maintiendra au même niveau avec un arsenal équivalent. Est-ce que l’arsenal israélien restera opaque, cela dépend du développement du programme nucléaire iranien, l’Iran semblant avoir de 3 à 10 ans avant de rejoindre le club des puissances nucléaires. Malgré le progrès fait par les états pour réduire les stocks de têtes nucléaires, convaincre les nations d’abandonner leurs arsenaux nucléaires reste une tâche formidable, une tâche qui restera probablement impossible à accomplir jusqu’à ce que les puissances nucléaires elles –mêmes renoncent à leurs armements.
Source et copyright : un article de Robert S. Hans M. Kristensen paru dans le bulletin Atomic Scientists de juillet août 2006 (pp64-66 vol 62, n°4) http://www.thebulletin.org/article_nn.php?art_ofn=ja06norris
Notes
1. Interfax, « Country Dismantles Nearly Half Its Nuclear Arsenal, » April 27, 1997 (transcribed in FBIS-TAC-97-117).
2. Estimates of fissile material production are from David Albright, Institute for Science and International Security, « Global Stocks of Nuclear Explosive Materials: Summary Tables and Charts, » revised September 7, 2005 (http://www.isisonline.org/global_stocks/end2003/tableofcontents.html).
3. Siegfried S. Hecker, « Technical Summary of DPRK Nuclear Program, » presentation at Carnegie Non-Proliferation Conference, November 8, 2005.