Surveillance d’Internet – Le projet de loi C-30 suscite critiques et inquiétudes
Critiques, mais pas pour les mêmes raisons. Alors que les petits fournisseurs d’accès à Internet ont dénoncé hier l’intrusion dans la vie privée que constitue le projet de loi C-30 du gouvernement fédéral, les plus gros, eux, se sont dits plutôt préoccupés par les dépenses que pourrait leur occasionner la mise en place de cette loi et par l’incidence sur la facture de leurs abonnés. Des abonnés qui s’expriment de plus en plus, d’ailleurs, contre les nouvelles intentions législatives du gouvernement Harper: en fin de journée mardi, plus de 92 000 personnes avaient signé une pétition pour décrier ce projet de loi.
«Il n’y a pas de raison de se réjouir, a commenté hier Joseph Bassili, président de la compagnie Colba Net, un petit fournisseur d’accès à Internet au Québec. Il y a quelques années, le bouquin 1984 nous présentait un monde du futur dans lequel les citoyens étaient surveillés et contrôlés par l’État. Ce monde, nous y sommes arrivés. La vie privée est de moins en moins respectée. Et c’est regrettable.»
S’il est adopté dans sa forme actuelle, le projet de loi C-30 va permettre à l’avenir aux forces policières de récolter des informations personnelles sur des citoyens, auprès des fournisseurs d’accès à Internet, et ce, sans une supervision judiciaire associée à un mandat de perquisition ni obligation de justifier la demande. Ces informations sont actuellement obtenues par les services de renseignement et de police, selon un cadre légal plus strict.
Pour le président de l’Association canadienne des communications sans fil, Bernard Lord, ce projet de loi ne va pas transformer les fournisseurs d’accès au réseau Internet en «agents du gouvernement», comme le prétendent depuis quelques jours les défenseurs des libertés civiles, mais il risque d’imposer des contraintes organisationnelles aux compagnies, lesquelles pourraient être amenées à répondre à un plus grand volume de requêtes policières. «Actuellement, une centaine de personnes sont chargées de répondre à ces demandes chez les membres de l’Association [Bell Canada, Rogers, Vidéotron sont du nombre], dit-il. Si ces demandes augmentent, il va falloir embaucher du monde. Ce sont des coûts importants. Qui va payer? Si nous n’obtenons pas de compensation du gouvernement, ces dépenses vont être transmises aux abonnés.»
Dérive sécuritaire
L’Association a refusé hier de se prononcer sur la portée sociale de ce projet de loi, mais elle assure qu’elle va être présente aux comités du Parlement chargés d’étudier ce projet de loi, qui pour des milliers de citoyens vient concrétiser une nouvelle dérive sécuritaire du gouvernement conservateur de Stephen Harper. En fin de journée hier, une pétition en ligne lancée par l’organisme OpenMedia.ca pour dénoncer ce projet de loi avait déjà récolté 92 634 signatures d’un océan à l’autre.
Par ailleurs, l’été dernier, un sondage commandé par le Commissariat à la protection de la vie privée du Canada a révélé que 82 % des Canadiens s’opposaient à ce que le gouvernement donne «accès à [leurs] dossiers de courriel et à d’autres données concernant la façon dont ils utilisent Internet sans avoir obtenu un mandat d’un tribunal».