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Syndrome Khadr et déclin du Canada
Par Global Research
Mondialisation.ca, 27 septembre 2009
27 septembre 2009
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Ainsi donc, la Cour suprême va entendre la cause du gouvernement fédéral qui a porté en appel le jugement de la Cour fédérale confirmé par la Cour d’appel.

Dans son jugement, la Cour fédérale du Canada a ordonné le rapatriement sans délai du jeune prisonnier Omar Khadr, détenu depuis 2002. Mais, l’honorable porte de sortie offerte par le jugement qui a statué que le Canada a contrevenu à ses obligations n’a pas été saisie. Ce faisant, c’est aussi toute la Charte canadienne des droits et libertés que les conservateurs ont piétinée. À leur décharge, ils n’ont jamais caché leur dédain pour cette Charte qui, à défaut d’être réécrite selon leur désir, a été superbement ignorée. Pris au dépourvu par ce jugement et ne sachant pas dans un 1er temps si son chef allait faire appel ou pas, le ministre des affaires étrangères L. Cannon a certainement atteint le summum de la démagogie en affirmant, sans aucune preuve, que O. Khadr a fabriqué des bombes identiques à celles qui ont tué un certain nombre de nos soldats, y compris la soldate Karine Blais dont les funérailles étaient alors en cours de célébration…

L’aversion que suscite chez les Canadiens, toutes confessions confondues, le père terroriste de l’enfant-soldat Omar Khadr ne peut justifier l’inaction actuelle. Guantanamo, cet espace de non-droit, où tous les pays occidentaux ont demandé et obtenu la libération de leurs concitoyens détenus est une sinistre geôle où les prisonniers sont « battus, attachés des heures durant, humiliés, enfermés des années dans de minuscules cellules sans lumière de jour ». En rappelant dans une missive au président-élu B. Obama lors de son voyage au Canada son engagement à fermer Guantanamo, des élèves d’une école de Joliette (Québec) de même âge que Omar quand ce dernier a été arrêté, ont trouvé les mots justes pour demander son rapatriement au Canada pour mettre fin aux souffrances de cet enfant-soldat. Mais, arguant qu’il veut éviter de s’immiscer dans le processus de justice américaine et préjugeant à l’avance des charges retenues, l’attitude du Premier ministre est incompatible avec le respect de la démocratie et la primauté du droit, ainsi que le soutien auquel a le droit de s’attendre tout citoyen canadien. Peut être que S. Harper aurait eu un peu plus de compassion si le néo-canadien Omar était d’origine aryenne ou s’appelait Ariel; il aurait été alors promptement rapatrié. Pour ne pas faire dans le politiquement correct, on peut déduire de ces précédents propos ce que l’on peut appeler le « syndrome Khadr » chez Harper. Il aurait été intéressant d’analyser ce supposé syndrome chez le Premier-Ministre: même si la réserve qui doit être celle d’un professeur empêche le citoyen que je suis de m’étaler plus là-dessus, je ne peux m’empêcher de penser que l’origine ethnique d’O.Khadr y est pour beaucoup dans le peu d’empressement de le rapatrier. Cette hypothèse, loin d’être farfelue, est étalée par un certain nombre de faits, dont ceux qui suivent.

En 2003 déjà, dans une vaine tentative de convaincre les députés d’envoyer l’armée canadienne combattre avec les Américains en Irak et dans un discours prononcé à la Chambre des Communes, il a déclaré que  » nous ne pouvons nous détourner de la menace que la possession des armes de destruction massive par l’Irak pose pour la région et le monde entier ». Il est vrai que S. Harper était à l’époque chef de l’Alliance canadienne et que son texte n’était pas original puisqu’il avait plagié in extenso le discours du Premier ministre conservateur de l’Australie. Même si le plagiat en politique n’est pas rare et que les discours des politiciens sont le plus souvent écrits par leurs collaborateurs, il n’en demeure pas moins que son entêtement à persévérer dans l’erreur alors qu’il s’était fondamentalement trompé aurait dû susciter plus d’interrogation.

Plus tard, les bombardements barbares du Liban puis de Gaza et l’appui inconditionnel de Harper à Israël ont creusé un fossé incommensurable entre les conservateurs et la population canadienne en général et québécoise en particulier. En étant le premier à imposer des sanctions au Hamas palestinien qui venait d’être démocratiquement élu et en traitant ensuite les candidats qui briguaient la direction du parti libéral d’anti-Israël, il a clairement pris parti, ce qui était probablement destiné à s’attirer les faveurs du Congrès juif canadien. Ce faisant, Harper a ostensiblement renié le rôle traditionnellement pacifique du pays de Casques bleus…Pire, son irrationalité totale dans les dossiers de guerres en Irak-Liban-Palestine-Israël découle probablement de sa pensée toute bushienne, proche de celle des adeptes de choc des civilisations. Pourtant, dans ce dossier moyen-oriental que l’on complexifie toujours outre mesure, nul besoin d’un doctorat pour comprendre que le cœur du problème s’appelle la colonisation de territoires palestiniens. L’administration Obama, l’UE et tous les pays qui veulent une solution à ce problème ne cessent de demander le gel total de cette colonisation. Mais, là où l’action lucide se passe, le Canada de Harper est aux abonnés absents et le pays a perdu toute autorité morale, du fait de son parti-pris.

Il faut dire qu’en matière de droits de l’homme en général, la crédibilité du Canada est de plus en plus sur une pente négative. L’autre exemple édifiant de cette perte de crédibilité peut être illustré par le départ de la juge L. Arbour  du Tribunal Pénal International (TPI), départ sournoisement souhaité par le gouvernement conservateur canadien. Cette honorable Dame, avec un grand D, a eu l’audace de dénoncer en des termes clairs le traitement inhumain que subissent au quotidien les Palestiniens. Cela lui a valu  une campagne orchestrée de dénigrement injustifié. Dans le dossier Israël-Palestine, Harper et ses soutiens ont même essayé de justifier l’injustifiable, y compris les bombardements barbares de Gaza qu’ils se sont époumonés à faire passer pour une réponse proportionnée, alors que les arguments présentés constituent une insulte à l’intelligence des Canadiens…

Présentement que des documents internes de la CIA détaillent des actes de torture et que le monde peut rêver de l’émergence d’un nouveau juge Balthazar Garzon qui demanderait des comptes aux apôtres créationnistes de l’espace de non-droit de Guantanamo (Bush, Cheney et consorts), la meilleure chose qui puisse arriver pour le Canada serait de mettre un terme à son déclin, en mettant fin à la parenthèse ‘harperienne’ dont la politique et l’idéologie « bushienne » sont  rejetées de plus en plus unanimement.

À l’orée des élections qui se dessinent, les coffres garnis des conservateurs ne feront pas la différence car il y a des choses qui ne s’achètent pas, du moins pas au Québec. Vivement que les électeurs rendent leur verdict, peut être même avant celui de la Cour suprême.

M.Benhaddadi est  expert en énergie, professeur-associé à l’École Polytechnique de Montréal.

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