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Syrie : De la guerre à la paix ?
Par Nasser Kandil
Mondialisation.ca, 25 septembre 2013
Vidéo /Top News
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https://www.mondialisation.ca/syrie-de-la-guerre-a-la-paix/5351399

Extrait de l’entretien de M. Nasser kandil, Directeur de Top News Syria, avec la chaîne syrienne Al-Fadaiya à la veille de l’ouverture de la 68ème session de l’Assemblée générale des Nations Unies, le 23 Septembre 2013.

TV Syria : Vous avez dit qu’en matière de relations internationales, lorsque les choses en sont arrivées aux limites de la guerre et qu’on a reculé pour rechercher des compromis au sein du Conseil de sécurité, seuls les imbéciles peuvent croire que le regain de tension traduit la réalité de ce qui se passe en coulisses. Sommes-nous sur le chemin d’une « solution politique », ou bien s’agit-il d’une manœuvre supplémentaire des USA et des Occidentaux ?

N. Kandil : En effet, je l’ai dit. Et je crois qu’au bout de plus de trente mois de guerre, nous entrons dans une nouvelle étape de l’agression menée contre et autour de la Syrie. J’ai toujours essayé d’être aussi précis que possible, dans les limites permises par l’analyse politique, et je pense avoir été l’un des premiers à dire que jusqu’en 2014, autrement dit jusqu’au début du retrait US d’Afghanistan, il ne sera pas possible que la bataille autour de la Syrie cesse, du moins sous tous ses aspects.

La guerre contre la Syrie, comprise dans son sens le plus large, c’est-à-dire sa destruction et sa partition… est finie depuis la rencontre Kerry-Lavrov. Mais la fin de la guerre ne signifie pas l’arrêt des coups. Bien au contraire, ils pourraient même s’intensifier.

Ceci étant dit, depuis l’accord conclu entre M. Kerry et M. Lavrov, trois choses sont désormais acquises en ce qui concerne la Syrie :

  • plus question de briser ses constantes nationales symbolisées par le Président Bachar al-Assad,
  • plus question de la disloquer,
  • plus question de la phagocyter en partie ou en totalité.

En d’autres termes, l’unité nationale syrienne ne prête plus à discussion, mais tous les problèmes sont loin d’être réglés. Reste la bataille sur le contenu de l’accord politique qui fera que le monde reconnaîtra sa légitime victoire. En effet, depuis la rencontre Kerry-Lavrov, nous sommes entrés dans ce que j’ai qualifié de « négociations sur marbre chaud » en disant que nous allions assister à des confrontations de plus en plus dures et de plus en plus sanglantes, avec recours à tous les moyens disponibles pour tenter de réunir les « cartes maîtresses » susceptibles de servir jusqu’à la fin de la partie dans trois mois environ. D’ici la fin de cette année 2013, nous sommes donc au cœur même de cette nouvelle étape. Ni les cris, ni les menaces, ni les coups bas ne cesseront; mais ils devront commencer à reculer…

Nous en étions arrivés à l’instant où une seule frappe aurait mené à une  guerre totale que personne ne souhaite et qui aurait été terriblement coûteuse pour toutes les parties, pas seulement pour la Syrie. Il fallait donc préparer le terrain pour trouver un accord qui mènerait à une paix globale. D’où la rencontre Kerry-Lavrov, quoique « l’Américain » a tenté d’y échapper et se dit toujours : « Voyons voir de quelles cartes nous disposons ! ».

TV Syria : Nous pouvons donc dire que le conflit est passé d’une mobilisation en Méditerranée vers une mobilisation sur les tribunes de la politique ?

N. Kandil : Disons que la guerre qui se profilait à l’horizon était, à mon avis, l’une des plus dangereuses de ce XXIème siècle à cause de l’importante situation géostratégique de la Syrie… Elle est à la fois un point d’ancrage en Eurasie, une tête de pont en Méditerranée vers la Chine, le point de rencontre entre le monde musulman et le monde arabe, et en plein milieu d’un trigone : « Islam, pétrole, Israël ».

Par conséquent, plusieurs questions méritent réponses. Quel concept de l’Islam voulez-vous… celui de la Syrie, ou bien celui des wahhabites dont le bras droit n’est autre qu’Al-Qaïda ? Quelle attitude face à Israël adopteriez-vous… vous coucher et servir ses intérêts à la mode des gens du Golfe, ou bien résister face à leurs projets et convoitises ? Qu’en est-il de nos ressources énergétiques… des ressources qui nous appartiennent, ou bien sommes-nous condamnés à un gardiennage au service d’un possédant obscur caché derrière les compagnies internationales occidentales ?

Concernant le « trigone », il se trouve que lors de la guerre d’Irak, j’ai participé à une émission TV d’Al-jazeera à laquelle était invité Thomas Friedman. Il rentrait du Japon où se déroulaient des négociations autour de la Corée du Nord. Je l’avais interpellé, disant : « En Corée, vous préconisez une solution politique alors qu’elle refuse la venue d’observateurs et déclare posséder un réacteur nucléaire. En Irak, vous voulez la solution militaire alors qu’il est prêt à recevoir les observateurs et ne possède pas d’armes de destruction massive. Quelle différence voyez-vous entre l’Irak et la Corée ? ». C’est sans nul embarras qu’il m’a répondu : « L’Irak se situe dans une région liée à l’Islam, au pétrole, et à Israël ! »…

Tels sont donc les facteurs qui contribuent à la conception des stratégies occidentales pour notre région et je crois que, concernant ces stratégies, nous avons assisté au télescopage et à la conjugaison de quatre guerres distinctes :

  • La première guerre est celle du « Nouvel Ordre Mondial ». L’unilatéralisme US qui a dicté la politique internationale de 1990 à 2010 a perdu de sa puissance. Un vieux système se bat pour ne pas s’effondrer, un nouveau se bat pour naître. Le centre de cette guerre est l’Asie, pour la bonne raison que les forces montantes sont représentées par le « trio asiatique » : la Russie, la Chine, et l’Inde ; avec au cœur de ce trio, deux alliés naturels suivant les concepts mêmes de ces trois puissances [souveraineté des États essentiellement] et qui sont l’Iran et la Syrie. La Syrie a donc été, et reste, le pivot de cette guerre qui décidera de l’avenir du nouvel ordre mondial…
  • La deuxième guerre est celle de l’ « Énergie » sur deux axes à la fois, le Golfe persique et les rivages de la Méditerranée. Autrement dit, la richesse attendue et convoitée en gaz et pétrole de la Méditerranée, et les vingt millions de barils qui franchissent tous les jours le détroit d’Ormuz. Là aussi l’Iran et la Syrie sont le « duo décisif » autant en matière des ressources propres qu’en oléoducs, gazoducs, etc.
  • La troisième guerre est celle de la « sécurité d’Israël », une fois que les USA se seront retirés d’Afghanistan. Israël qui a perdu la guerre en 2006 du fait d’une alliance où la Syrie et le Hezbollah étaient les fers de lance et l’Iran en arrière plan. Israël qui a perdu la guerre une deuxième, puis une troisième fois à Gaza…
  • La quatrième est la « guerre contre le terrorisme », à propos de laquelle, l’Occident et particulièrement les USA ne peuvent prétendre qu’ils ne sont pas concernés ; même s’ils ont exploité le terrorisme pour gagner les trois guerres précédentes en espérant le contenir d’ici là.

 TV Syria : Tout à fait comme ils se sont comportés en Afghanistan ?

Exactement… En sachant que ces quatre guerres ont été menées parallèlement dès le début. Mais aujourd’hui, deux guerres sont finies. Les USA sont forcés d’admettre que l’unilatéralisme est révolu et que la Russie est un partenaire qui pourrait les surpasser dans l’organisation et la direction du nouvel ordre à venir. La Syrie a donc été le théâtre principal de cette guerre pour un nouvel ordre mondial et en est sortie l’identité plus renforcée.

À mon avis la guerre de l’énergie est finie aussi, la Syrie étant souveraine sur ses ressources énergétiques en Méditerranée, l’Iran étant chargé de la sécurité des ressources du Golfe persique et du détroit d’Ormuz. Quelles que soient les déclarations que nous entendrons, lors de l’Assemblée générale des Nations Unies… je dis qu’il s’agit d’une  « Réunion au sommet sur l’Énergie » ; avec à sa marge la réunion de l’Assemblée, non l’inverse.

Deux guerres ne sont toujours pas finies, celle concernant la sécurité d’Israël et celle concernant le terrorisme. La guerre du terrorisme a été inversée par la Syrie, au sens où elle ne pourra plus servir de carte maîtresse comme prévu par les USA et l’Occident pour gagner leurs trois autres guerres. Désormais la prochaine guerre en Asie sera la guerre contre le terrorisme !

 

Nasser kandil

23 / 09 / 2013

 Extrait transcrit et traduit par Mouna Alno-Nakhal

Source : Vidéo /Top News Nasser-kandil

http://www.youtube.com/watch?v=c6GfuUS0rhQ

 

Monsieur Nasser Kandil est libanais, ancien député et directeur de Top News-nasser-kandil

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