Syrie : la déroute toxique

« Ces actes barbares du régime Assad ne peuvent pas être tolérés ». Ainsi a parlé le président des États-Unis.

Traduction immédiate : Donald Trump – et/ou les agences soupes aux lettres de renseignement américaines, sans enquête ou détails – sont sûrs que le ministre de la Défense russe leur ment, tout simplement.C’est une accusation grave. Le porte-parole du ministère russe de la Défense, le général-major Igor Konashenkov, a apporté des informations « totalement objectives et vérifiées » sur une frappe des forces aériennes syriennes contre un hangar de « rebelles modérés », à l’est de Khan Cheikhoun, qui leur servait à produire et stocker des cartouches de gaz toxique.

Konashenkov a ajouté que les mêmes produits chimiques avaient été utilisés par des « rebelles » à Alep à la fin de l’année dernière, d’après l’analyse d’échantillons recueillis par des experts militaires russes.

Malgré tout, Trump s’est senti obligé de télégraphier ce qui est aujourd’hui sa ligne rouge en Syrie ; « Militairement, je n’aime pas dire ce que je vais faire ou quand. Je ne dis pas que je vais faire quelque chose ou pas, mais je ne vais certainement rien vous dire » [aux médias].

A ses côtés sur la pelouse de la Maison-Blanche, l’affligeant roi Playstation de Jordanie a félicité Trump pour son « approche réaliste des défis de la région. »

Cela ressemble à s’y tromper à un sketch de Monty Python. Malheureusement, c’est la réalité.

Ce qui est en jeu à Idlib

L’hystérie est donc déclenchée – encore une fois –, l’opinion publique a commodément oublié que les armes chimiques détenues par Damas avaient toutes été détruites en 2014 à bord d’un navire américain, rien de moins, sous supervision de l’ONU.

Et l’opinion publique a commodément oublié qu’avant la ligne rouge théoriquement dépassée de Barack Obama sur les armes chimiques, un rapport secret des renseignement avait indiqué de façon très claire que le Front al-Nosra, alias Al-Qaïda en Syrie, maîtrisait les techniques de fabrication du gaz sarin et pouvait en produire en grande quantité.

Sans même parler du pacte secret de 2012 entre l’administration Obama et ses alliés, la Turquie, l’Arabie Saoudite et le Qatar, pour lancer une attaque au gaz sarin et en rejeter la responsabilité sur Damas, et planter le décor pour un remake de « Choc et effroi. » Les financements du projet venaient de la connexion OTAN-Conseil de coopération du Golfe ajoutée à la connexion CIA-MI6, alias la « ratline » qui avait permis de transférer toutes sortes d’armes de Libye jusqu’aux salafistes-djihadistes en Syrie.

Ainsi, ces armes toxiques, qui avaient « disparu » – en masse – des arsenaux de Kahdafi en 2011 se sont retrouvés à renforcer al-Qaïda en Syrie (pas l’État islamique/Daech), rebaptisé entre-temps Jabhat Fatah al-Sham et généralement décrit à Washington comme des « rebelles modérés ».

Coincés dans la province d’Idlib, ces « rebelles » sont aujourd’hui la principale cible de l’armée arabe syrienne et des forces aériennes russes. Damas et Moscou, au contraire de Washington, sont déterminés à annihiler toute la galaxie salafiste-djihadiste, pas uniquement Daech. Si l’armée arabe syrienne continue à avancer, et si ces « rebelles » perdent Idlib, le jeu est fini.

C’est pourquoi l’offensive de Damas soit être traînée dans la boue, sans le moindre scrupule, au vu et au su de l’opinion publique mondiale.

Pourtant, que Damas lance une attaque au gaz contre-productive et se mette à dos l’ensemble de l’OTAN juste deux jours avant une autre conférence internationale sur la Syrie, et immédiatement après que la Maison-Blanche ait été forcée d’admettre que « le peuple syrien devrait choisir son destin » et que le mantra « Assad doit partir » est périmé et bon à jeter, ne tient pas debout une seule seconde.

Cela ressemble beaucoup plus au tsunami de mensonges qui annonçait la campagne militaire « Choc et effroi » de 2003 en Irak, et ressemble certes de très près au retour en mode turbo d’une campagne « al-CIAda ». Le Front al-Nosra n’a jamais cessé d’être le chouchou de la CIA dans son scénario de changement de régime en Syrie.

Vos enfants ne sont pas assez toxiques

L’ambassadrice de Trump à l’ONU, le produit de l’Heritage Foundation (think tank néoconservateur de Washington), est comme prévu devenue folle de rage, et a monopolisé les gros titres occidentaux. Perdu dans l’oubli, également de façon prévisible, l’ambassadeur adjoint russe à l’ONU, Vladimir Safronkov, a pulvérisé « l’obsession occidentale du changement de régime » en Syrie, qui est « ce qui handicape ce Conseil de sécurité ».

Safronkov a souligné que l’attaque chimique à Idlib était basée sur des « rapports faussaires des Casques blancs », une organisation « discréditée depuis longtemps ». C’est un fait ; mais aujourd’hui, les Casques blancs sont oscarisés, et cette marque honorifique de la pop culture les rend inattaquables. Sans même parler de leur nouvelle immunité aux effets du gaz sarin.

Quelle que soit la réponse de Trump et du Pentagone, un analyste indépendant américain des renseignements qui n’aime pas la pensée unique, est sûr de lui ; « toute attaque aérienne contre la Syrie demanderait une coordination avec la Russie, et la Russie n’autorisera aucune attaque aérienne contre Assad. La Russie a des missiles défensifs en place pour bloquer l’attaque. Cela va être négocié. Il n’y aura pas d’attaque, puisqu’une attaque pourrait précipiter une guerre nucléaire. »

Les « enfants de Syrie » morts sont aujourd’hui les pions d’un jeu beaucoup plus étendu et pervers. Le gouvernement des USA a bien pu tuer un million d’hommes, de femmes et d’enfants en Irak – il n’y a eu aucune protestation majeure parmi les « élites » des pays de l’OTAN. Une criminelle de guerre américaine toujours libre a déclaré, devant les caméras, que le meurtre direct et indirect de 500 000 enfants irakiens par les USA était « justifié ».

Pour sa part, le Prix Nobel de la Paix Barack Obama a instrumentalisé la maison des Saoud pour qu’elle finance – et arme – quelque chose comme 40 groupes de « rebelles modérés » triés sur le volet par la CIA. Plusieurs de ces groupes s’était déjà intégrés à, ou étaient absorbés par le Front al-Nosra, aujourd’hui rebaptisé Jabhat Fatah al-Sham. Et ils ont tous massacré des civils.

Pendant ce temps, le Royaume-Uni continue joyeusement à armer la maison des Saoud dans sa soif de réduire le Yémen à un vaste terrain vague ravagé par la famine et ponctué de cimetières pleins de « dommages collatéraux ». Les pays de l’OTAN ne pleurent certainement pas sur ces enfants morts yéménites. Ils ne sont pas assez toxiques.

Pepe Escobar

 

 

Article original en anglais : Syria: The Toxic Meltdown, Sputnik, 6 avril 2017

Traduction Entelekheia 



Articles Par : Pepe Escobar

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