Print

Syrie, la Paix n’est pas au rendez-vous.
Par Nabil Antaki
Mondialisation.ca, 19 février 2019
Lettre d'Alep No. 35
Url de l'article:
https://www.mondialisation.ca/syrie-la-paix-nest-pas-au-rendez-vous/5631182

Depuis plusieurs mois, il n’y a plus de combats en Syrie. Tous les commentateurs estiment que la guerre est finie et que l’Etat syrien l’a gagnée. Daech (le groupe état islamique) a été vaincu et il ne reste plus qu’une petite poche de territoire sous son contrôle à l’extrême Est de la Syrie. L’Etat syrien contrôle maintenant 70% duterritoire dont presque toutes les grandes villes.

Et pourtant, la Paix n’est pas au rendez-vous.

D’une part, tous les groupes armés rebelles sont maintenant regroupés dans laprovince d’Idlib. Al Nosra, branche de Al Qaida, reconnue comme groupe terroriste par l’ONU et la communauté internationale, est en train d’éliminer par les armes ou de phagocyter tous les autres groupes, islamiques comme elle. Depuis des mois, l’armée syrienne veut lancer une offensive pour libérer cette dernière province des mains des terroristes, dont 30,000 étrangers, mais les puissances occidentales, par l’intermédiaire de la Russie et de la Turquie, l’en empêchent ; raison invoquée : risque de crise humanitaire grave ; vraie raison de l’aveu de certains dirigeants occidentaux : que faire de tous ces terroristes étrangers qui voudraient fuir vers l’Europe si l’offensive est déclenchée et qui pourraient terroriser les Européens après avoir semer la terreur en Syrie ? Nous sommes EN COLÈRE devant un tel cynisme.

D’autre part, une autre guerre se déroule sur notre territoire, celle qui oppose la Turquie et la milice kurde. La première a envahi le Nord-Ouest de la Syrie, sous prétexte de combattre des terroristes kurdes provoquant l’exode de 140,000personnes de la région d’Afrin. La deuxième, appuyée par l’armée américaine, a profité de la guerre en Syrie pour prendre le contrôle de la région Nord-Est de la Syrie afin d’y établir une région autonome. La Turquie, bien sûr, ne l’entend pas de cette oreille et ne veut pas du tout d’une région autonome kurde en Syrie qui encouragerait les kurdes de Turquie à faire de même.

Enfin, les Américains, qui ont établi illégalement deux bases dans un pays souverain, veulent se retirer selon la décision du président Trump. Mais son administration ainsi que le congrès ne sont pas d’accord et essayent de saboter cette décision. Pour faire bonne figure, le ministre américain des affaires étrangères a déclaré que les américains ne se retireront que si la Turquie donne des garanties de ne pas attaquer les Kurdes. Ceci a mis en furie Erdogan qui veut faire la guerre aux kurdes comme il l’entend.

Exemple de cet imbroglio : la ville syrienne Menbij est occupée par les milices kurdes, patrouillée par des unités américaines, surveillée par des troupes turques installées à 5 km au nord et par l’armée syrienne à 15 km au sud.

Bien sûr que nous sommes EN COLÈRE : contre la présence des Etats-Unis et de la Turquie installés illégalement dans un pays souverain, contre cette guerre turco-kurde qui empêche l’instauration de la paix tant désirée par les Syriens et contre le cynisme des gouvernements qui empêchent la libération d’Idlib pour ne pas avoir à régler le problème de leurs ressortissants terroristes.

Excusez-moi, chers amis(es) pour cette introduction qui est assez longue quand je voulais qu’elle soit brève. Mais je devais vous expliquer pourquoi, maintenant que la guerre initiale est presque terminée, nous n’avons pas encore la paix. Vous savez maintenant que les grandes puissances mondiales et régionale font la politique (et la guerre) selon leurs intérêts sans se soucier des pays qu’ils envahissent et de l’intérêt de leurs peuples. Nous sommes EN COLÈRE et, en même temps, impatients de voir les envahisseurs retourner chez eux.

Cet état de « ni guerre ni paix » empêche la reconstruction du pays, les investisseurs potentiels ne voulant investir qu’une fois la paix instaurée. De ce fait,l’économie est à plat, la pauvreté et le chômage sont impressionnants, le coût de la vie atteint des sommets vertigineux et les gens continuent de souffrir. Les riches ont épuisé leurs économies, la classe moyenne a été laminée et les pauvres sont devenus encore plus pauvres. Nous sommes EN COLÈRE contre les sanctions imposées par l’Union Européenne et les Etats-Unis contre la Syrie qui ne font qu’aggraver la situation humanitaire sans avoir aucun impact sur la fin des hostilités et l’instauration de la Paix.

L’exode des Syriens, surtout les chrétiens, continue, même plus que durant les heures sombres de la guerre. Le Nonce Apostolique en Syrie, Mgr Zenari, a annoncé, lors d’un congrès en Hongrie, que les chrétiens ne représentent plus que 2% de la population, c’est à dire un demi-million pour une population de 23 millions de citoyens. Nous le savions, mais c’est la première fois que ce chiffre est annoncé en public. Ma ville, Alep, qui comptait entre 150,000 et 200,000 chrétiens en 2011 avant la guerre, n’en compte plus que 25,000 à 30,000. La Syrie, berceau du christianisme, se dépeuple de ses chrétiens. Pendant les années précédentes, les Syriens fuyaient à cause de la guerre, de ses risques et de ses souffrances et aussi pour assurer un avenir stable et meilleur à leurs enfants. Depuis la fin des hostilités, ils continuent à quitter, soit pour éviter qu’ils ne soient enrôlés dans l’armée comme réservistes alors qu’ils sont déjà pères de famille, soit à cause de la crise économique et ses conséquences : le chômage et la pauvreté.

Pendant les dures années de la guerre, nos programmes de secours visaient à nourrir, vêtir, soigner et loger les déplacés et les familles dans le besoin. Nous avons, avec d’autres associations locales, contribué à la survie de la population, appuyés en cela par les organisations et associations internationales. Maintenant, nous estimons que la priorité est de fournir du travail aux gens pour les aider à vivre dignement du fruit de leur labeur et de devenir indépendants des aides reçues pendant 7 ans. Et puis, quelqu’un qui a un bon gagne-pain pense moins à quitter le pays. C’est pourquoi, nous, les Maristes Bleus, avons créé, il y a plus de 2 ans, le programme des micro-projets. Nous avons déjà organisé 12 sessions d’apprentissage pendant lesquels nous enseignons, en 48 heures, étalées sur 3 semaines, à 20 jeunes (et moins jeunes) adultes « comment créer son propre business » et nous finançons les meilleurs projets, ceux que nous estimons faisables, rentables et durables. Nous avons, en 2 ans, financé une centaine de micro-projets et aider, ainsi, environ 200 familles à vivre dignement.

Malheureusement, nos ressources ont beaucoup diminué. Avec la fin des combats, les dons privés ont considérablement baissé. Et les associations caritatives internationales refusent, pour la plupart, de financer des programmes de développement et certaines proposent de financer encore des programmes de secours. Comme si on voulait que les gens restent dans le besoin, la mendicité et la dépendance plutôt que de retrouver la dignité et l’espérance.

Que dire des associations chrétiennes ? Beaucoup ont adopté la même attitude : oui à l’aide alimentaire, à l’aide médicale, à la restauration des maisons et des églises, à la pastorale. Non, aux projets de développement, aux projets qui donnent du travail aux gens. Pourtant, le Pape François a exhorté plus d’une fois les chrétiens de Syrie de ne pas quitter la terre de leurs ancêtres, la terre de leurs racines chrétiennes. Mais l’exode continue ; bientôt, nous ne serons plus qu’une poignée pour remplir de belles églises restaurées, mais vides. Et vous voulez que nous ne soyons pas EN COLÈRE. Nous nous battons tous les jours contre ces politiques absurdes et injustes mais peut-être qu’un jour, nous baisserons les bras et nous irons rejoindre les foules en exil !!!

Nous poursuivons nos autres projets avec toujours plein d’entrain, d’amour et de solidarité avec les plus démunis et les déplacés. Comme vous le savez, nous avons la responsabilité des 125 familles kurdes déplacées, chassées d’Afrin par les Turcs et installées dans un camp de tentes en plein bled, le camp Shahba. Ce camp est situé à 3 km des lignes de front dans une région entourée par les groupes rebelles armés. En plus de la distribution régulière des denrées alimentaires et des produits sanitaires, des réchauds à gaz, des thermos, des couvertures etc., nos équipess’occupent des petits enfants, des plus grands, des adolescents (tes) et des femmes pour faire, dans la mesure du possible, de l’instruction, de l’éducation et du développement humain.

Notre nouveau projet « Bamboo » s’occupe des adolescents (tes) d’Alep qui ont souffert de la guerre. Par des activités éducatives et un suivi personnel fourni par les membres de notre projet Seeds de support psychologique, nous essayons de panser les blessures de la guerre et les aider à trouver un équilibre et un épanouissement.

Nos autres projets éducatifs, Apprendre A Grandir et Je Veux Apprendre poursuivent l’éducation des enfants de 3 à 6 ans de familles déplacées ou démunies. La Goutte de lait distribue du lait à 3000 enfants chaque mois, avec cependant beaucoup de difficultés pour trouver sur le marché le lait spécial pour nourrissons. Nous continuons à aider 300 familles déplacées à se loger en payant leurs loyers et à aider les malades dans le besoin à se faire traiter et/ou opérer. Nos sessions de Développement de la femme sont appréciées par les participantes. Notre projet Heartmade pour le recyclage des vêtements se développe de mieux en mieux.

Nous avons recu récemment la visite du frère Juan Carlos, le provincial de la province Méditerranée des frères Maristes dont dépend la communauté d’Alep, accompagné de Koki, un responsable mariste laïc et engagé. Ils ont vécu avec nous 4 journées très intenses, ont partagé toutes nos activités, ont apprécié notre mission et notre esprit et nous ont offert leur appui et leur support et celui de tous les Maristes de la province.

Nous venons d’ouvrir un compte sur Instagram : maristesbleus. Vous pouvez par les photos nous suivre et partager solidairement nos divers programmes.

Notre livre « les lettres d’Alep » ne s’arrache pas comme des petits pains mais se vend assez bien. Il dit notre vécu et notre témoignage pendant les années de guerre et raconte notre réponse, à travers notre association les Maristes Bleus, à la détresse, la misère et les souffrances de nos compatriotes. Nous invitons nos amis à se le procurer et à le diffuser autour d’eux. Vous pouvez vous le procurer directement chez l’éditeur l’Harmattan ou le commander chez votre libraire ou en ligne.

Bientôt, ce sera le 15 mars 2019. Déjà, 8 ans qu’aura débuté cette guerre inique, absurde et atroce qui a détruit notre pays, a tué 400,000 personnes, a poussé à l’exil un million de citoyens, a fait 4 millions de réfugiés dans les pays voisins et 8 millions de déplacés internes qui ne vivent plus dans leur domicile.

EN COLÈRE, oui, nous le sommes, mais nous gardons quand même l’espoir de voir la guerre se terminer et l’Espérance de voir la Paix enfin instaurée.

Nabil Antaki

Pour les Maristes Bleus

Alep le 18 février, 2019

Avis de non-responsabilité: Les opinions exprimées dans cet article n'engagent que le ou les auteurs. Le Centre de recherche sur la mondialisation se dégage de toute responsabilité concernant le contenu de cet article et ne sera pas tenu responsable pour des erreurs ou informations incorrectes ou inexactes.