Syrie : Monseigneur Al-Raï à Damas … messages et implications ?
La visite à Damas du Patriarche maronite libanais, Bechara Boutros Raï, pour assister à la cérémonie d’intronisation du nouveau patriarche grec-orthodoxe d’Antioche et de tout l’Orient, Youhanna X Yazigi, est un événement en soi [1] ! Elle est à inscrire comme « signe distinctif » dans le cadre de ce qui se passe actuellement en Syrie et autour de la Syrie, ainsi qu’un « message » d’une importance considérable envoyé dans plusieurs directions à la fois. Un message dont les multiples significations et connotations se sont révélées plus ou moins traumatisantes selon l’intérêt ou le degré d’implication des « destinataires » dans les affaires syriennes, et dans l’agression qui vise la Syrie depuis bientôt deux années.
Mais avant d’aborder toutes les questions soulevées par cette visite, il nous faut nous arrêter devant la personnalité exceptionnelle du Patriarche Al-Raï, le patriarche de la solidarité et de l’amitié, et surtout le patriarche d’une « Nouvelle voie » confirmée par cette visite d’une dimension qui dépasse de loin les considérations purement ecclésiastiques. Il nous faut souligner son courage, sa sagesse, sa clairvoyance et son engagement en tant que « Bon Pasteur » partageant, coûte que coûte, les épreuves et les dangers qui guettent ses fidèles, sans jamais les abandonner et profiter, par exemple, du confort de sa situation et des « hôtels cinq étoiles »… comme c’est le cas pour beaucoup de prétendus chefs ou dirigeants par les temps qui courent !
Le périple terrestre du Patriarche Al-Raï de Beyrouth vers Damas, par la route de « Bawabat al-masna’ » en passant par les terres cultivées de la « Ghouta » à l’Ouest de Damas, a été un choc pour ceux-là qui, au Liban et dans la région, se sont manifestement trouvés déstabilisés ; notamment ceux qui s’imaginaient en situation d’ordonner et de se faire obéir ! Ils ont chaviré au point de trahir leurs arrières pensées concernant les Chrétiens d’Orient, et de révéler leur communauté de point de vue avec le « Plan sioniste » cherchant à les marginaliser et à les arracher à leur terre. C’est là-dessus que nous avions attiré l’attention, à maintes reprises, en disant qu’aujourd’hui les Chrétiens d’Orient sont face à deux stratégies: soit ils restent enracinés dans leur terre, soit ils se laissent déplacer jusqu’à leur disparition totale. Le problème concerne tout autant ceux qui ont brandi les slogans du type « La sécurité des Chrétiens avant toute autre considération », mais qui se sont pliés devant des mots d’ordre inverses en consentant à certaines alliances ayant mené au départ de leurs coreligionnaires de n’importe quelle région libanaise particulièrement envahie par les armes.
Contre tous ceux qui veulent marginaliser les Chrétiens et qui travaillent à les empêcher d’élire leurs députés au Parlement libanais, le Patriarche Al-Raï a démontré qu’il avait opté pour la première des deux stratégies précitées ; celle qui préserve leur ancrage et assure leur appartenance à l’Orient ; celle qui a également été initiée, défendue, et poursuivie par le « Général Michel Aoun » contre vents et marées !
C’est dans ce contexte que certains sont allés jusqu’à parler du Patriarche maronite comme d’un « Allié du Diable », à décrire la cérémonie d’intronisation du Patriarche grec orthodoxe à Damas comme une « Messe satanique », à publier des représentations caricaturales de sa personne… Autant de réactions qui n’expriment que l’amertume et le délire de certains camps libanais et régionaux engagés dans l’agression contre la Syrie ; les divers camps de tous ceux qui ont rêvé de l’anéantir, ont béni les hordes de takfiristes destructeurs et anihilateurs arrivés des quatre coins de la planète, et ont travaillé à démolir les forces qui incommodent Israël et empêchent la Turquie de réaliser son rêve néo-impérial !
Bien que cette visite à Damas ait revêtu un caractère religieux et protocolaire, il apparaît néanmoins que le Patriarche Al-Raï a voulu faire comprendre que le mensonge généralisé et la guerre psychologique tous azimuts ne peuvent affecter celui qui, en cherchant la vérité, est capable de distinguer le grain de l’ivraie. En d’autres termes, celui qui cherche la vérité est apte à comprendre que le plan destructeur qui vise la Syrie, vise à « détruire la coexistence entre les religions » et, partant de là, vise la dégradation des relations humaines dans tout le Moyen-Orient. Ainsi, la Syrie serait devenue l’un des maillons de la chaîne des opérations sionistes travaillant à l’expatriation des Chrétiens de la région, comme cela s’est passé en Palestine et en Irak. Et, une fois la Syrie tombée, il n’y aurait plus eu qu’à appliquer le même procédé au Liban en accordant la même « procuration » aux mêmes mouvements salafistes, takfiristes, ou apparentés.
Mais la Syrie a résisté… Sa résistance a déjoué ce plan de dépeuplement ciblé. Elle bénéficie toujours de l’immunité et de la force nécessaires pour faire face à ce combat. Elle est donc toujours capable de garder ses enfants quelle que soit leur religion ; capable de les préserver pour leur pays autant que pour eux-mêmes ; capable de rassembler les chefs spirituels des Églises d’Orient dont le siège d’Antioche a été usurpé par la Turquie ; capable de leur offrir un nouveau point de rencontre à Damas [2] avec tous leurs partenaires dans leur profession de foi, de patriotisme, et du vivre ensemble ; et toujours aussi capables de permettre à chacun de pratiquer librement son culte sous la protection de l’État. C’est justement ce dont ont témoigné les trois patriarches réunis à Damas en ce 10 Février 2013 : Al-Raï, Al-Yazigi, et Grégoire III Laham [patriarche de l’Église grecque-catholique, avec le titre de Patriarche des Melkites d’Antioche, de tout l’Orient, d’Alexandrie et de Jérusalem, NdT], devant les dignitaires religieux de toutes confessions et des personnalités politiques du monde entier.
Le Vatican, ainsi que les États occidentaux, appréhendent désormais le danger qui menace les Chrétiens et mesure les dangers de la nébuleuse takfiriste. De plus, si d’aucuns disaient, à juste titre, que le premier moyen de défense réside dans l’unité des Chrétiens, quelle autre preuve d’unité leur faudrait-il ? Elle s’est clairement manifestée à Damas : intronisation d’un patriarche d’une Église orientale en présence de deux autres patriarches appartenant à une Église occidentale. [3]
Le gouvernement syrien, en exercice, dirige un état civil qui garantit à tous les citoyens leurs droits politiques et leur liberté de foi et de culte. La pérennité de ces garanties est nécessaire à la stabilité de la région et à la persistance de l’enracinement des citoyens chrétiens. Par conséquent, si des réformes sont encore nécessaires, elles ne peuvent se faire dans la violence.
Et la Syrie, au bout de deux années d’une agression sans précédent, a gardé son cap et reste en mesure de protéger ses visiteurs et invités, contrairement à ce que prétendent ses ennemis et à ce que claironnent les médias de la désinformation et de la discorde. Elle peut sortir de la crise. Elle est en train de sortir de la crise.
Ceux qui continuent à prétexter se battre pour des réformes feraient mieux de réviser leur logique : les seuls moyens pour trouver une issue à la crise restent le dialogue et le travail diplomatique pour aboutir à une solution politique. Désormais, le recours aux armes relève de la bêtise !
Dr Amin Hoteit
14/02/2013
Texte original : Al-binaa
البطريرك الراعي في دمشق… رسائل و تداعيات؟
Article traduit de l’arabe par Mouna Alno-Nakhal pour Mondialisation.ca
Notes :
[1] Youhanna X Yazigi, nouveau patriarche de l’Église grecque-orthodoxe d’Antioche
[2] Visite historique du Patriarche maronite à Damas / par Pierre Khalaf
http://neworientnews.com/news/fullnews.php?news_id=88322
[3] Sans oublier la présence des chefs spirituels de tous les courants de la foi musulmane ; NdT.
Le Docteur Amin Hoteit est libanais, analyste politique, expert en stratégie militaire, et Général de brigade à la retraite.