SYRIE : Œil de Lynx au Mont Kassioun

Chronique de nos envoyés spéciaux (suite et fin)

Au journal de 8h de France Culture[1], ce matin 9 septembre, reportage de Valérie Crova au Mont Kassioun. Présentation d’abord de la situation en Syrie, par Amélie Perrier : « Une autre manière de communiquer [du régime, elle vient de parler de l’interview du président Assad à CBS] c’est d’embarquer en ce moment des journalistes étrangers sur le terrain ». Intéressant.

En principe, embarqués est la traduction du terme embedded : qui couche avec. Dans la situation décrite par nos journalistes, on s’attendait plutôt à entendre « c’est de prendre en otages les journalistes étrangers ». Lapsus ou erreur d’appréciation ? Ou tout simplement nos journalistes finissent-ils par s’emmêler les pinceaux dans ce que José Saramago appelle «brosser le background » ?

Marc Voinchet apporte discrètement sa pierre à l’édifice de désinformation en annonçant que Valérie Crova « a rencontré des habitants qui acceptent de servir de bouclier humain » : « acceptent » implique que non seulement ils n’y ont pas pensé tout seuls, mais qu’on a même dû leur demander d’y aller.

Vient ensuite le reportage de l’envoyée spéciale, embarquée mais qui ne restera pas coucher au Mont Kassioun où sont « arrivés en bus une cinquantaine de partisans de Bachar »[2]. « Cela ressemble fortement à une opération de propagande » ; interview d’une « femme voilée » disant qu’ils attendent de pied ferme les frappes françaises et étasuniennes et « passe le bonjour » à Hollande. Fin du reportage de Crova : « Avant de quitter Kassioun nous croisons un autre bus avec à l’intérieur des femmes aveugles et handicapées ; tout le monde est apparemment mis à contribution ».

Valérie Crova a, elle, une excellente vue : elle arrive à distinguer des femmes aveugles « à l’intérieur d’un bus […] croisé [en quittant les lieux] ».

Admettons (l’extraordinaire acuité visuelle de notre reporter) ; mais serait-ce donc que pour elle des « aveugles » et des « handicapées » (et voilées, peut-être) ne peuvent qu’être des femmes manipulées, ou des sottes dont le régime abuse ?

Valérie Crova, toujours à la condition que l’on se fie à sa vue perçante, n’imagine pas qu’il pourrait s’agir, par exemple, de « femmes aveugles » et/ou « handicapées » rescapées d’attentats ou des massacres et mutilations opérées par les « révolutionnaires » ; et qui viennent apporter la contribution que l’invalidité leur consent à la défense de leur pays. Dommage qu’elle n’ait pas fait demi-tour, notre envoyée lucide, pour aller interviewer et filmer les « handicapées ».

Ne chargeons pas trop nos envoyés sur le terrain ; Perrier, Voinchet et Cie, ici, ne risquent que leur poste s’ils se démarquent trop de la propagande. Mais Valérie Crova sait bien, elle, qu’elle risque beaucoup plus « dans la région » ; pas de la part des forces du régime puisqu’à leur barbe (pour ceux qui en ont, de ce côté-là) elle déclare qu’on l’a forcée à aller sur le terrain etc. et le régime ne l’a pas censurée. Elle sait, même si elle ne nous le dit pas, ce qui arrive à celles, et à ceux que la « rébellion » enlève.

Comme le jésuite Paolo Dall’Oglio qui, ici, au printemps, sur toutes nos radios, plateaux télés et presse écrite, prêchait dans «la rage et la lumière » le djihad, la guerre sainte, armée.

Présenté à France Culture (Les matins, 2 mai 2013) par M. Voinchet comme fondateur et animateur « du monastère de Mars (sic) Moussa »[3], Dall’Oglio nous explique qu’« on a ici une idée négative du djihad ». Puis déclare : « Je suis l’assistant ecclésiastique de la révolution syrienne armée »[4]. Pauvre homme.

C’est curieux comme notre presse (y compris la Croix) ne parle plus du tout de leur ami « porté disparu en Syrie, à Rakka (zone libérée) depuis le 29 juillet 2013 »  […] Le père Paolo Dall’Oglio a été tué par des rebelles islamistes liés à al Qaeda. Des militants présents dans la ville de Rakka, où le jésuite avait été enlevé le 30 juillet, ont affirmé qu’il avait été « tué dans les geôles de l’Etat islamique en Irak et au Levant« . »[5]

Ceux qui parleront, peut-être, « quand La Stampa le leur dira » (cf. Piccinin), des conditions de survie dans les « geôles des rebelles» ce sont Piccinin et Quirico, libérés (par qui ?) des « zones libérées », hier 8 septembre. Ne pas manquer compte-rendu et vidéo du débarquement[6]. Ainsi que Domenico Quirico dans « La révolution m’a trahi »[7], mais qui déclare maintenant, en gros, que Piccinin dit n’importe quoi sur le gaz utilisé par les « rebelles ». Trahi, Piccinin, aussi. 

  On pourra lire le témoignage d’une autre femme voilée, sur le terrain depuis 20 ans, que Valérie Crova n’a interviewée ni à Beyrouth ni au monastère de Saint Jacques le Mutilé à Qara, ni à Damas.  Russia Today l’a fait :

« Syrie : Sans couverture internationale, les terroristes n’auraient jamais osé franchir les lignes rouges !

Par Mère Agnès-Mariam de la Croix.

Extraits :

RT : Dernièrement, vous vous êtes rendue à Lattaquié où vous avez recueilli des témoignages sur les massacres commis par des groupes armés de « Jabhat al-Nosra » contre les citoyens de cette région. Que pouvez-nous dire à ce sujet ?

Mère Agnès : Je crierai mon indignation en me demandant encore comment est-il possible que la communauté internationale ait pu fermer les yeux sur le « génocide » qui a eu lieu la nuit du 4 au 5 Août… « La Nuit du Destin » ! Plus de 500 enfants et personnes âgées ont trouvé la mort, sauvagement massacrés à l’arme blanche. Les témoignages sont terrifiants, mais mis à part quelques lignes dans l’Independant je crois, personne n’en a parlé ! Nous avons dépêché une de nos équipes vers ces villages de la région de Lattaquié. Elle a rencontré les familles des victimes… Tout ce que je peux vous dire est que ces massacres sont d’une extrême gravité et que nous ne comprenons toujours pas « les deux poids deux mesures » dans le traitement des massacres, selon qu’ils aient été sanglants ou non !

RT : Il semble que les groupes armés aient aussi fait des prisonniers parmi les habitants et qu’ils les retiennent dans les environs de Lattaquié. Savez-vous ce qu’ils sont devenus ?

Ce que nous savons, nous le tenons des familles des victimes. Ainsi, dans le village d’Al-Sarba, les maisons ont été incendiées et tous ceux qui étaient présents ont été passés à l’arme blanche. À Al-Kharata, un lotissement de 67 âmes, 10 seulement ont échappé à la mort. Au total, 12 villages peuplés d’Alaouites ont vécu les décapitations, les démembrements… nous avons même les clichés d’une jeune femme découpée vivante. Les massacres dans cette région de Lattaquié se sont soldés par plus de 400 martyrs et 150 à 200 prisonniers dont des enfants, des femmes et des personnes âgées. Nous travaillons toujours à leur libération. [ …]

RT : Dernière question Mère Agnès. Croyez-vous que la Syrie réussira à s’en sortir et redeviendra la patrie de tous, quelles que soient leurs confessions ?

J’en suis certaine ! Je suis certaine que le peuple syrien résiste et résistera. Il dépassera les blessures et la discorde et adoptera le pardon. Il chassera de son territoire chacun des mercenaires terroristes. Il ramènera la paix. Mais pour cela, il a besoin de l’aide de la vraie communauté internationale ! »[8] 

Le background a changé ce soir après la superbe réponse que les ministres syrien et russe des Affaires étrangères ont faite aux rodomontades de Kerry[9]: « À 15h30 (Temps universel), Walid Mouallem a donné une conférence de presse dans laquelle il a indiqué que, dans un souci d’apaisement, son pays acceptait de confier pour destruction tout son arsenal chimique aux Nations Unies et d’adhérer à la Convention internationale prohibant ces armes. » Kerry a déclaré alors qu’il n’était pas sûr de pouvoir leur faire confiance.

Parce que nous, à propos d’intoxication, on doit faire confiance à quelqu’un dont la fortune et par conséquent la carrière politique reposent sur le tomato ketchup ?

Sans blague.

Marie-Ange Patrizio

 



[9] « Interrogé ce matin lors de son escale à Londres sur ce qui permettrait à la Syrie d’éviter la guerre, le secrétaire d’État John Kerry a répondu « Bien sûr, il pourrait remettre chaque élément de son arsenal chimique à la communauté internationale dans la semaine à venir – le remettre, tout cela sans retard et autoriser une vérification totale, mais il n’en a pas l’intention et c’est impossible à faire » » http://www.voltairenet.org/article180167.html



Articles Par : Marie-Ange Patrizio

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