Tachkent ferme une autre base militaire et donne la migraine à Washington
La nouvelle décision prise par Tachkent d’interdire l’espace aérien ouzbek aux avions de combat de l’OTAN aura, on s’en doute, une incidence des plus négatives sur l’appui logistique et autre aux contingents militaires des pays impliqués dans la Force internationale d’assistance à la sécurité en Afghanistan (ISAF) étant donné que son commandement général est assumé par l’Alliance de l’Atlantique Nord.
Rappelons que précédemment l’Ouzbékistan avait fermé la base américaine Khanabad. Si elle ne place pas les Etats-Unis devant des problèmes inextricables dans le cadre de la campagne antiterroriste qu’ils mènent parallèlement avec l’OTAN, la nouvelle décision de Tachkent n’est pas faite pour simplifier l’opération américaine dans ce pays, bien au contraire.
Mercredi, 23 novembre, les autorités ouzbèques ont officiellement informé plusieurs pays membres de l’OTAN de la fermeture du « pont aérien » en Afghanistan, au moyen duquel l’alliance acheminait ses effectifs et ses matériels de guerre. Selon un fonctionnaire haut placé au siège de l’OTAN à Bruxelles, « l’appui logistique de l’ISAF n’en sera pas réduit » pour autant. Selon lui, des « potentialités alternatives » seront utilisées pour acheminer les effectifs et les matériels jusqu’en Afghanistan. De toute façon, le pont aérien Ouzbékistan-Afghanistan était utilisé par la seule Allemagne.
Dans quelle mesure le représentant de l’OTAN a-t-il raison? En Ouzbékistan jusqu’à mercredi dernier il y avait une seule base aérienne fonctionnant dans le cadre de l’ISAF, et depuis le départ du contingent de l’US Air Force de la base aérienne Khanabad c’était la seule base militaire que l’Occident pouvait utiliser dans ce pays pour l’opération en Afghanistan. Cette base est située à Termez, une ville limitrophe de l’Afghanistan, reliée au port fluvial afghan de Hairatan par le « pont de l’Amitié (appelé ainsi à l’époque soviétique) enjambant le fleuve Amou Daria. On imagine l’importance stratégique de cet ouvrage d’art pouvant être emprunté par des convois ferroviaires (ce pour quoi, au fond, il avait été construit).
C’est vrai que la base de Termez n’était utilisée que par l’Allemagne pour assurer l’appui logistique de ses troupes en Afghanistan et qui pour le moment opèrent exclusivement dans le cadre de l’ISAF, c’est-à-dire séparément des Américains. Seulement dans un certain sens, l’ISAF c’est l’Allemagne puisque le contingent le plus nombreux au sein de cette structure est à ce jour précisément celui de l’Allemagne. Par conséquent, la perte par l’Allemagne de la base va forcément créer des problèmes pour l’ensemble du contingent de l’ISAF.
Qu’est-ce que l’on entend par « potentialités alternatives » pour assurer l’appui logistique de l’ISAF en Afghanistan? La Turkménie a déclaré qu’en ce qui concerne l’implantation de bases militaires sur son territoire elle prendra en considération tout d’abord les intérêts de ses voisins, à savoir les républiques centrasiatiques et la Russie. Une position à peu près semblable est occupée par le Tadjikistan. Pour ce qui est de la base aérienne des Etats-Unis à Manas (Kirghizie), actuellement elle est encombrée d’avions de transport militaires américains C-130 et C-17 transférés de Khanabad, et géographiquement elle présente des inconvénients.
Le ministère espagnol de la Défense, qui dans le contexte de la rotation assurera en 2006 le commandement de l’ISAF en Afghanistan et qui par conséquent devra porter les effectifs de son contingent de 540 à 2.500 hommes, a déjà fait savoir sa préoccupation sur ce problème. Pour le ministre espagnol de la Défense, la décision de Tachkent va rendre le transport des troupes « plus long, plus compliqué et plus onéreux ». Enfin, l’essentiel. Les Etats-Unis ne font pas partie de l’ISAF, ils sont à la tête de leur « propre » coalition antiterroriste internationale en Afghanistan et depuis longtemps ils nourrissent l’idée d’une fusion de cette coalition avec l’ISAF sous commandement unique de l’OTAN. Après l’adoption par l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS) de la déclaration que l’on sait, dans laquelle il est demandé aux Etats-Unis de fixer les délais limites de la présence de leurs bases dans les républiques centrasiatiques (sur entente avec Moscou et les capitales centrasiatiques ces délais devaient correspondre à la fin de l’opération antiterroriste en Afghanistan) le Pentagone a sensiblement accentué la pression sur l’OTAN pour que l’alliance prenne la tête de la « coalition » américaine et de l’ISAF. Ce n’est pas un secret que le pouvoir militaire au sein de l’OTAN est pratiquement exercé par ces mêmes Américains, les dépenses étant couvertes par les Européens également.
Dans ce cas les Etats-Unis placés sous la « juridiction » de l’ISAF pourraient utiliser la base allemande de Termez. Mais maintenant les Etats-Unis n’ont plus cette possibilité. Il serait manifestement prématuré d’évoquer l’achèvement réussi de la campagne antiterroriste en Afghanistan. Bien que la situation d’ensemble dans ce pays reste encourageante, cette année les talibans et Al-Qaida, l’ennemi juré des Etats-Unis, ont redoublé d’activité, ce qui s’est traduit par une augmentation des pertes humaines subies par la coalition antiterroriste, surtout au sein du contingent américain, mais encore par la population civile. Ce qui est évidemment un facteur préoccupant. Le président afghan, Hamid Karzaï, a d’ailleurs exigé du commandement de la « coalition » qu’il « reconsidère la stratégie et la tactique de conduite des opérations antiterroristes dans le pays ».
Il apparaît donc que les tâches militaires en Afghanistan vont se compliquer, et ce au moment même où l’OTAN n’a plus la possibilité d’emprunter l’espace aérien de l’Ouzbékistan pour rallier l’Afghanistan. Dans cette situation il est peu probable que les dirigeants de l’Alliance acceptent avec empressement – si jamais ils donnent leur accord – la proposition du Pentagone de transférer sous juridiction otanaise le commandement général de toutes les opérations afghanes. En d’autres termes, l’OTAN a de moins en moins intérêt à prendre sur soi les soucis de Washington.