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Te souviens-tu d’Ophira ?
Par Uri Avnery
Mondialisation.ca, 12 mars 2009
Gush Shalom 12 mars 2009
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CETTE SEMAINE j’ai éprouvé de la nostalgie. J’ai rencontré une délégation de parlementaires d’un pays européen. C’est le lieu de cette rencontre qui en a fait pour moi quelque chose de particulier.

La « Salle du Pacha » de l’hôtel de l’ »American Colony » à Jérusalem Est est un beau hall carré, décoré dans le style arabe traditionnel. Je me trouvais dans ce hall au moment où Yitzhak Rabin a tendu la main à Yasser Arafat sur la pelouse de la Maison Blanche lors de la cérémonie de signature des accords d’Oslo.

Nous nous étions réunis spontanément, militants de la paix israéliens et leaders du Fatah pour fêter ensemble l’événement. Nous avions suivi la cérémonie à la télévision et débouché des bouteilles de champagne. J’ai encore l’un des bouchons.

Juste une heure plus tôt, j’avais assisté à une autre rencontre beaucoup moins drôle. Un groupe de jeunes palestiniens, fous de joie, défilaient dans les rues, des rameaux d’olivier à la main, avec un grand drapeau palestinien flottant au-dessus de leurs têtes. Au coin de la rue, une unité de la police des frontières – la force la plus anti-arabe d’Israël. À l’époque la simple détention d’un drapeau palestinien était un crime.

Pendant un moment, nous avons retenu notre souffle. Qu’allait-il se passer ? Les Palestiniens coururent vers les policiers pour leur jeter des rameaux d’olivier dans les bras. Les policiers ne savaient pas quoi faire. Ils étaient tellement désorientés qu’ils sont restèrent sans réaction. Les jeunes, enthousiastes, ont poursuivi leur chemin dans les rues de Jérusalem Est en chantant joyeusement.

Aujourd’hui, quinze ans et demi plus tard, on peut seulement évoquer avec nostalgie cette passion de la paix qui nous possédait tous alors. Rien n’a subsisté de cette ferveur, de cet espoir, de cette ardeur de réconciliation.

Tout cela a maintenant fait place à un mélange empoisonné de désespoir et de découragement.

Si vous arrêtez au hasard une dizaine de passants dans les rues de Tel Aviv pour leur demander leur avis sur les chances de paix, neuf d’entre eux hausseront les épaules et répondront : cela n’arrivera pas. Il n’y a aucune chance. Le conflit se poursuivra indéfiniment.

Ils ne diront pas : nous ne voulons pas de la paix, le prix de la paix est trop élevé. Au contraire, beaucoup diront que pour obtenir la paix, ils sont prêts à rendre les territoires occupés, même Jérusalem Est et à consentir que les Palestiniens aient leur propre état. Certainement. Pourquoi pas ? Mais ils ajouteront : aucune chance. Il n’y aura pas de paix.

Certains diront : les Arabes n’en veulent pas. D’autres vont dire : nos dirigeants ne sont pas capables d’y arriver. Mais la conclusion est la même : cela ne va tout simplement pas se produire.

Un sondage du même genre chez les Palestiniens conduirait probablement aux mêmes résultats : nous souhaitons la paix. La paix serait merveilleuse. Mais elle n’a aucune chance. Cela n’arrivera pas.

Ce sentiment a produit la même situation politique des deux côtés. Lors des élections palestiniennes, le Hamas l’a emporté, non pour son idéologie, mais parce qu’il exprime l’absence d’espoir de paix avec Israël. Lors des élections israéliennes, on a constaté une évolution générale vers la droite : les gens de gauche ont voté pour Kadima, les électeurs de Kadima ont voté pour le Likoud et les électeurs du Likoud ont voté pour les groupes fascistes. 

Sans espoir, il ne peut pas y avoir de Gauche. La Gauche est optimiste par nature, elle croit à un avenir meilleur, à la possibilité de faire tout évoluer vers quelque chose de meilleur. La droite est pessimiste par nature. Elle ne croit pas qu’il soit possible de faire évoluer la nature humaine et la société vers un mieux, elle est convaincue que la guerre est une loi de la nature.

Mais parmi ceux qui désespèrent, il y a encore ceux qui espèrent qu’une intervention étrangère – des Américains, des Européens, même des Arabes – nous imposera la paix.

Cette semaine, cet espoir a été sérieusement ébranlé.

À LA TÉLÉVISION on nous a présenté une conférence exceptionnellement imposante, une grande assemblée de dirigeants mondiaux qui sont tous venus à Sharm-el-Sheikh (vous souvenez-vous que pendant notre occupation du Sinaï, on l’appelait Ophira ? Vous souvenez-vous de Moshe Dayan déclarant qu’il préférait Sharm-el-Sheikh sans la paix que la paix sans Sharm-el-Sheikh ? )

Qui pouvait bien manquer là-bas ? Les Japonais et les Chinois côtoyaient les Saoudiens et les Qataris. Nicolas Sarkozy était partout (En effet, il était presqu’impossible de prendre une photo sans que l’hyperactif président français n’y figure quelque part). Hilary Clinton était la star. Hosni Moubarak fêtait sa réussite à les réunir tous en territoire égyptien.

Et pour quel objet ? Pour la petite, la pauvre Gaza. Il fallait la reconstruire.

Ce fut une cérémonie d’hypocrisie moralisatrice, dans la meilleure tradition de la diplomatie internationale.

Tout d’abord, il n’y avait là personne de Gaza. Comme aux beaux jours de l’impérialisme européen, il y a 150 ans, on a décidé du sort des indigènes en l’absence des indigènes eux-mêmes. Qui a besoin d’eux ? Après tout, ce ne sont que des primitifs. Il vaut mieux faire sans eux.

Le Hamas ne fut pas le seul à être absent. Une délégation d’hommes d’affaires et de militants de la société civile n’a pas pu venir non plus. Moubarak leur a tout simplement interdit de franchir le passage de Rafah. La porte de la prison nommée Gaza était tenue fermée par les geôliers égyptiens.

En l’absence de délégués de Gaza, en particulier de délégués du Hamas, la conférence a tourné à la farce. Le Hamas gouverne Gaza. Il y a gagné les élections, là comme dans les territoires palestiniens, et il continue d’y exercer le pouvoir même après que l’une des plus puissantes armées de la planète eut passé 22 jours à tenter de l’en déloger. Rien ne peut se faire dans la Bande de Gaza sans l’accord du Hamas. La décision mondiale de reconstruire Gaza sans la participation du Hamas est une pure folie.

La guerre a pris fin sur un fragile cessez-le-feu qui s’effondre sous nos yeux. Dans son discours d’ouverture de la conférence, Moubarak suggéra que c’était Olmert qui s’opposait à un armistice (Tadyah ou calme en arabe). Personne à la conférence n’a réagi. Mais, en l’absence de cessez-le-feu, c’est une autre guerre encore plus destructrice qui menace. Ce n’est qu’une question de temps – de mois, de semaines, peut-être de jours. Ce qui n’a pas encore été détruit sera alors  détruit. Quel intérêt y a-t-il alors à investir des milliards dans la reconstruction d’écoles, d’hôpitaux, d’immeubles gouvernementaux et de maisons d’habitation qui vont tous être de nouveau détruits de toutes façons ?

Moubarak a parlé d’échange de prisonniers. Sarkozy a parlé avec beaucoup de pathos du soldat « Gilad Shalit”, un citoyen français que tous les Français veulent voir libérer. Il y a 11.000 prisonniers palestiniens dans les prisons israéliennes. Combien parmi eux possèdent aussi la citoyenneté française ? Sarkozy n’en a pas parlé. Cela ne l’intéresse pas. Même dans cette brochette d’hypocrites, il fait tout pour l’emporter.

Les membres de la conférence ont promis des sommes d’argent fabuleuses à Mahmoud Abbas. Près de cinq milliards de dollars. Combien sera réellement versé ? Combien va passer au travers du filtre de la haute administration de Ramallah pour atteindre Gaza ? Pour une femme de Gaza que l’on a vu à la télévision, une mère sans maison qui vit sous une tente au milieu d’un vaste espace boueux : pas un centime.

La partie politique de la rencontre a-t-elle été plus sérieuse ? Hilary a parlé de « Deux États pour deux peuples ». D’autres ont parlé du « processus politique » et de « négociations de paix ». Et tous, la totalité d’entre eux, savaient que ce n’était là que des mots creux.

DANS SON poème « Si », Rudyard Kipling demandait « Si tu peux supporter d’entendre tes paroles / travesties par des gueux pour exciter des sots. » C’est maintenant un test pour tous ceux qui se tenaient près du berceau de l’idée de « Deux États » il y a quelques 60 années.

Cette vision était – et reste – la seule solution viable au conflit israélo palestinien. La seule solution alternative réaliste est le maintien de la situation actuelle – occupation, oppression, apartheid, guerre. Mais les ennemis de cette vision sont devenus plus malins et prétendent la défendre à chaque occasion.

Avigdor Liberman est en faveur de « Deux États ». Absolument. Il précise sa conception : plusieurs enclaves palestiniennes, chacune encerclée par l’armée israélienne et des colons comme lui-même. Ces bantoustans s’appelleraient un « État Palestinien ». Une solution idéale en effet : l’État d’Israël serait nettoyé des Arabes, mais continuerait à imposer sa loi à toute la Cisjordanie et à la Bande de Gaza.

Benyamin Netanyahu a une conception semblable qu’il énonce différemment : les Arabes « se gouverneront eux-mêmes ». Ils gouverneront leurs villes et leurs villages, mais pas le territoire, ni la Cisjordanie, ni la Bande de Gaza. Ils n’auront pas d’armée, évidemment, ni aucun contrôle de l’espace aérien au-dessus de leurs têtes. Ils n’auront aucun contact physique avec les pays voisins. C’est ce que Menahem Begin avait coutume d’appeler « autonomie »

Mais il y aura une « paix économique » L’économie palestinienne pourra « prospérer ». Même Hilary Clinton a qualifié publiquement cette idée de ridicule avant sa rencontre avec Netanyahu.

Tzipi Livni veut « Deux États Nations ». Oui M’dame. Quand ? Eh bien… Avant tout il faut des négociations, sans limite de temps. Elles n’ont pas porté de fruits pendant les années au cours desquelles elle les a conduites et elles n’ont mené à rien. Ehoud Olmert parle de « processus politique » – pourquoi ne l’a-t-il pas fait aboutir à un résultat positif pendant les années où il a été aux affaires ? Pendant combien de temps faudra-t-il que le « processus » se poursuive ? Cinq ans ? Cinquante ? Cinq cents?

Ainsi Hillary parle de « Deux États » Elle en parle avec beaucoup de force. Elle est prête à en parler avec n’importe quel gouvernement israélien qui va être constitué, même s’il s’inspire des idées de Meir Kahane ? La chose essentielle, c’est qu’il parle avec Mahmoud Abbas, et que, dans le même temps Mahmoud Abbas reçoive de l’argent, beaucoup d’argent.

Un gouvernement d’EXTRÊME droite est sur le point d’être constitué. Kadima à eu le mérite de refuser d’en faire partie. D’un autre côté, Ehoud Barak, le père de la formule « Nous n’avons pas de partenaire pour la paix » cherche désespérément à y entrer.

Et pourquoi pas ? Il ne sera pas le premier politicien de son parti à se prostituer.

En 1977, Moshe Dayan a quitté le parti travailliste pour devenir ministre des Affaires étrangères et servir de « feuille de vigne » à Menahem Begin qui s’opposait énergiquement à la constitution d’un État Palestinien. En 2001, Shimon Peres a conduit le Parti Travailliste à rejoindre le gouvernement d’Ariel Sharon, afin de devenir Ministre des Affaires Étrangères et de servir de « feuille de vigne » à l’homme dont le seul nom faisait frémir le monde entier après le massacre de Sabra et Shatila. Alors, pourquoi Ehoud Barak n’irait-t-il pas servir de « feuille de vigne » à un gouvernement qui comprend des fascistes absolus ?

Qui sait, il va peut-être même nous représenter à la conférence d’Ophira – pardon, de Sharm-el-Sheikh – celle qui se réunira après la prochaine guerre, au cours de laquelle Gaza sera rasée. Après tout, il faudra beaucoup d’argent pour la reconstruire.

Article en anglais : Remember Ophira ? Gush Shalom, le 7 mars 2009.

Traduit de l’anglais pour l’
AFPS : FLPHL.

Uri Avnery est journaliste et cofondateur de Gush Shalom.  

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