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Têtes dirigeantes du Hezbollah mises à prix par les USA: jusqu’à quel point l’organisation en est-elle affectée?
Par Elijah J. Magnier
Mondialisation.ca, 24 avril 2020
ejmagnier.com 22 avril 2020
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Le gouvernement des USA promet des récompenses à quiconque fournirait des renseignements menant à l’arrestation d’une tête dirigeante du Hezbollah ou révélerait des détails sur leurs activités pour mieux les perturber. Ces récompenses varient de cinq à dix millions de dollars. Jusqu’à maintenant, personne n’a pu toucher le moindre dollar de ces récompenses offertes par l’administration américaine depuis 1985, lorsque l’organisation a officiellement vu le jour au Liban. Jusqu’à quel point ces millions de dollars alléchants offerts par Washington affectent-ils l’organisation et ses dirigeants?

Il ne fait aucun doute que l’Axe de la Résistance au Liban fonctionne hors du système américain. Le Hezbollah ne possède pas de propriétés à l’extérieur du Liban, ni de comptes dans une banque locale à l’intérieur ou à l’extérieur du pays, notamment dans des pays occidentaux. Aucun membre de la famille ou enfant des dirigeants du Hezbollah ne se trouve dans des pays occidentaux, en restant hors de l’orbite du chantage américain. Ainsi, la décision des USA d’inclure les leaders du Hezbollah dans leur liste noire du terrorisme et de confisquer leurs fonds inexistants n’est rien de plus qu’un étalage ostentatoire des USA qui se targuent de leur titre autoproclamé de policier du monde.

Washington croit qu’en annonçant les noms de dirigeants du Hezbollah, cela donnera un élan aux alliés des USA au Liban. Mais ces derniers sont trop faibles (quoique persévérants et jouissant d’une certaine influence) pour affronter le Hezbollah. Ce qu’il convient de retenir, c’est que les sanctions des USA ne peuvent être efficaces dans un pays comme le Liban ou tout autre pays sous la houlette de l’Axe de la Résistance, car il s’agit de pays souverains qui échappent au contrôle direct des USA et l’Axe est loin d’être faible.

Ce qui nous ramène à l’Irak, un château fort de l’Axe de la Résistance, pendant la campagne parlementaire de 2018. Avant les élections, l’envoyé spécial du président des USA dans le cadre de la lutte contre Daech, l’ambassadeur Brett McGurk, a rendu visite au ministre de la Sécurité nationale Faleh Al-Fayyad à son bureau à Bagdad. McGurk s’est plaint qu’al-Fayyad avait rencontré cheikh Muhammad Kawtharani, un responsable du Hezbollah figurant dans la liste noire du terrorisme établie par les USA. Al-Fayyad a répondu ceci : « Il n’est pas permis de s’immiscer dans les affaires intérieures irakiennes ni dans ce que fait un citoyen irakien. Cheikh Kawtharani est un citoyen irakien et les USA n’ont pas d’autorité ou de pouvoir sur nous pour nous dicter qui nous pouvons ou ne pouvons pas recevoir. »

Des sources dans l’Axe de la Résistance confirment que « cheikh Muhammad Kawtharani n’a jamais été un leader militaire, qu’il fait plutôt partie du bureau politique, en raison de ses études et de la présence de son père, un érudit et juriste qui demeure à Nadjaf depuis des années. Cheikh Mohammed est né et a grandi dans la ville sainte. Il est marié à une Irakienne de Bagdad et a acquis une maîtrise de la langue et de la mentalité irakiennes, ce qui lui a valu beaucoup de succès dans sa gestion du dossier irakien et dans ses échanges avec les dirigeants irakiens. Il a séjourné dans les prisons de Saddam Hussein et il a été un proche compagnon de Sayyed Abbas al-Moussaoui, le secrétaire général du Hezbollah assassiné par Israël en 1992. Il a tissé des liens étroits avec les leaders irakiens présents au Liban à titre de réfugiés quand Saddam Hussein était au pouvoir. C’est le responsable du Hezbollah qui connaît le mieux l’Irak, de la Marjaya à Nadjaf jusqu’au moindre politicien d’Irbil à Bassora. »

« Cheikh Kawtharani n’a pas d’ennemis parmi les leaders irakiens parce que sa façon d’agir avec eux n’est jamais condescendante. Il ne leur impose pas son programme ou ses conditions. Son objectif est plutôt d’obtenir l’unité des groupes irakiens sur des décisions mutuellement convenues et d’écouter leurs doléances lorsqu’ils ont de la difficulté à communiquer entre eux. C’est un coordonnateur et un médiateur, un des rôles les plus difficiles qui soient, surtout entre les partis chiites », d’expliquer la source.

« Les USA savent que cheikh Kawtharani ne travaille pas à l’intérieur du système sécuritaire et militaire du Hezbollah, mais qu’il assiste le secrétaire général Sayyed Hassan Nasrallah pour les affaires irakiennes. Sayyed Nasrallah est le leader de l’Axe de la Résistance et jouit d’excellentes relations avec les Palestiniens, les Syriens, les Irakiens, les Yéménites et divers dirigeants d’autres pays. Les USA cherchent donc à bloquer son retour de cheikh Kawtharani en Irak pour empêcher toute solidarité parmi les chiites irakiens, surtout depuis qu’il a réussi à réunifier les Irakiens après l’assassinat du major général Qassem Soleimani », de poursuivre la source.

Les partis chiites n’étaient pas satisfaits du choix du président Barham Saleh, qui avait nommé Adnan al-Zurfi au poste de premier ministre. L’Irak était aux prises avec de sérieux troubles intérieurs entre chiites, sunnites et Kurdes. Le choix de Mustafa Kazemi a fait baisser la tension avec l’aide de cheikh Kawtharani et du leadership iranien qui ont assuré une médiation pour aider les Irakiens à trouver le candidat qui convenait le mieux pour tous.

La source affirme que « cheikh Kawtharani a de meilleures relations avec la plupart des politiciens irakiens que n’importe quel dirigeant ou personnalité de l’Irak ou d’ailleurs. C’est ce qui lui a permis de travailler pour soutenir l’Irak. Ce n’est pas une récompense de 10 millions de dollars qui l’empêchera d’aller en Irak quand il lui plaira. »

Quant aux mises à prix des USA en général, elles ont des résultats positifs sur chacun des représentants du Hezbollah concernés : plus le montant offert par les USA est élevé, plus la tête mise à prix gagne en prestige. Les têtes dirigeantes mises à prix acquièrent ainsi une notoriété au Liban, en Syrie, en Irak, en Iran, au Yémen et en Palestine, car les menaces de punition par les USA sont perçues comme un signe de crainte, ce qui prouve que les leaders du Hezbollah visés possèdent une capacité de nuire à l’administration américaine.

Plus le montant est élevé, plus la tête dirigeante du Hezbollah mise à prix prend de l’importance aux yeux des autres représentants, même si les récompenses promises n’ont jamais nui au Hezbollah en 35 ans d’existence. La compensation financière du leader visé augmente, il dispose d’un budget accru et des gardes du corps et des membres du service de sécurité supplémentaires sont assignés à sa protection. De nombreux véhicules sont à sa disposition et plusieurs appartements lui sont offerts pour sa commodité et sa sécurité. Les précautions prises dans le choix d’un appartement comprennent la présence d’un ascenseur électrique qui descend jusqu’au sous-sol pour couvrir ses arrivées et départs et ses entrées et sorties.

Les récompenses promises par les USA créent de la jalousie parmi les responsables du Hezbollah qui n’ont pas encore eu l’insigne honneur d’avoir leur tête mise à prix. Ceux dont la récompense est plus faible souhaitent que les USA l’augmentent afin d’améliorer leur prestige dans la société.

Les responsables qui se retrouvent dans le peloton de tête de la liste noire du terrorisme dressée par les USA acquièrent plus de poids et obtiennent des pouvoirs additionnels. Leur crédibilité et leur influence augmentent auprès des dirigeants étrangers et des alliés pendant leurs échanges et leurs réunions, à un point tel que ces alliés se vantent de les avoir rencontrés et de s’être fait prendre en photo à leurs côtés.

Il y a fort longtemps, les USA ont ajouté Imad Mughniyeh sur leur liste noire et mis sa tête à prix. Il est par la suite devenu commandant en chef du Hezbollah et secrétaire général adjoint du conseil du djihad. Ce n’est là qu’un exemple de promotion due à l’opposition des USA.

Si les USA décident de prendre pour cibles des têtes dirigeantes qu’ils ont mises à prix, la réponse du Hezbollah sera plus vive, car cela fera partie d’une nouvelle équation de dissuasion. Ainsi, ce que les représentants des USA perçoivent comme une dure punition contre les leaders du Hezbollah devient dans les faits un moyen d’être récompensé directement à l’intérieur du système et de la société qui l’appuie. Ce n’est là qu’un des nombreux exemples de façons dont la volonté des USA de punir des groupes ou des pays insoumis se tourne à l’avantage de ces derniers, et même à l’obtention de privilèges à l’intérieur d’un système et d’une culture qu’ils ne comprennent absolument pas.

Elijah J. Magnier

Traduit de l’anglais par Daniel G.

 

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