Tornados tricolores


source de la photo: http://cencio4.wordpress.com/

Ce sera le 6ème groupe basé à Ghedi (province de Brescia) qui enverra en Afghanistan les quatre chasseurs bombardiers Tornado : communiqué de l’Aéronautique, qui précise qu’il s’agit de la version Ids (Interdiction and strike) du Tornado, “en capacité d’effectuer des missions  d’attaque et de reconnaissance”. Ils sont dotés du nouveau système Reccelite, pour l’ « obtention  de target (l’objectif à atteindre) complètement automatisée ». Mais, comme a expliqué le ministre de la défense La Russa, les avions  « serviront  non pas à bombarder mais à observer ». S’il en était ainsi, pourquoi ne pas utiliser les Predator A, les avions téléguidés que l’aéronautique a achetés en 2004 (pendant le gouvernement Berlusconi) et basés en Afghanistan pour des tâches de reconnaissance ? Pourquoi ne pas utiliser les quatre Predator B/ Reaper, dont la Commission de défense de la Chambre a approuvé l’acquisition en février dernier (pendant le gouvernement Prodi) ? Les Tornado sont en mesure de voler à une vitesse supérieure à celle du son,  le long d’un relief à quelques mètres au-dessus du sol, de manière à pénétrer en profondeur en territoire ennemi avant d’être repérés. Ils sont de ce fait destinés à l’attaque, avec des armes conventionnelles ou nucléaires. Selon des documents officiels déclassifiés –rendus publics dans le rapport US Nuclear Weapons en Europe (février 2005) du Natural Resources Defense Council– il apparaît que les Etats-Unis gardent à Ghedi 40 bombes nucléaires (plus 50 à Aviano) et que ce sont les Tornado italiens qui sont destinés à leur utilisation. Les bombes conservées à Ghedi et à Aviano sont des bombes tactiques  B-61 en trois versions, dont la puissance va de 45 à 170 kilotones (13 fois  plus que la bombe de Hiroshima).

Les bombes sont stockées dans des hangars spéciaux avec les chasseurs bombardiers prêts à l’attaque nucléaire : les F-15 et F-16 étasuniens à Aviano, et les Tornado italiens à Ghedi. La dangerosité  de cet arsenal nucléaire en Italie consiste dans le fait que notre pays  se retrouve  arrimé à la stratégie nucléaire étasunienne. Au Pentagone des armes de nouveau type sont en phase  de réalisation, parmi lesquelles des bombes nucléaires en capacité de pénétrer dans le terrain et de détruire les bunkers  des centres de commandement, de façon à « décapiter »  le pays ennemi par un first strike, une attaque nucléaire de surprise. La B-61, le type de bombe nucléaire déposée en Italie, a été modifiée pour être transformée en bombe nucléaire pénétrante : s’est ainsi ajoutée à la famille des B-61, la B61-11 qui, selon les tests, peut pénétrer dans le sol de façon à créer, par son explosion nucléaire, une onde de choc capable de détruire  des objectifs souterrains.

Il est ainsi probable que, parmi les bombes nucléaires entreposées à Ghedi et Aviano, il y ait aussi des B61-11, prêtes à l’emploi. Dans ces conditions l’Italie viole le Traité de non-prolifération des armes nucléaires qui, dans son article 2, stipule : « Chacun des Etats militairement non nucléaires, s’engage à ne pas recevoir de qui que ce soit des armes nucléaires ou d’autres  engins nucléaires explosifs, ni le contrôle sur de telles armes et engins explosifs, directement ou indirectement ».

Ceci a été confirmé le 19 juin 2008 par la Fédération des scientifiques  américains : dans le cadre  des armes  nucléaires Usa en Europe 2008, on lit que les bombes nucléaires, surveillées  à Ghedi par le 704 Munss étasunien, seront transportées  en cas de guerre par des « Tornado italiens du 6ème Groupe ». Ces mêmes avions que le gouvernement Berlusconi envoie en  Afghanistan : même sans armes nucléaires, ils constituent le fer de lance de notre aviation d’attaque. Préoccupés, les ministres « ombre » Pd (le  gouvernement « ombre » du Partito Democratico de Walter Veltroni, largement battu aux dernières élections par la coalition Berlusconi, NDT) Roberta Pinotti et Piero Fassino, ont demandé au gouvernement : « Dans quel scénario et dans quel contexte se situe l’envoi des Tornado en Afghanistan ? Cela présuppose-t-il un changement de stratégie dans la mission ? Et dans ce cas avec quels objectifs et quels engagements  pour nos forces armées ? ».

En attendant une réponse  du gouvernement Berlusconi,  nous pouvons, nous, en dire quelque chose. Le scénario de la guerre et du massacre de civils qui s’en suit en Afghanistan est le même que lorsque le gouvernement Prodi, en 2006, décida la dépense annuelle de 1 milliard d’euros pour 2007, 2008 et 2009, afin de financer la participation italienne à la mission en Afghanistan et aux autres « missions internationales de paix ». La stratégie reste la même et, en conséquence, les engagements de nos forces armées restent inchangés depuis qu’en août 2003, l’OTAN, dans un véritable coup de main, a pris « le rôle de leadership de l’Isaf, force sous mandat ONU » (sans qu’à ce moment là il y eut une décision du Conseil de Sécurité, qui n’a fait ensuite que prendre acte du fait accompli). Depuis lors, le quartier général Isaf a été  inséré dans la chaîne de commandement  OTAN, et, en conséquence, dans celle du Pentagone qui vise le contrôle de l’Afghanistan : une zone de première importance par sa position géostratégique en regard de la Chine et de la Russie, et pour le contrôle des couloirs énergétiques de la Caspienne. Le contingent italien en Afghanistan est inséré dans la chaîne de commandement que dirige le général Us David D. McKiernan : McKiernan, ex-commandant des forces terrestres qui, en 2003, attaquèrent et envahirent  l’Irak, a pris, en juin 2008, le commandement des forces Isaf d’abord couvert par un autre général étasunien. Le général McKiernan, qui commande en même temps les forces étasuniennes en Afghanistan  dans le cadre de l’opération « Enduring Freedom », a clairement déclaré le 16 septembre que les alliés doivent envoyer des forces plus importantes en Afghanistan et renoncer aux limites qu’ils posent à leur utilisation. Ce sera le général McKiernan, avec son état-major, qui décidera de l’emploi des Tornado italiens, dans le cadre de la guerre aérienne, en pleine croissance, menée par les Etats-Unis en Afghanistan.

 

Comme l’indique le Commandement central, chaque jour les chasseurs bombardiers étasuniens et alliés effectuent, en moyenne, environ 80 « missions d’appui aérien rapproché aux troupes de l’Isaf en Afghanistan ». Depuis le seul porte-avions Lincoln, basé dans le Golfe, 7.100 missions ont été accomplies entre les mois d’avril et août.  C’est à ces avions que vont se joindre  les Tornado italiens, « pas pour bombarder mais pour observer ».

Edition de mardi 30 septembre 2008 de il manifesto

http://www.ilmanifesto.it/Quotidiano-archivio/30-Settembre-2008/art41.html


Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio



A propos :

Manlio Dinucci est géographe et journaliste. Il a une chronique hebdomadaire “L’art de la guerre” au quotidien italien il manifesto. Parmi ses derniers livres: Geocommunity (en trois tomes) Ed. Zanichelli 2013; Geolaboratorio, Ed. Zanichelli 2014;Se dici guerra…, Ed. Kappa Vu 2014.

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