Tortures de la CIA : que savait Varsovie ?
Face aux révélations de la presse américaine, il faut assumer les faits : le pays a abrité des prisons illégales.

Contexte :
Le 23 janvier, le Washington Post révèle que la base militaire de Stare Kiejkuty a été utilisée pour détenir – et torturer – les individus soupçonnés de terrorisme, parmi lesquels Khalid Cheikh Mohammed, cerveau des attaques du 11 septembre, capturé au Pakistan le 28 février 2003, avant leur transfert vers la base de Guantanamo. Selon le journal, les Etats-Unis ont payé 15 millions de dollars aux services secrets polonais pour la location d’une villa “extraterritoriale”, non loin de la piste d’atterrissage de Szymany. La somme a été envoyée en liquide par la valise diplomatique.
Le problème n’est pas que la Pologne ait choisi de collaborer étroitement avec les Etats-Unis au lendemain des attaques du 11 septembre, mais le fait qu’elle ne se soit pas assurée de pouvoir contrôler ce qui se passait dans la villa de Stare Kiejkuty [au nord de Varsovie].
Aujourd’hui, il est très facile d’accuser les politiciens et les officiers des services secrets alors en poste. Je n’ai guère d’illusions : indépendamment de qui était Premier ministre ou président, ils auraient dû dire oui à la demande des Américains de leur louer une villa de manière “extraterritoriale”.
Il y a plusieurs raisons à cela : la gratitude pour le soutien des Etats-Unis à l’opposition polonaise à l’époque communiste et ensuite, une fois le communisme renversé, l’admission de la Pologne dans l’Otan, en 1999. Après le 11 septembre, il n’était pas bon pour nous, alliés dans l’opération afghane, de dire non aux Etats-Unis.
Aujourd’hui, on sait que Khalid Cheikh Mohammed a été détenu à Stare Kiejkuty, qu’on l’a systématiquement soumis à la torture duwaterboarding et qu’on a menacé d’autres détenus avec une perceuse sur la tempe et avec des exécutions simulées. Cela est inadmissible et les responsables devraient être jugés.
Mais à l’époque, qui pouvait soupçonner qu’on allait torturer des gens à Stare Kiejkuty ? La Constitution américaine l’interdit. Selon un accord entre nos services secrets et la CIA, nous avons mis à disposition une piste d’atterrissage pour la réception de cargaisons spéciales et une villa dans l’enceinte du centre de formation des renseignements polonais pour y détenir des individus accusés de terrorisme.
Stare Kiejkuty
L’article du Washington Post confirme que les officiers polonais n’ont pas eu accès à la partie la plus secrète du bâtiment. Ils ne pouvaient rien savoir des tortures : le document de l’administration Bush était ultraconfidentiel et, à la CIA, seule une poignée de gens était au courant. Tout comme on n’avait pas connaissance du sauf-conduit spécial, établi pour les officiers américains par les juristes du ministère de la Justice. Il devait leur garantir l’immunité en cas de poursuites. A ce jour, personne n’a été jugé aux Etats-Unis.
Les Américains ont tout fait pour cacher ce qu’ils faisaient avec les gens soupçonnés de terrorisme. Quand la presse l’a révélé, la prison de Stare Kiejkuty était déjà fermée [en septembre 2003, après le rapport d’Amnesty International d’août, le Washington Post en a parlé à la fin 2005].
Le procureur polonais devrait établir si les hommes politiques et les officiers polonais étaient au courant des tortures ou s’ils ont soupçonné leur usage. S’il apparaissait qu’ils savaient et n’ont rien fait, ils devraient être punis. S’ils n’en savaient rien, cela devrait constituer une circonstance atténuante.
Roman Imielski
Publié le 27 janvier 2014 dans Gazeta Wyborcza (extraits) Varsovie
Version française : courrierinternational.com
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