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Trafic d’armes Tirana-Kaboul : tempête sur Condoleeza Rice.
Par Sergio Finardi et Peter Danssaert
Mondialisation.ca, 07 juillet 2008
ilmanifesto.it 7 juillet 2008
Url de l'article:
https://www.mondialisation.ca/trafic-d-armes-tirana-kaboul-temp-te-sur-condoleeza-rice/29215

L’ambassadeur étasunien en Albanie, John L. Withers II, et le Département d’Etat dirigé par Condoleeza Rice, sont pris depuis quelques jours dans une tempête. Henry Waxman, président d’un des comités du Congrès étasunien  qui supervisent  les politiques  gouvernementales (House Oversight and Government Reform Committe) les accuse officiellement d’avoir caché au Congrès l’implication du même ambassadeur dans la violation des lois étasuniennes qui régissent l’achat et le transfert d’armes. En l’occurrence il s’agit cette fois de tonnes de munitions de fabrication chinoise stockées dans les arsenaux albanais, achetées subrepticement par une société sous contrat avec le Pentagone, et destinées à la police et à l’armée afghanes.

L’achat et le transfert ne font pas que violer la loi qui interdit à des entités étasuniennes – Pentagone compris-  d’acheter et de faire commerce d’armes chinoises, mais entrent dans un cadre plus grave encore, car la société en question était (depuis 2006) et demeure sous enquête pour une série de fraudes  aux dépens du Pentagone.

En substance, les faits se réfèrent  à une réunion de novembre 2007 entre cet ambassadeur et le ministre albanais de la Défense de l’époque, Famir Mediu, à l’occasion d’une visite (redoutée) des arsenaux albanais par un journaliste du New York Times : celui-ci faisait une enquête  justement sur les fraudes de la société, AEY Inc., société basée à Miami Beach (Floride), propriété d’un certain Ephraïm Diveroli, jeune homme de 22 ans, masseur de profession, qui était mystérieusement arrivé en quelques années à obtenir des contrats du Pentagone, pour diverses sortes de fournitures (dont la dernière en date, en janvier 2007, pour une somme d’environ 300 millions de dollars). La plus grande partie de ces fournitures –qui avaient déjà attiré l’attention des militaires  étasuniens pour leur qualité médiocre et provoqué les premières enquêtes sur AEY Inc. – concernaient des munitions dont on garantissait l’origine est-européenne (en particulier hongroise, et destinées à l’équipement en armes de forces armées afghanes), alors qu’elles étaient en réalité prises, pour la plus grande part, dans les arsenaux albanais : ceux-ci contiennent en effet plus de cent milles tonnes de munition d’origine chinoise qui sont désormais en très mauvaises conditions de stockage (on se souviendra du tragique épisode de mars dernier, dans lequel 26 personnes périrent  dans l’explosion  d’un des arsenaux où était stocké ce type de munitions).

L’ambassadeur étasunien à Tirana et le ministre de la Défense albanais –craignant que le journaliste ne découvrit  que les munitions « hongroises »  provenaient en réalité des arsenaux « chinois » de l’Albanie – avaient fait disparaître ces munitions du dépôt que le journaliste allait visiter, munitions qui avaient en tout cas déjà été re-emballées, leur marque chinoise ayant été supprimée en toute hâte pour en cacher l’origine.

Les enquêtes du Times – auxquelles l’auteur a participé-  et quelque « gorge profonde »[i] ont fait le reste, provoquant  l’enquête actuelle de Waxman et les graves accusations adressées au Département d’Etat.

Quand le premier article du Times fut publié (27 mars 2008), le chargé de mission à la sécurité régionale de l’ambassade étasunienne à Tirana, Patrick Leonard, écrivait à ses collègues –dans un email obtenu par Waxman et publié dans le Times : « Grâce à Dieu il n’y a pas de mention du rôle de l’ambassade ! ». Quelques temps auparavant, ce même Leonard écrivait : « Le NYT est arrivé aujourd’hui, il pourrait faire un article là-dessus et cela pourrait être « ugly » (très désagréable). L’ambassadeur est très préoccupé à cause de ça ».  Certaines communications de la société AEY Inc. – obtenues par l’auteur- envoyées à diverses personnes qui devaient assurer le transport en Afghanistan prouvent justement ensuite par le détail l’origine « bulgare » et « albanaise » des munitions et confirment  que les envois furent effectués au moyen d’avions de transport Iliouchine 76 de Turkménistan Airlines, pour le parcours Tirana-Ashgabat, avec réception à contresigner par le Major R. Walck à Kaboul.

 On savait depuis longtemps que les arsenaux albanais étaient utilisés par le Pentagone pour des opérations de ce même type et plus ou moins secrètes ; et, dès 2005, Amnesty International et l’auteur (de cet article, NdT) avaient, dans un rapport,  révélé l’utilisation de ces arsenaux pour des envois non négligeables de munitions et autre armement à des « clients » irakiens et ougandais. Naturellement – comme les militaires étasuniens eux-mêmes ont pu le découvrir quand les caisses « chinoises » sont arrivées en Afghanistan – la qualité défectueuse (quasi inutilisables) de ces matériels ne préoccupe pas beaucoup le Pentagone : ceux qui mourront ne sont que des soldats afghans ou irakiens.

Rien de nouveau pour des contrats de l’armée étasunienne : pendant la Guerre Civile entre le Nord et les « confédérés » du Sud, un jeune homme d’un trentaine d’années, nommé J. Pierpont Morgan, père de la dynastie des financiers Morgan, avait acheté à cette armée du Nord des caisses de fusils défectueux pour un montant de 17.500 dollars, qu’il avait revendus une semaine plus tard comme « neufs »  à cette même armée pour 110.000 dollars.

Les patriotes sont toujours les mêmes.

Edition de dimanche 29 juin 2008 de il manifesto

http://www.ilmanifesto.it/Quotidiano-archivio/29-Giugno-2008/art37.html

Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio

[i] Cf. scandale du Watergate ; l’informateur du journaliste Bob Woodward, du Washington Post, qui lui avait révélé l’affaire, s’était fait appeler « gorge profonde » comme nom de code ; ce nom a fait le tour du monde et désigne depuis un informateur secret).

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